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Dans son ouvrage Voiles. Une histoire du Moyen Âge à Vatican II, l’historienne et anthropologue Nicole Pellegrin s’attache à déconstruire les idées préconstruites actuelles, notamment celles liées aux débats qui ont surgi autour du voile islamique et, plus récemment, du burkini. L’auteure expose l’intérêt des Occidentaux pour le voile, qui a trouvé un ancrage religieux, politique, social et esthétique au fil de l’histoire occidentale. S’il est question du port du voile, il est nécessaire de l’étudier en tant qu’étoffe couvrant complètement ou partiellement le corps ou lorsqu’il n’est pas porté.

Ainsi, Pellegrin parcourt une histoire du voile par le biais d’oeuvres picturales, de photographies et de textes d’historiens, d’historiens de l’art, d’aventuriers et d’anthropologues, qu’elle s’efforce d’aborder de manière critique. Pour l’auteure, il est nécessaire de replacer ces documents dans leur contexte ; ils sont principalement issus d’auteurs masculins, les femmes portant le voile s’exprimant peu sur leur pratique. Tout de même, si des aventuriers, hommes et femmes, se sont immiscés dans l’intimité des porteurs de voile de leur sexe, ils n’ont pas su juger objectivement de cette pratique dans ou par-delà le monde occidental ou en ce qui a trait au sexe opposé du fait d’un regard ethnocentré. Pellegrin appuie ses propos sur une riche bibliographie constituée d’ouvrages écrits par des auteurs des deux sexes, dont les propos se confrontent ou se complètent. Mais, il y a parfois des difficultés à expliquer le (non-)port du voile et ce qu’il couvre, notamment en art. S’agit-il d’un canon esthétique de l’époque moderne ou de l’idéologie du peintre dans la représentation du voile ? L’auteure ne peut que faire des suppositions.

Pellegrin consacre essentiellement son premier chapitre aux voiles masculins, les quatre suivants portant particulièrement sur les voiles féminins. Ces derniers ont, dès l’Antiquité (et encore aujourd’hui dans une partie du monde musulman, précise-t-elle), marqué différentes étapes de la vie des femmes en Occident, de la puberté à la mort. En outre et malgré ce choix de traitement du vêtement, l’historienne s’attache parfois à faire des comparaisons entre les deux sexes, mettant en avant la dimension genrée du voile, trouvant des correspondances avec des vêtements qui ont pour fonction de couvrir, mais pouvant aussi être unisexes (par exemple, le capuchon).

Finalement, par le biais de ce vêtement, l’auteure met en avant les relations homme-femme dans l’optique de leur position identitaire, sociale, religieuse et politique. Mais, dans le cas de l’homme comme de la femme, le voile est un symbole de marginalisation lorsqu’il s’agit de se retirer pour mener une vie pieuse. Aussi, son (non-)port peut être l’occasion d’une émancipation lorsqu’il s’agit, pour les femmes, de se libérer de la domination masculine. En France, cette volonté de s’émanciper s’est poursuivie après la Restauration (au début du XIXe siècle), mais n’était plus seulement en rapport avec les hommes, mais aussi avec la religion. De nouvelles communautés se sont créées, où les soignantes laïques portaient la cornette blanche et non le voile noir des religieuses. Pellegrin, dans un titre provocateur, parle des « “Anges blancs” versus les “anges noirs” » (p. 263). Avec les guerres qui ont suivi la Restauration, l’individualisation des femmes a notamment touché le vêtement féminin et son esthétisme. Pour autant, le voile n’a pas toujours eu vocation à être beau, notamment au sein de la religion, où il s’inscrit dans l’optique de la confession de foi.

Considérant que son (non-)port a longtemps été révélateur d’un statut social, sociétal et religieux, le voile, dans ses représentations, ne peut être dissocié de son époque. Il suscite des réflexions sur ses fonctions et ses a priori à différentes époques. Depuis le Moyen Âge, il a été sujet à une évolution permanente dans sa structure et sa qualité, selon les bourses. De fait, il a fallu user d’imagination pour marquer des différences hiérarchiques, culturelles et esthétiques.

Si l’ouvrage de Pellegrin témoigne d’une importante recherche bibliographique et picturale, il est d’abord une étude descriptive des différentes évolutions du voile qui a été réalisée au moyen de textes, de peintures, de photos. En conséquence, il est regrettable que les illustrations apparaissant dans son ouvrage ne soient pas celles qui y sont décrites. Tout de même, son étude brosse un état des lieux de l’importance du voile à différentes époques en abordant ses représentations matérielles autant que symboliques. Dans un cadre anthropologique, il permet une ouverture sur le traitement du voile en Occident à la fin du XXe siècle et en ce début du XXIe, et aide à relativiser les conceptions modernes de ce vêtement. Cette étude du voile aborde le (dé)voilement, mais elle dévoile aussi l’histoire d’un vêtement qui a finalement peu été traité dans sa diversité et dans son évolution.