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Le Who’s Who in Classical Mythology (2002) de Michael Grant et John Hazel est la réédition, légèrement modifiée, de la version originale publiée en 1973. Conçu pour être un ouvrage de référence, il se compose principalement d’un lexique alphabétique où sont distribués les divers acteurs du monde mythologique antique et exposés leurs récits, exploits, voyages, amours, ruses et conquêtes. La majorité des récits y sont d’origine grecque, mais nous y trouvons aussi un ensemble non négligeable de légendes typiquement romaines, sans parler bien sûr des déviations propres à la réappropriation du panthéon grec par Rome. Notons au passage que les auteurs n’ont pas cru bon devoir tracer une délimitation stricte – rigidité qui est trop souvent l’apanage de l’académisme académique – entre mythe, légende, saga, et récit populaire. Tous les récits sont écrits simplement, efficacement, tout en indiquant bien les variantes, les lignées mythologiques étant par définition d’une constante inconstance rhizomatique : nébuleuse divergente bien respectée (et synthétisée) par les auteurs (dans la limite du possible et des exigences d’un ouvrage de référence, bien sûr : par exemple, on compte plus de neuf cents versions de l’histoire de Cupidon et Psyché). Pour se retrouver dans cette nébuleuse, quelques arbres généalogiques (les Dieux et les Titans, les descendants de Persée) sont aussi proposés en fin d’ouvrage, ainsi qu’une liste des auteurs grecs et latins cités et plusieurs cartes du monde antique dont une de la Terre telle que la voyaient les anciens.

Avec plus de 1200 entrées, l’ouvrage tend à donner un tableau complet des « êtres » peuplant le monde mythologique, des biens connus dieux de l’Olympe (Zeus, Athéna, Apollon, etc.) jusqu’aux « simples » mortels (Thésée, Oedipe et autres) en passant par toute la cohorte des êtres intermédiaires ; demi-dieux comme Hercule, vengeresses Furies, muses inspiratrices et autres créatures moins connues comme ces trois vieilles soeurs, les Grées, aveugles et édentées, possédant une seule dent et un seul oeil qu’elles se partagent selon leurs besoins. Outre les récits et leurs variantes internes, les auteurs ont choisi d’exposer l’héritage de la mythologie dans notre culture par le biais de la représentation visuelle. On apprend par exemple que la représentation du diable, cornu, avec queue et pied fourchu, apparue au Moyen âge pour perdurer jusqu’à aujourd’hui, n’est que la transposition de l’iconographie du dieu Pan, divinité des pâturages et des troupeaux, vecteur de subites frayeurs et délires à connotations sexuelles, dieu aux pattes de chèvre dont il porte également les cornes sur la tête. On peut cependant se demander ce qui justifie ce choix sélectif, la mythologie ayant bien sûr fortement influencé l’ensemble de la culture occidentale : pourquoi n’avoir dit mot par exemple de ces grandes lignées littéraires, comme celle où Plaute reprend le mythe d’Amphitryon pour en faire une comédie, reprise bien plus tard par Molière, Amphitryon français finalement retravaillé par Kleist et Giraudoux? On peut aussi regretter le fait que certaines oeuvres littéraires antiques soient mises de l’avant et d’autres passées sous silence ; les auteurs notent par exemple le Dionysos comique des Grenouilles d’Aristophane, comédie somme toute très ordinaire, alors que la Médée d’Euripide, tragédie étonnamment nouvelle au sein de sa tradition, n’est pas citée. De la question des références littéraires nous pouvons finalement en venir au problème des sources en général : là où le Who’s Who in the Classical World du seul J. Hazel proposait moult références en amont et en aval – auteurs ou compilations antiques d’où venait l’information, travaux savants pour suivre les recherches –, cet ouvrage n’indique en introduction que trois compilations contemporaines qui ont influencé le travail des auteurs. Bien sûr le monde des sciences, de la philosophie, de la politique et de la littérature antique ne demande pas nécessairement le même traitement que le monde de la mythologie, mais on aurait pu au moins insister par exemple sur l’origine géographique des différentes versions d’un même mythe et indiquer quelques travaux savants susceptibles de creuser tel ou tel thème.

Malgré ces quelques réserves, le spécialiste aussi bien que le néophyte pourront bénéficier de cet ouvrage ; le premier, tout spécialiste qu’il soit, ne peut pas en effet se targuer de connaître tous les êtres mythologiques ici exposés (plus de 1200), tandis que le second y trouvera des clefs pour comprendre certaines références de sa propre culture qui sont pour lui complètement ou en partie opaques. L’ouvrage est aussi un monumental corpus mythologique, dense et fourmillant, tout aussi utile à l’ethnologue étudiant la mythologie, au littéraire, à l’historien de l’art, au philosophe, qu’au simple curieux avide de connaître ce monde de toutes les métamorphoses.