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Meunier a produit un bon ouvrage sur l’islamisation de Maradi, la deuxième ville du Niger, dans laquelle les religions africaines classiques ont prévalu jusque tard au 20e siècle, malgré la proximité du Nord du Nigeria, où l’islam est la foi dominante depuis beaucoup plus longtemps. Une courte introduction synthétise l’histoire de la ville et énumère les principaux moments de son islamisation. L’ouvrage se divise ensuite en deux parties de trois chapitres, chacune offrant une analyse détaillée de ce qui a permis que l’islam devienne la religion dominante au cours du siècle dernier.

Dans le premier chapitre, Meunier suggère que les religions « traditionnelles » ont persisté longtemps à Maradi parce que, à l’origine, la population était composée d’animistes et de réfugiés haoussas musulmans influents — et non pas de conquérants — venant de Katsina au Nord du Nigeria, après avoir fui la jihad des Fulbe du début du 19e siècle. Ils se sont installés à Maradi à l’invitation des Maradawa, des non-musulmans locaux, et offrirent des filles en mariage pour sceller leur alliance.

Au fil du temps, un régime « constitutionnel » s’installa qui favorisa la domination des familles musulmanes à la cour de Maradi, pendant que la majorité des alliés non musulmans contrôlaient d’autres aspects de la vie dans la ville et la région. L’islam se répandit lentement : une foi religieuse syncrétique assimilant librement des croyances et des pratiques non orthodoxes.

Le deuxième chapitre, « Les premiers marabouts coraniques et leurs écoles », trace l’histoire de l’enseignement islamique formel à Maradi à la fin du 19e et au 20e siècle. Meunier utilise des données des archives coloniales françaises et des entrevues avec des maîtres contemporains pour construire des généalogies de la tradition intellectuelle (silsilat en arabe) des plus illustres prédécesseurs et il fait l’inventaire de leurs écoles, des inscriptions, des cours et des affiliations avec les ordres soufi. Plusieurs lettrés ont étudié dans des centres d’enseignement islamique au Nord-Nigeria ; cela n’est pas une révélation, mais il est utile de l’analyser de façon concrète. L’auteur n’est pas suffisamment critique de ces généalogies, mais les islamologues trouveront un intérêt particulier aux inventaires des volumes des bibliothèques des leaders religieux de Maradi, de même qu’aux listes tenues par l’administration coloniale des ouvrages en arabe importés en Afrique de l’Ouest.

Le troisième chapitre explore la progression de l’islam dans la population de Maradi en général au 20e siècle. Le régime colonial français favorisa la promotion de l’islam directement en conférant l’autorité politique aux leaders musulmans et indirectement en dénigrant les religions classiques africaines. Comme dans d’autres de ses écrits, Meunier soulève ici la possibilité d’une influence ibadite ancienne sur la vie musulmane de la ville liée au rôle des commerçants ibadite du Mzab (Algérie) dans le commerce transsaharien — position rejetée par plusieurs islamologues qui étudient l’Afrique de l’Ouest.

L’introduction de la seconde partie de l’ouvrage synthétise divers aspects du développement de l’islam à Maradi au cours des cent dernières années, de la montée des ordres soufi au mouvement Izala d’influence Wahabitte de la fin du 20e siècle. Le chapitre 4 reprend l’histoire connue des ordres Qadiriyya et Tijaniyya (p. 89-92). Toutefois, Meunier présente une analyse beaucoup plus originale des ordres de Maradi (p. 93-110) basée sur les rapports coloniaux et les entrevues en profondeur qu’il a effectuées avec des clercs et des maîtres coraniques.

Les deux chapitres suivants constituent la contribution la plus originale de l’ouvrage. S’appuyant sur Malam Chaïbou Ladan, le principal propagateur du mouvement Izala à Maradi (p. 121), le chapitre cinq explore l’histoire de ce mouvement au Nord-Nigeria et à Maradi au cours des récentes décennies. Rejetant à la fois les ordres soufi et les marabouts, personnages caractéristiques de l’islam en Afrique de l’Ouest, les Izalites dénoncèrent également la vénération des saints et la vente d’amulettes, autrefois sources de bénéfices financiers pour les autorités islamiques. À Maradi, le mouvement izala a trouvé des adeptes chez les paysans victimes de la sécheresse qui émigrèrent dans la ville durant les années 1970. Il rencontra également un terrain favorable auprès des marchands aisés qui, avant la venue d’izala, ne pouvaient marquer leur dévotion que par les impôts élevés remis à la hiérarchie islamique dominée par les ordres soufi et leurs alliés marabouts. Les écoles sont aussi devenues un moyen pour attirer des adeptes. Au début des années 1990, le mouvement Izala avait ouvert sept établissements qui attiraient des élèves considérés comme trop âgés pour les écoles publiques, ou des parents qui jugeaient ces dernières déficientes en matière d’enseignement religieux ; huit autres établissements enseignaient aux adultes.

Le dernier chapitre offre un portrait de l’islam à Maradi dans les années 1990 fondé sur les méthodes anthropologiques classiques de l’observation participante et de l’interview. En s’appuyant sur la tradition orale, par exemple, Meunier montre comment le mouvement Izala s’est servi de ses traditions d’enseignement et d’alphabétisation fonctionnelle afin d’encourager les adeptes à lire le Coran et la loi islamique dans le texte, contournant ainsi la classe des marabouts. Izala a dénoncé la tyrannie exercée par les aînés sur les jeunes, rejeté la pratique de la compensation matrimoniale, deux mesures plutôt « progressistes », tout en soulignant la nécessité de la modestie vestimentaire pour les femmes — incluant le hijab — en public. Plutôt que d’y voir un retour à la « tradition », Meunier montre de façon convaincante que le mouvement Izala est un produit de la modernité.

Dans l’ensemble, Les voies de l’islam est un volume utile sur un sujet important et peu couvert. Toutefois, comme dans plusieurs publications institutionnelles dans la tradition académique française (et contrairement aux standards plus stricts en usage en Amérique du Nord francophone), l’ouvrage aurait bénéficié d’une relecture attentive au niveau du style.

Compte rendu inédit en anglais traduit par Serge Genest