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Introduction

Cette étude entre dans le cadre des stratégies de réconciliation centrées sur la confession et le pardon. En Afrique subsaharienne, le début des années 1990 a été caractérisé par l’ouverture, dans huit pays, de Conférences nationales, une sorte de palabre africaine, un espace de dialogue national, d’écoute mutuelle, de négociations, de médiation et de réconciliation nationale en vue de préserver la paix et de favoriser le développement. Les Conférences nationales ont engendré des expériences démocratiques malgré les turbulences politiques, économiques et sociales. De ce point de vue, l’exemple de l’Afrique du Sud avec la création, en 1993, de la Commission Vérité et Réconciliation, a constitué un modèle à suivre pour tous les pays africains.

L’objectif de ce texte est de rendre compte du processus de réconciliation dans la province du Katanga (République démocratique du Congo[1]) au cours des 15 dernières années. Entre 1991 et 1994 en effet, un conflit sanglant a opposé les Katangais d’origine aux Kasaïens qui résidaient dans la province.

Le problème identitaire a commencé à se poser avec acuité au cours de la période coloniale, lorsque le territoire national s’est vu divisé en entités juridiques. Le livret d’identité, document porté obligatoirement par les Congolais, devait indiquer la province, le territoire, la chefferie, la tribu et le groupement d’origine de l’individu. Ces identités régionales, d’abord inconnues, négligées ou non considérées par des populations autochtones, trouvèrent plus tard leur champ d’émergence, d’intériorisation et d’application dans les centres urbains, espaces multiculturels et foyers d’enjeux divers. Des associations tribales ou ethniques ou régionales apolitiques virent le jour, avivant les « nouvelles » identités.

Par ailleurs, l’exploitation minière a amené les colonisateurs à mobiliser, en plus des populations locales, celles des provinces voisines (notamment le Kasaï occidental et le Kasaï oriental) et des colonies frontalières et à les agglomérer autour des mines.

En 1957, à l’issue des premières élections municipales, les quatre premiers bourgmestres noirs désignés à la tête des communes de la ville d’Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi) n’étaient pas originaires du Katanga : trois étaient Kasaïens et le quatrième, du Kivu. Les leaders originaires de la province du Katanga créèrent une plateforme socioculturelle, la Conakat (Confédération des Associations Tribales du Katanga) dont l’objectif principal fut de combattre l’hégémonie kasaïenne dans les centres industriels katangais et d’éviter la réédition de l’expérience des élections de 1957.

Après l’indépendance (1960), on assiste à l’émergence et au développement des nationalismes régionaux, ethniques et tribaux. L’ethnicité et le régionalisme, pour la plupart produits de la colonisation, servent d’instrument d’inclusion ou d’exclusion dans la course vers le contrôle de l’espace politique au niveau national et provincial.

Pour mettre un terme à ces dérives et reconstruire le nationalisme, le président Mobutu, qui accède au pouvoir en 1965, fait table rase de tous les partis politiques, casse l’esprit associatif ethnique ou régional et construit sur leurs ruines un parti unique, le Mouvement Populaire de la Révolution. Mais la deuxième République n’échappe pas à la pratique de l’identité ethnique et régionale.

C’est dans ce contexte qu’on assiste, un peu partout au Congo, à la scission de certains partis politiques[2] et à l’éclatement de conflits ethniques au Katanga, entre les Kasaïens et les Katangais d’origine. Les discours d’endoctrinement contre les Kasaïens trouvent un terrain fertile : on les accuse d’être un facteur de spoliation, d’exploitation, de marginalisation des originaires du Katanga et, partant, du sous-développement de la province. L’objectif de cette propagande est de voir les Katangais originaires gérer eux-mêmes leur province à tous les niveaux :

Un peuple n’est vraiment libre que s’il est capable de prendre en charge les espaces où s’exercent les pouvoirs, où se réalisent la production économique et l’organisation de celle-ci, où s’élabore et se vit la culture, et où se gère l’opinion.

Kaumba Mufwata et Ngoy Kalumba 1995 : 141

Les médias, les Églises et toute l’intelligentsia katangaise jouent un rôle sans précédent dans la lutte contre l’hégémonie kasaïenne au Katanga.

Plusieurs années après le conflit, à l’approche des échéances électorales (prévues en juin 2006) et donc face aux enjeux de l’heure, on assiste à des négociations de réconciliation qui figurent à l’ordre du jour de tous les partis politiques prônant la reconstruction nationale. C’est dans ce contexte que se situe la réharmonisation des rapports entre deux communautés soeurs antagonistes, les Luba Katanga et les Luba Kasaï de la province du Katanga.

La période de transition politique, en l’occurrence les quinze dernières années, prélude à la démocratisation tant attendue, constitue un moment historique au cours duquel se nouent des alliances interethniques en vue d’éviter la balkanisation de la nation. Dans ce texte, nous voulons rendre compte de la recherche de la réconciliation, des avancées enregistrées dans le processus de paix dans la province du Katanga, lequel suppose quatre étapes : la reconnaissance du forfait, la repentance, le pardon et la restauration.

Nous n’avons pas d’ambition théorique, car nous estimons qu’elle est prématurée tant qu’on ne dispose pas d’un nombre suffisant de descriptions analytiques. Notre souci principal sera donc d’effectuer une description analytique dans une perspective diachronique.

La création d’un espace de négociations entre les Luba Katanga et les Luba Kasaï

La réconciliation suppose que l’on organise un espace de négociations et de médiation. Les responsables des deux communautés se sont donc rencontrés à deux reprises au cours du mois de décembre 2005 sous la présidence du gouverneur de la province du Katanga et ont, ensemble, procédé à la relecture commune et partagée des situations passées qui avaient ravivé les conflits et creusé le fossé entre les communautés.

La reprise des négociations de réconciliation et l’ancrage du processus de pardon étant des tâches ardues, les représentants des communautés katangaise et kasaïenne ont été invités par les émissaires du président Joseph Kabila à organiser des espaces de négociations, de médiation, de sensibilisation et d’information avec leurs bases respectives en vue d’éclairer l’opinion sur la façon dont les faits évoluaient. Il fallait aussi essayer d’harmoniser de nouveau les rapports entre les deux communautés en conflit et les amener à demander pardon, à pardonner, à oublier le passé, à définir concrètement les concepts d’« intégration » et de participation des originaires du Kasaï à la gestion de la res publica katangaise – tout cela dans le but de construire une nouvelle société régie par des rapports d’équité, de justice et de respect mutuel.

Le jeudi 22 décembre 2005, le secrétaire de l’association socio-culturelle Buluba-I-Bukata (Balubakat) du Katanga fait aux membres son rapport sur la reprise des négociations engagées dans le but de réconcilier et de rétablir l’harmonie entre les deux peuples frères luba, les Luba du Katanga et les Luba du Kasaï :

Lors de cette rencontre, nous nous étions dit beaucoup de choses. Pour nos frères du Kasaï, c’est le Muluba qui avait chassé les Kasaïens du Katanga. C’est cela qui a ravivé la plaie et intensifié le clivage entre les Luba-Kasaï et les Luba-Katanga. Des répliques avaient été réservées à chaque grief développé. Par exemple, pour les événements de 1960, nous leur avons fait remarquer que les Luba du Kasaï et les Luba du Katanga avaient été tous déportés à la foire vers l’OCA [Office des Cités Africaines, actuelle commune Rwashi]. Alors qu’ils étaient tous victimes de cette discrimination, les Luba du Kasaï s’étaient alliés à Tshombe, trahissant ainsi leurs frères d’infortune. Enfin, en 1992, à la faveur du conflit entre Tshisekedi et Nguz qui se disputaient le poste de premier ministre, Nguz a été insulté : les Kasaïens avaient pris une chèvre, avaient versé la poudre sur la tête de la bête, et cette bête, c’était Nguz! L’insulte était exagérée. Alors les Katangais avaient écrit à Mobutu pour dénoncer deux choses : la première, c’est que tous ou presque tous les Directeurs de la Gécamines[3] étaient des Kasaïens. La seconde, découlant de la première : ces directeurs profitaient de leur position dans la Société pour détourner l’argent et financer l’UDPS, donc Tshisekedi. Tous ces faits démontrent que les Balubakat n’ont pas de problème avec ou contre les Kasaïens. Nos frères sont victimes de leur arrogance tout simplement.

Le secrétaire de l’association Balubakat, 22 décembre 2005

Des stratégies devaient être mises sur pied en vue de lever la diabolisation réciproque longtemps ancrée dans l’esprit des membres des deux communautés antagonistes. La réussite de toute tentative de réconciliation exige un espace dialogique, un échange entre les leaders politiques, les responsables des mutuelles et la population à la base. Les responsables de la communauté devaient tenir compte, dans la construction de leurs discours, des signes du temps, c’est-à-dire de la conjoncture politique et économique du moment. Se réconcilier constituerait, pour les membres de la Balubakat, un signe de respect de la mémoire de feu Mzee Laurent Désiré Kabila pour sa double identité locale et nationale : fils du Katanga et membre d’honneur de la Balubakat et surtout président de la République démocratique du Congo (1997-2001). Dans ce contexte, attribuer la paternité de l’initiative de réconciliation aux instances politiques supérieures de la capitale Kinshasa en général et particulièrement à feu le président Mzee Kabila présentait un avantage certain.

C’est Mzee lui-même qui avait téléphoné et proposé cette démarche. Son souci était de rassembler tout le monde autour de lui. Bref, il fut convenu que la réconciliation aurait lieu sous l’arbre SANGA LUBANGU à Kipukwe. C’est là que s’organisait un marché et que les frères luba s’étaient séparés. L’arbre s’appelle SANGA LUBANGU. Tous les chefs coutumiers, toutes les élites de deux camps devaient s’y retrouver. Tous les ambassadeurs accrédités en RDC étaient invités à la cérémonie, Swing y compris. Il était alors ambassadeur des États-Unis d’Amérique. Pour la circonstance, la Société Nationale des Chemins de fer du Congo [SNCC] devait construire une draisine blanche à bord de laquelle Mzee Kabila voyagerait de Lubumbashi à Kipukwe. Cette draisine est restée inachevée, car le projet a été stoppé par le décès de Mzee. Donc vous comprenez que Joseph[4] a été mis dans le schéma de Mzee et qu’il tient aussi à résoudre cette question. Vous voyez maintenant comment le projet a été lancé. Il faut le réaliser par respect pour Mzee et en conformité avec le dynamisme des sociétés.

Un ancien Luba Katanga

Cette citation est riche en informations. L’avènement de Mzee Kabila, un originaire de la province du Katanga, mais partisan de l’idéologie lumumbiste, était incompatible avec le climat conflictuel, séparatiste et exclusiviste qui couvait au Katanga depuis le début des années 1990. La réconciliation entre les différentes populations s’avérait donc impérieuse, surtout que la communauté internationale reprochait au président Mzee Kabila, entre autres, l’absence de démocratisation des institutions du pays et surtout la politique d’exclusion et la culture du clanisme dans la gestion de la res publica (Dibwe dia Mwembu 2003 : 75). Les ambassadeurs accrédités en République démocratique du Congo invités à la cérémonie auraient été les témoins oculaires privilégiés de leurs pays respectifs qui, jusque-là, maintenaient le pays en quarantaine depuis les événements sanglants du campus universitaire de Lubumbashi en mai 1990. À l’instar de la réconciliation entre les Luba du Kasaï et les Beena Lulua en 1960, cette cérémonie exige la présence des chefs coutumiers, car ils conservent toujours leur ascendant sur leurs peuples respectifs.

Au discours politique s’ajoute une dimension à la fois économique et culturelle non moins importante, base de tout développement.

Le Mulubakat est réactionnaire et révolutionnaire […]. Sommes-nous pour le développement du Katanga? La mondialisation vous dit-elle quelque chose? Mandela a pardonné. Nous devons nous pardonner. Ces conflits n’existent que dans de grands centres, Kinshasa, Lubumbashi, Mbuji-Mayi… ceux qui vivent dans les villages sont à l’aise et dénués. Ne soyons pas rigides. Vos frères à Bukama, à Malemba, à Kitenge… entretiennent de bons rapports commerciaux avec les Kasaïens, grâce auxquels ils vendent et font instruire leurs enfants. La réconciliation s’impose.

Un ancien Luba du Katanga

Un sage, répondant aux préoccupations d’un jeune, renchérit : « Nous sommes les uns grâce aux autres ; la force des États-Unis, c’est le métissage culturel ; le brassage. Que les jeunes s’associent à la démarche pour le développement du Katanga ».

Cette démarche politique, économique et culturelle s’inscrit dans la logique même du discours du président Joseph Kabila qui, comme d’ailleurs feu son père, prône l’unité et la reconstruction nationale. Les questions telles que « Les Kasaïens seront-ils éligibles au Katanga? Les Katangais seront-ils aussi éligibles dans les deux provinces du Kasaï oriental et occidental? » reflètent l’état d’esprit séparatiste de la population, nourri par une certaine littérature en vogue, centrée sur le triomphe du fédéralisme à exclusion :

Les Katangais, toutes ethnies confondues, parlent le même langage : celui de l’autonomie, mieux du fédéralisme entendu comme non seulement un régime qui garantit l’autonomie de la province vis-à-vis du pouvoir central, mais aussi la gestion de la province à tous les niveaux par les originaires. Car non seulement ce système mettrait fin à l’accumulation des frustrations, mais aussi parce que les originaires sont censés mieux cerner les intérêts de leur province […]. Ainsi, chacun sera maître chez lui et ne sera donc pas obligé de résoudre les problèmes des autres.

Dibwe dia Mwembu et Ngandu Mutombo 2005 : 88

Comme la loi électorale disposera que tout Congolais répondant aux conditions exigées sera éligible partout où il se trouvera sur le territoire national, les deux communautés seront obligées de se faire des concessions pour éviter les drames passés. Le dialogue est indispensable pour cheminer ensemble dans l’avenir.

Rejeter cette réconciliation reviendrait en fait à refuser l’éligibilité des non-originaires en général, et des originaires du Kasaï en particulier, aux postes de responsabilité dans la province du Katanga. Ce serait aussi montrer le caractère de façade de la politique de reconstruction nationale que prône le président Kabila, pourtant originaire, membre de la Balubakat et fils de la province du Katanga. L’enjeu est de taille et les responsables de la Balubakat doivent déployer tout leur savoir-faire pour convaincre leur base et l’amener à accepter la réconciliation.

Les différentes interventions constituent justement ce débat qui déboucherait sur un consensus, c’est-à-dire des propositions que les responsables de la Balubakat soumettront à leurs homologues de la communauté kasaïenne. La grande cérémonie de réconciliation aurait lieu sous l’arbre historique SANGA LUBANGU qui a vu les ancêtres de deux communautés se séparer et former plus tard les actuels groupes ethniques Luba Katanga et Luba Kasaï.

La réconciliation ne peut pas s’arrêter au niveau des populations katangaises et kasaïennes du Katanga, mais doit aussi concerner les populations du Kasaï. En outre, si les originaires du Kasaï ont été véritablement forts au point de réaliser toutes les performances qu’on leur attribue, il est aussi vrai qu’en se réconciliant avec eux, les Baluba du Katanga gagneraient aux élections à tous les échelons provinciaux et nationaux. Les Luba du Kasaï ont intérêt à accepter cette réconciliation, d’autant plus que dans son message de voeux à la nation (3 janvier 2006), Etienne Tshisekedi, leur leader politique, a finalement décidé de s’engager dans le processus électoral[5].

Les deux groupes sociaux en présence devront avant tout reconnaître chacun leurs forfaits, s’amender, demander pardon réciproquement, accepter le pardon l’un de l’autre et se réconcilier. Il ne faudra pas seulement se poser la question de savoir ce qui s’est passé, mais aussi et surtout comment gérer le passé (Rosoux 2002 : 26).

Les négociations de réconciliation engagées entre les deux peuples luba constituent en fait l’aboutissement d’un long processus.

Le processus de pacification entre les deux communautés (1992-2006)

Le processus de pacification entre les deux communautés katangaise et kasaïenne du Katanga a une longue histoire. Les résultats observés aujourd’hui sont le fruit de plusieurs tentatives enregistrées depuis le régime de Mobutu jusqu’à l’avènement de Joseph Kabila.

Sous le régime Mobutu (1991-1997)

La Conférence nationale souveraine

La Conférence nationale souveraine (CNS) exigea que deux commissions d’enquête, l’une du gouvernement et l’autre de la CNS, soient envoyées au Katanga pour éclairer l’opinion nationale et internationale sur le conflit opposant les Katangais aux Kasaïens de la province du Katanga. Les deux commissions décelèrent les causes lointaines, coloniales et postcoloniales, et immédiates de la crise, dégagèrent les responsabilités de ce climat conflictuel et proposèrent des résolutions et des sanctions contre le premier ministre Nguz a Karl I Bond et contre le gouverneur de province du Katanga, Kyungu wa Ku Mwanza. Mais toutes ces mesures demeurèrent lettre morte.

La visite de Mobutu au Katanga

Le président Mobutu s’est vu traiter de metteur en scène parce que tout le monde savait pertinemment que c’était lui l’auteur ou, mieux, l’instigateur du conflit qui créait pour la deuxième fois un fossé entre les originaires des deux Kasaï et ceux de la province du Katanga. Sa visite effectuée au mois d’août 1992 au Katanga, en plein conflit, fut interprétée différemment par les deux communautés. Pour les Katangais originaires, Mobutu venait cette fois-ci confirmer l’expulsion des Kasaïens du Katanga et leur retour dans leurs régions d’origine respectives. Pour les Kasaïens, Mobutu, père de la nation congolaise et garant de l’unité et de la sécurité des personnes et de leurs biens, venait restaurer la paix et la sécurité et fustiger les responsables de la tragique situation vécue au Katanga. Le président Mobutu rencontra d’abord les autorités politiques et administratives provinciales et municipales et les notabilités katangaises, et ensuite les différentes délégations des communautés non originaires vivant au Katanga. Des déclarations des uns et des autres, il découla que le changement de comportement des originaires du Kasaï à travers leur intégration à l’environnement katangais s’avérait la condition sine qua non de la réconciliation entre les deux communautés. Cela voulait dire en fait que cette réconciliation n’était possible qu’en cas de rejet ou d’oubli par les originaires du Kasaï de leur identité kasaïenne et d’adoption de l’identité katangaise.

La réconciliation entre les gouverneurs des trois provinces

Au mois de mai 1993, Kasusula, vice-premier ministre chargé de l’intérieur présida à Lubumbashi une cérémonie de réconciliation entre, d’une part, les deux gouverneurs des provinces du Kasaï occidental et oriental et, d’autre part, le gouverneur du Katanga, Kyungu wa Ku Mwanza. L’événement fut médiatisé, mais il ne put convaincre l’opinion publique qui le considérait comme une mise en scène. « Les incendieurs, pouvait-on lire dans le journal Mukuba, jouent aux sapeurs-pompiers. Une mise en scène pour distraire le peuple » (Mukuba, 31 mai 1993).

Pour le peuple katangais, non informé et oublié, cette cérémonie de réconciliation entre les trois gouverneurs semblait échapper à l’entendement d’autant plus que, pour lui, les objectifs de cette lutte, notamment la libération du Katanga, n’étaient pas encore atteints.

L’action de la communauté kasaïenne

La communauté kasaïenne s’est aussi investie dans la recherche de voies et de moyens pour rétablir l’harmonie qui existait entre les habitants de la province du Katanga, notamment les Katangais originaires et les ressortissants des deux provinces du Kasaï.

Comme les Baluba du Katanga s’étaient particulièrement illustrés dans la violence envers les Kasaïens, les sinistrés kasaïens, pour leur rappeler les liens de confrérie qui les unissent, ont entonné une chanson intitulée Kasaï wa Balengela wa kushinta diminu (Le Kasaï, des belles créatures pour améliorer l’espèce).

Cette chanson avait un double objectif. Elle mettait d’abord l’accent sur l’unité des peuples qui devait caractériser indistinctement tous les originaires des deux provinces du Kasaï. Elle rappelait aussi aux Kasaïens et aux Luba du Katanga leur appartenance à une même souche et donc leur origine commune. Elle recourait ainsi à la mémoire identitaire. En effet, les populations du Kasaï occidental et oriental situent leur origine à Nsanga Lubangu, un site dans le nord Katanga. La colonisation et les guerres fratricides ont mis un terme à leur cohabitation puisqu’une fraction de la population relativement importante a émigré vers le nord et que l’espace identitaire s’est divisé en plusieurs entités juridiques autonomes. Il est aussi important de rappeler qu’en 1960, lors de la sécession katangaise, les Luba du Kasaï et les Luba du Katanga étaient considérés par les partisans de la CONAKAT au pouvoir au Katanga comme des oiseaux de même plumage, compte tenu de leur histoire.

Il est important de noter que la communauté kasaïenne est hétérogène dans la mesure où elle englobe des Kasaïens immigrés et des Kasaïens nés au Katanga et qui se considéraient comme Katangais. La présence de ces deux sous-groupes est à l’origine de deux courants opposés au sein de la communauté kasaïenne quant au choix de stratégies pour sortir de la crise qui secouait les Katangais et les Kasaïens. Les Kasaïens nés au Katanga, qui ne voulaient pas subir le même sort que les Kasaïens immigrés, ont jugé bon de créer une association sans but lucratif dénommée « Club zaïrois de l’amitié Shaba-Kasaï » et de faire cavalier seul. L’objectif principal était de chercher les moyens de mettre un terme au conflit et de rétablir l’harmonie entre les deux communautés katangaise et kasaïenne. Pour parvenir au but escompté, c’est-à-dire à la réconciliation et au rétablissement de la paix, les membres cofondateurs de l’association entendaient privilégier la neutralité politique de l’association et leur soumission inconditionnelle à toute autorité politique provinciale ou nationale légalement investie :

- la neutralité politique ou l’indépendance de notre club vis-à-vis des partis politiques, institutions qui défendent certes des droits démocratiques, mais qui suscitent souvent des tensions et des divisions à cause de l’intolérance politique prévalant encore dans notre pays ;

 - la reconnaissance immédiate de toute autorité politique, centrale ou régionale, légalement investie, ce qui implique l’obéissance civique à celle-ci et l’obligation d’entretenir avec elle des rapports normaux ou non conflictuels.

Club zaïrois de l’amitié Shaba-Kasaï 1994, document 1

Mais cette association fut considérée comme du sable dans l’engrenage de la communauté kasaïenne en ce sens qu’elle contribuait à la rupture de son unité précieuse en cette période de crise. Elle fut donc farouchement combattue et amenée à réintégrer la communauté kasaïenne.

L’unique action de ce club s’est limitée à l’envoi, en date du 26 août 1994, d’un message de félicitations au premier vice-ministre et ministre de l’Intérieur en mission officielle à Lubumbashi. Les membres, à travers lui, demandaient au gouvernement de Mobutu de protéger les ressortissants du Kasaï désireux de rester au Katanga et de faire voyager dans des conditions dignes ceux qui voulaient regagner leur milieu d’origine (Club zaïrois de l’amitié Shaba-Kasaï 1994, document inédit).

Les signes des temps

Au niveau national, les données avaient changé. Le général Mossala, commandant de la première région militaire, ne tolérait plus les actes de vandalisme parmi la population de sa juridiction militaire, c’est-à-dire la province du Katanga et les provinces du Kasaï occidental et oriental. Ensuite, le gouverneur Kyungu fut démis de ses fonctions et remplacé par Ngoy Mulume dont le discours bannissait toute division ethnique ou provinciale parmi la population katangaise.

Et quand bien même Mobutu fit revenir Kyungu à la tête de la province du Katanga pour freiner l’avance des troupes de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) sur Lubumbashi, le problème du conflit katangais-kasaïen n’était plus d’actualité. Au contraire, il fallait ménager les Kasaïens en vue de les empêcher de s’allier aux troupes de l’AFDL et de précipiter la chute de Lubumbashi et du Katanga.

Sous le régime de Laurent Désiré Kabila (1997-2001)

La ville de Lubumbashi tomba entre les mains des troupes de l’AFDL le 9 avril 1997. Très vite, le gouverneur Kyungu fut remplacé par Gaëtan Kakudji et plus tard, par Katumba Mwanke. Mû par le nationalisme et considéré comme l’héritier de Patrice Emery Lumumba, Mzee Laurent Désiré Kabila souhaita rassembler toutes les populations congolaises autour de sa personne. L’harmonisation des rapports entre les différentes populations était rendue davantage pressante par l’agression dont le pays était victime. C’est dans ce contexte que se justifie, entre autres, l’investissement de la « Consultation nationale » organisée en mars 2000, à l’initiative principalement des prélats catholiques et protestants. Il fallait non seulement se pencher sur le problème que soulevait la guerre imposée au pays par les voisins de l’Est (Rwanda, Ouganda, Burundi), mais aussi et surtout dénoncer les dissensions internes qui minaient le pays de l’intérieur et risquaient de l’amener à la balkanisation. Monseigneur Marini, chef de l’église du Christ au Congo, donne un cliché de la situation politique interne au moment de l’agression du pays :

Les enfants de notre pays, nos fidèles dans la foi, nos familles vivent dans des suspicions et la méfiance réciproque. Nous sommes divisés et nous nous entre-tuons sous le regard médusé des violents. […] Nous refusons de nous parler, de nous regarder, de nous accepter, de nous saluer ou de nous appeler « frères et soeurs », appellation sacrée en Afrique. Malheureusement, nous vivons cette triste situation, ce manque d’harmonie et d’entente aussi bien sur les plans personnel, individuel, familial, social, politique, idéologique que moral et spirituel. Que des querelles, des mésententes, des dissidences, des émiettements, des divisions au sein des foyers, de la classe politique, des partis politiques et même de la société civile!

Kayembe Kabemba 2000 :10

La population congolaise était invitée à la conversion, c’est-à-dire au pardon et à la réconciliation avec son prochain, car elle ne pouvait pas prétendre arrêter l’avance de ses agresseurs en ordre dispersé. C’est dans ce contexte que l’ancien Gouverneur du Katanga, Gabriel Kyungu wa Ku Mwanza, demanda pardon au nom du peuple katangais, pour les incidents interethniques qui avaient eu lieu au Katanga. Il est important de noter que la demande de pardon, faite en français, a eu lieu à Kinshasa, loin de la province du Katanga et donc de Lubumbashi où résident pourtant les victimes des incidents en question.

Cette demande de pardon ne rencontra pas l’aval de la population. Comme nous l’avons souligné, la réconciliation suppose l’organisation d’un espace de négociations et de médiation. Les groupes en présence doivent avant tout reconnaître chacun leurs forfaits, s’amender, demander pardon réciproquement, accepter le pardon l’un de l’autre et se réconcilier (Rosoux 2002 : 26).

La demande de pardon de l’ancien gouverneur de province Kyungu wa Ku Mwanza ne fut malheureusement pas largement médiatisée de façon à l’ancrer dans la mentalité de la population congolaise en général et katangaise en particulier. De plus, les représentants des communautés katangaise et kasaïenne ne furent pas invités à organiser des espaces d’information pour éclairer l’opinion sur la situation et passer à autre chose en vue de construire une nouvelle société régie par des rapports d’équité, de justice et de respect mutuel. Enfin, aucune stratégie ne fut mise sur pied pour prévenir ce genre de conflits.

L’absence d’un tel espace ouvre largement la porte à toutes sortes de spéculations négatives sur le processus de pardon et réconciliation. D’ailleurs, l’enquête menée auprès de quelques personnes dans la ville de Lubumbashi montre que monsieur tout le monde n’est pas prêt à pardonner[6].

Des rancoeurs habitent les consciences. À Kolwezi et à Likasi, on l’a vu, des familles d’ouvriers de la Gécamines et de la SNCC, en l’occurrence, ont connu, en leur qualité de « non-originaires », le calvaire de l’exclusion violente et de la relégation. Des mémoires se sont constituées, douloureuses, tenaces : des photos ont été prises, comme pour immortaliser à jamais ces instants de désolation, de deuil et de misère. D’où viendrait alors « l’oubli » ou le « pardon », puisque le « malheur » est devenu à la fois signe et cause de la pensée des hommes, de leurs récits, de leurs narrations?

Kayembe Kabemba 2000 : 8

La demande de pardon par Gabriel Kyungu wa Ku Mwanza, considéré comme une déclaration politique à la recherche d’un repositionnement dans le gouvernement Kabila, n’a pas convaincu les deux communautés katangaise et kasaïenne. Les rapports entre les deux communautés à la lumière de leur vécu quotidien sont un indicateur certain de la réussite ou de l’échec de la réconciliation.

Les différentes personnes que nous avons rencontrées considèrent l’ancien gouverneur Kyungu comme une personne incorrigible. Parmi elles, un Kasaïen déclare : « quelqu’un dont la famille a été exterminée ne peut pas pardonner aux assassins de sa famille ». Un autre rapporte : « mon père a reçu un coup de machette à la tête. Avant de mourir, il nous a interdit d’épouser un conjoint katangais. Je ne peux pas aller à l’encontre de ce que mon père m’a laissé comme parole avant de mourir ».

Il était malaisé à ce moment-là de justifier le pardon et la réconciliation entre les Katangais et les Kasaïens, tant que la communauté katangaise ne croyait pas avoir atteint les objectifs pour lesquels elle était entrée en conflit contre la communauté kasaïenne. Une étudiante katangaise de l’Université de Lubumbashi déclare :

La réconciliation n’est qu’apparente étant donné le comportement qu’affichent les originaires du Kasaï dans le vécu quotidien. Tenez, je suis locataire, la maman bailleresse me dit par moment qu’elle n’a pas besoin de ma présence dans sa parcelle. Il y a des fois qu’elle m’agace avec cette question : « Pourquoi Kyungu wa Kumwanza ne vous a-t-il pas donné des maisons, lui qui vous entêtait tant? La crainte de ma bailleresse réside dans ce sens qu’elle pense que le Katangais trahit souvent. Certains Kasaïens ont été trahis par leurs ami(e)s katangais(e)s et ont perdu parcelles, biens et vies humaines.

Si Kyungu wa Kumwanza a demandé pardon, c’est une trahison pour les Katangais que nous sommes. C’est lui qui a entraîné toutes les masses de Katangais et de Katangaises derrière lui. Demander pardon serait superficiel, car le motif de ce pardon n’est pas très profond, c’est-à-dire qu’il ne vient pas du fond de son coeur, mais il est stimulé par la recherche d’une place au soleil, c’est-à-dire avoir une place dans la scène politique et surtout que son casier judiciaire est chargé. Je dis que le pardon de Kyungu était une trahison, parce que les Katangais voulaient être libres, se débarrasser des dictateurs Kasaïens. C’est ainsi que le slogan katangais « tu mwite Kyungu? » (Voulez-vous que nous fassions intervenir Kyungu?) revient chaque fois que nous sommes inquiétés par le comportement des originaires du Kasaï. Pour nous les Katangais, c’est Kyungu qui nous a aidés à nous débarrasser de ce peuple.

Étudiante katangaise

Une Katangaise rapporte :

Le pardon de Kyungu n’a pas été accepté car il n’est pas sincère. Imaginez une personne qui a perdu son père, sa mère, son frère, sa soeur, ses enfants, ses biens, etc. à cause de Kyungu. Une telle personne pourra-t-elle pardonner? […] Apparemment, je peux te faire voir que je t’ai pardonné, pourtant je garde toujours une tache dans mon coeur [une haine]. C’est dire que la blessure intérieure est difficilement guérissable.

Kyungu a demandé pardon parce que réellement il était coupable. S’il était innocent, il ne demanderait pas pardon. Je me mets à la place des Kasaïens qui ont tout laissé ici, arrivés chez eux, ils étaient mal aimés. De retour, même ceux qui avaient jadis la possibilité de scolariser leurs enfants, n’en ont plus de possibilité. Les Kasaïens ont raison de ne pas accepter son pardon.

Une Katangaise

Sous le règne de Joseph Kabila (2001-2005)

Dans la lutte contre l’ethnicité et le régionalisme, le gouvernement de Joseph Kabila a exigé des partis politiques un caractère national, c’est-à-dire qu’ils soient représentés dans toutes les provinces du pays. De plus, la composition de chaque cabinet ministériel devait refléter le caractère national. En ce qui concerne le rétablissement de la paix, l’Association des Faiseurs de Paix et la Solidarité Katangaise, deux organisations non gouvernementales, se sont illustrées dans la lutte pour la réconciliation par en bas des populations et le rétablissement de la paix dans la province du Katanga.

L’Association des Faiseurs de Paix

Une expérience de la réconciliation par en bas tentée dans la ville de Likasi par l’Association des Faiseurs de Paix (AFP) a connu un succès.

Les événements sanglants de 1992-1993 entre Katangais et Kasaïens avaient plongé la ville de Likasi (ville industrielle située à plus ou moins 120 km au nord-ouest de Lubumbashi) dans la période la plus noire de son histoire. Les dégâts matériels et les pertes en vies humaines ont transformé cette ville en lieu de mésententes interminables, de haine et d’intolérance entre les deux communautés. Cette situation lamentable a bouleversé les rapports d’amitié, de famille, de travail, de mariage, d’économie, a détruit les infrastructures publiques et entraîné par conséquent la misère et la pauvreté.

Près de dix ans après les affrontements entre les deux communautés, le Service d’Appui au Développement régional intégré (SADRI) a pris l’initiative d’organiser, du 18 au 22 décembre 2001, à Likasi, une session de formation sur les techniques de résolution pacifique de conflits. Le but était de doter la ville de 20 animateurs, issus des deux communautés, capables d’asseoir, par la sensibilisation et la vulgarisation, une culture de paix.

Pour mettre en pratique les techniques apprises, les « séminaristes » ont créé une association sans but lucratif dénommée Associations des Faiseurs de Paix (AFP). Apolitique et sans but lucratif, cette association a pris le statut d’une organisation non gouvernementale et elle est composée de dix-huit membres fondateurs, dont cinq femmes, appartenant à des communautés différentes. Il faut noter que la majorité est constituée de représentants des communautés katangaise et kasaïenne.

En juillet 2002, le SADRI a organisé une session de formation pour développer les capacités des membres de l’AFP. Les deux communautés y furent représentées équitablement. Dans chaque camp, les hommes et les femmes étaient moitié-moitié dans les ateliers. De plus, les membres de l’AFP étaient répartis soigneusement par Église (catholique, kimbanguiste et protestante) pour répondre à un souci de neutralité et d’efficacité. Au bout de cinq rencontres, l’Association des Faiseurs de Paix est parvenue à réconcilier les deux communautés, entre lesquelles les tensions avaient connu un sommet à cause d’une lutte de pouvoir pour contrôler le florissant Marché Marlinza, au centre-ville de Likasi[7].

Par ailleurs, pour convaincre la communauté katangaise en particulier et tout le monde en général du bien-fondé de la décision prise, le maire, dans un discours de janvier 2003, recourut aux motivations d’ordre religieux, politique et économique :

Aucune recherche du développement n’est possible sans la bénédiction divine. Et Dieu ne peut pas bénir des gens qui vivent séparés. C’est donc dans la communion que les différentes communautés peuvent espérer recevoir quelque chose de lui.

Sur le plan politique, lorsqu’un peuple est divisé, il s’affaiblit et l’ennemi en profite pour l’anéantir. Aussi, il faudra que les efforts consentis dans la haute sphère politique congolaise pour rechercher la paix aient des répondants au niveau de la base.

Sur le plan économique, le Katanga n’était pas ou n’est pas la seule et l’unique province riche ; les autres provinces sont potentiellement riches, mais non encore systématiquement exploitées comme le Katanga. À un moment donné de l’histoire, la situation peut changer et le Katanga aura besoin des autres pour sa survie. Ça ne sert donc à rien de tirer orgueil de sa situation privilégiée.

Le maire de Likasi

Les deux communautés finirent par se réconcilier en acceptant de vendre ensemble sur un même marché de Likasi, celui de Kikula. Au mois d’août 2002, le maire de Likasi décida la destruction du Marché Marlinza, lieu de mémoire considéré comme un « marché de la honte », car il symbolisait les affrontements et le refoulement de 1992. L’autorité municipale considérait que ce lieu de mémoire attirerait des malédictions sur la ville.

Le 17 janvier 2003, pour symboliser ce grand événement de réconciliation entre les deux communautés, le marché central de Kikula fut débaptisé et appelé désormais « Le Marché de la Paix » ou, en kiswahili, Soko ya Amani. Cette réconciliation, à en croire les membres de l’AFP, eut un impact positif sur le plan social, économique et culturel dans la ville de Likasi.

Sur le plan social, l’installation des commerçants Kasaïens au marché de la cité permit à ces derniers de réhabiliter leurs rapports avec les autres communautés et de regagner leurs anciennes habitations. D’où le bon climat social qui règne actuellement à Likasi. Sur le plan culturel, une culture nouvelle s’est installée dans le marché à tel point qu’il est difficile de différencier le Katangais originaire du Kasaï du Katangais autochtone.

L’AFP organise des séminaires de formation dans les quatre communes de Likasi en autour de plusieurs objectifs : solidifier la réconciliation entre les deux communautés autour des activités de développement ; entreprendre la campagne de réinsertion des malades du sida dans leurs familles ; intégrer les Faiseurs de paix dans le processus d’installation des institutions citoyennes ; mettre l’expérience de l’AFP à la disposition de la province du Katanga non seulement pour résoudre les différents conflits qui y sévissent, mais aussi pour les prévenir.

La réconciliation des deux communautés s’est étendue à toute la ville de Likasi et a ainsi permis aux Kasaïens de regagner leurs habitations dans les différentes communes de la ville.

Expérience fort tentante, la cérémonie de réconciliation de Likasi a eu lieu dans un espace restreint. Cet événement fut considéré comme un fait privé limité aussi bien dans le temps que dans l’espace, dans la mesure où les autorités provinciales n’y avaient jamais été représentées et l’événement lui-même n’avait pas bénéficié d’une large diffusion médiatique. Somme toute, le train de la réconciliation était parti, encouragé par les travaux d’une autre ONG, la Solidarité Katangaise.

La Solidarité Katangaise

La Solidarité Katangaise (SK) est une ONG dirigée par maître Muyambo, originaire du district du Haut-Katanga (partie sud de la province). Ses travaux méritent une attention particulière dans la recherche d’une paix durable au Katanga. En effet, cette ONG veut, entre autres, harmoniser les rapports non seulement entre les Katangais originaires du nord et ceux du sud de la province du Katanga, mais aussi entre les Katangais originaires du Katanga et les ressortissants d’autres provinces de la République démocratique du Congo, notamment les originaires de deux provinces du Kasaï. Pour illustrer le caractère national de l’ONG, les comités urbains et provincial sont composés des ressortissants de différentes provinces du pays.

La Solidarité Katangaise pose des actes concrets sur le terrain. En effet, cette ONG fait partie des personnes morales et physiques qui ont financé la campagne de pacification (« opération une arme contre un vélo ») menée par le pasteur Mulunda dans le Nord Katanga et qui a permis au gouvernement de la RDC de récupérer 4 992 fusils des mains des rebelles qui semaient la terreur parmi les populations locales.

Mais la vie de la Solidarité Katangaise est éphémère. En fait, d’aucuns pensent que l’harmonisation des rapports entre les Katangais originaires et non originaires, particulièrement les Kasaïens, serait une stratégie mise sur pied par les membres du comité de direction de cette ONG sudiste pour gagner à leur cause les originaires du Kasaï et espérer remporter les élections au niveau provincial et municipal. De plus, les autorités provinciales auraient reproché à la Solidarité Katangaise son rapprochement avec les originaires du Kasaï aux seules fins de constituer un imposant électorat opposé au président Kabila qui, lui, est nordiste.

Conclusion

Depuis la chute de Mobutu, le nouveau paysage politique, dont le cheval de bataille est la reconstruction et l’unité nationale du Congo, est incompatible avec toute action séparatiste ou tendant à maintenir la division entre les différentes populations de la République démocratique du Congo. Aussi les autorités politiques et administratives ont-elles déployé leurs efforts en vue de rendre harmonieux les rapports régissant les populations au sein de leurs entités juridiques respectives. C’est dans ce contexte qu’il faut placer les actions menées dans la province du Katanga à tous les niveaux pour améliorer les relations entre les Katangais et les Kasaïens en général et entre les deux peuples frères luba du Katanga et du Kasaï en particulier.

L’approche des échéances électorales a accéléré les négociations de réconciliation entre les différents peuples antagonistes compte tenu des enjeux du moment. Les Luba du Katanga qui souhaiteraient voir Joseph Kabila élu président de la république ont tout intérêt à s’allier les Luba du Kasaï à cause de leur électorat relativement important. En contrepartie, les Luba du Kasaï peuvent espérer le soutien de leurs frères katangais pour le poste de premier ministre.

Nonobstant les échéances électorales, le rétablissement de la paix est le fruit de la conjugaison des efforts déployés aussi bien par des institutions publiques de l’État congolais que par des organisations non gouvernementales et des associations socioculturelles (grâce aux séminaires de formation et de sensibilisation). Le chemin parcouru pour mener aux résultats actuels a été long et ponctué d’avancées et de blocages.

La réconciliation par en bas vécue dans la ville de Likasi peut être tentée au niveau provincial et même national dans le processus de pacification de la RDC et de la région des Grands Lacs.

Une autre piste non négligeable dans la recherche du règlement des conflits en RDC en général et au Katanga en particulier (et, pourquoi pas, en Afrique noire) serait l’engagement des chefs coutumiers qui jouissent toujours d’une crédibilité relativement importante auprès de leurs populations et même des autorités politiques et administratives modernes. L’expérience vécue lors du conflit Luba-Lulua à la fin des années 1950 et au début des années 1960 (Muya Bia Lushiku Lumana 1985) en est une illustration.