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Plus nous sommes proches de la psychanalyse amusante, plus c’est la véritable psychanalyse.

Lacan 1975 [1953] : 91

Introduction[1]

Minuit dans une maison sur le flanc nord d’une côte himalayenne, entourée d’autres maisons bordées de champs en terrasses ; puis des forêts, avant d’arriver au prochain village. Une quarantaine de personnes sont regroupées dans la pièce avant, la salle publique. Elles regardent un drame qui se développe devant elles et sollicite leurs yeux, leurs narines, leurs oreilles. Sur le plancher, un plat d’airain avec des braises ardentes ; d’un côté, un homme recroquevillé bat un tambour et déclame ; de l’autre, face à lui, une femme à genoux tremble, sautille, balançant continuellement le haut de son corps. Elle étend les bras, les mains enroulées l’une dans l’autre. Puis elle commence à parler ou, plus exactement, une voix commence à sortir de sa bouche. C’est une voix faible, chantonnante, parfois haletante, qui donne l’impression de venir de très loin. Dans des phrases stéréotypées, que la plupart des gens ont déjà entendues maintes fois, la voix de la femme tremblante énonce des paroles qui identifient le sujet dont elle émane : et ce sujet n’est pas celle dont on entend la voix. Il s’agit plutôt d’un ancien roi du royaume qui existait naguère sur ce territoire mais qui a été remplacé par d’autres institutions depuis la fin du XVIIIe siècle – royaume népalais, empire britannique, Inde indépendante. Malgré cette ancienneté, malgré cette non actualité, ce roi est demeuré présent : il est devenu dieu, et spécifiquement dieu de la justice. Et c’est ainsi qu’il parle, à travers des humains.

La possession que je viens de décrire est voulue, délibérément recherchée. Mais il arrive souvent à l’occasion d’une telle séance qu’un membre du public se mette à sauter et à crier au point d’avoir besoin d’être maîtrisé par ses voisins. Lui aussi a été possédé, mais il faudrait faire une enquête pour déterminer par quel esprit ou quel dieu ; ou bien par quel fantôme ou démon... Car il arrive qu’une personne, hors de tout contexte rituel, commence à agir de façon bizarre, à sauter et crier, apparemment en souffrance, et se mette à parler dans une voix qui n’est pas la sienne. Là encore, on fait enquête, et c’est seulement à travers une possession divine régularisée que l’on réussit à chasser le démon[2].

Je choisis cette scène comme exemple de pratique de possession parce que j’y ai assisté à plusieurs reprises ; mais il aurait été tout aussi pertinent de commencer avec une performance de vaudou, de candomblé ou d’une des nombreuses traditions qui subsistent en Afrique et en Asie, ou encore avec une scène d’attaque démoniaque ou d’extase divine telle qu’on les trouvait autrefois en Europe. Ce phénomène de contact direct avec les esprits, avec un certain au-delà, est le plus souvent étiqueté de « possession » ou de « chamanisme » par les anthropologues. Ces scènes de possession relèvent d’institutions sociales et collectives ; mais elles se présentent, dans de nombreux cas, comme une transformation notable dans la subjectivité personnelle : transe ou extase. Dans le cas de la possession, il s’agit de l’identification d’une subjectivité comme étant autre que celle du sujet ordinaire – ce n’est plus un tel, mais une autre entité, dieu ou démon, ancêtre ou fantôme, qui contrôle son corps, qui nous regarde de ses yeux et, souvent, parle à travers sa bouche.

Depuis un certain temps, des recherches sur ces phénomènes – études de cas comme études comparées – ont été entreprises surtout par des anthropologues et des spécialistes des religions. Elles se sont faites, en particulier, dans le courant des traditions anthropologiques d’inspiration psychologique et psychanalytique, ainsi que dans celles de la psychiatrie transculturelle. Mais la grande tendance chez les anthropologues a été de résister à ce qu’ils considèrent comme une psychologisation ethnocentrique d’institutions fondamentalement socioculturelles[3]. Cette position a été particulièrement défendue, dans le domaine du chamanisme, par Roberte Hamayon (1995, 2003, par exemple), qui insiste sur la qualité théâtrale des performances chamaniques et propose ainsi dans ces études « d’en finir avec la transe », pour reprendre le titre de son article de 1995.

D’autres – est-ce une contrepartie à ce genre de résistance à des catégories considérées imposées ? –, en voulant éviter toute odeur d’ethnocentrisme, sont allés jusqu’au point d’accepter, au moins provisoirement, la réalité des esprits (Goodman 1990 ; Turner 1993).

Il est certain que là où nous, chercheurs occidentaux ou occidentalisés modernes, pensons « reconnaître » la possession ou le chamanisme, ces derniers s’inscrivent en fait dans des systèmes de représentations extrêmement divers. Insister sur cette diversité, et sur la cohérence interne de chaque système, sert le but, admirable, de défendre la spécificité de l’anthropologie comme discipline. Certains anthropologues, par contre, dont notamment Luc de Heusch (2006), proposent de voir la transe comme un phénomène au moins potentiellement universel chez l’humain, au même niveau que la danse ou le chant.

Pour moi, il s’agit moins de regarder possession et chamanisme comme des « faits » indépendants que de mieux cerner nos propres concepts et termes. Dans plusieurs traditions, l’élément qui nous fait identifier « possession » ou « chamanisme » est la présence d’une transformation subjective, soit de la perception du monde, soit de l’identité du sujet. Le côté personnel, expérientiel et psychologique présente souvent l’aspect le plus frappant – et ce, pour les participants comme pour les observateurs – de ces institutions sociales qu’on appelle chamanisme et possession, deux mots occidentaux qui n’ont pas nécessairement de valeur universelle. On trouve un exemple de cette tension dans le volume collectif La possession en Asie du Sud (Assayag et Tarabout 1999), où les auteurs de l’introduction du volume, citant entre autres R. Hamayon, refusent la notion même de transe et insistent sur la spécificité culturelle et sociale de chaque manifestation, définissant la possession comme la présence d’une entité non humaine dans un corps humain, qu’il y ait incidence psychologique ou non (voir la critique dans de Heusch 2006 : 61-62). Mais un regard porté sur les contributions ethnographiques au même volume révèle dans la plupart des cas la centralité des transformations d’identité subjective, transformations reconnues par les participants, et qui jouent un rôle central dans ces pratiques (voir Leavitt 2005b).

Si on accepte la centralité des transformations subjectives dans nos « reconnaissances » de chamanisme et possession, il faut reconnaître la pertinence probable de disciplines parallèles qui ont abondamment traité de transformations comparables à propos de pratiques et d’institutions de l’Occident moderne. Je suis en effet convaincu que ces pratiques et institutions auraient été immédiatement « reconnues » comme des cas de possession si on les avait observées en Afrique ou en Inde plutôt qu’à Genève, Vienne ou Boston. Le complexe de pratiques appelées hystérie, médiumisme, spiritisme, personnalité multiple, par exemple, sont des phénomènes de transformation personnelle qui se trouvent, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, au coeur de la formation des sciences modernes de la psyché – psychanalyse, psychologie, psychiatrie.

Les parallèles entre le médiumisme et certaines entités cliniques en Occident, entre ces dernières et les pratiques de possession ailleurs, ont souvent été notés et discutés dans les domaines de l’ethnopsychologie et l’ethnopsychiatrie (Littlewood 2002), et même dans les études historiques de la psychiatrie et la psychanalyse (Ellenberger 1975 [1970], par exemple). On se concentrera ici sur la période de fondation des grandes théories modernes de l’inconscient. En faisant un rappel de ces explorations, on verra que certaines approches ressortent et s’avèrent utiles pour repenser les rapports à la fois entre les disciplines, et ceux entre ce qui relève du personnel et du social.

Complexité de la possession

On ne peut que constater, tout d’abord, la terrible complexité du problème de la définition et de la délimitation de la possession et des phénomènes connexes. Des dizaines, voire des centaines d’auteurs ont traité de la question, qui privilégient chacun sa propre définition, basée sur des critères qui ne sont que partiellement partagés. La terminologie utilisée pour parler de ces phénomènes, en particulier, présente un mélange de termes et d’usages du langage scientifique avec ceux du lexique quotidien.

Pourtant, un premier regard sur cette complexité permet de distinguer un nombre relativement limité de dimensions en cause de manière récurrente. Un des problèmes qui apparaît alors est la tendance des auteurs à choisir de se concentrer chacun exclusivement sur une de ces dimensions, d’y construire une opposition conceptuelle, et de coller des étiquettes présentées comme opposées sur deux pôles. Parmi les dimensions qui émergent, on peut remarquer : 1) un axe de contrôle ; 2) un axe du mouvement de l’esprit ou du praticien ; 3) un axe de présence ou d’absence de la transe (Leavitt, sous presse). Il y a certainement d’autres critères qui ont servi à définir ce qui est et ce qui n’est pas « vraiment » du chamanisme ou de la possession ; mais ces trois axes, pris comme construction initiale, permettent pour le moins de définir un espace théorique plus large à l’intérieur duquel la possession et le chamanisme représenteraient des régions. Étant donné que le fait déterminant dans la définition de la possession est l’attribution d’un changement de subjectivité, il n’est pas surprenant que les études de la possession aient tendance à se centrer sur le pôle que constitue l’expérience d’un tel changement, à savoir celle de la transe.

Des études focalisées sur l’axe du contrôle ont permis de faire une distinction entre possession faste et néfaste, volontaire et involontaire. Il s’agit d’une distinction assez nette, qui se retrouve dans de nombreuses situations et traditions. On a, d’une part, une attaque par un esprit qui prend contrôle et qui doit être chassé, exorcisé : une affliction à guérir ; et d’autre part, la visite d’un esprit généralement bénéfique, délibérément recherchée, qui fait partie d’une institution sociale et sert la communauté : un oracle à consulter. Dans le premier cas, les entités qui arrivent sont appelées démons ou fantômes ; dans le deuxième, dieux ou ancêtres. Dans le premier cas, les victimes sont, historiquement et socialement, le plus souvent des personnes marginales ou vivant un stade relativement fragile du cycle de vie ; dans le deuxième, il s’agit de personnes jouant un rôle central dans la société. Voilà la source de la pérennité de la distinction proposée par l’anthropologue I.M. Lewis (1971) entre cultes périphériques et cultes centraux. Cette distinction est pertinente pour beaucoup de sociétés en Afrique et en Asie[4], ainsi que pour l’Himalaya central.

Le fait majeur, à travers ces complexités, est précisément le changement de subjectivité signalé par le changement d’identité du sujet. Ce n’est pas le même sujet, nous disent les participants avec une unanimité troublante à travers temps et espace[5]. Et si on prend comme norme une continuité de la conscience – ce qui semble être le cas pour beaucoup de sociétés, peut-être toutes, y compris la nôtre – alors une telle altération dans l’économie générale de l’expérience vécue ne peut être conçue que comme présumant un état altéré ou modifié de conscience, une dissociation, un état passager de transe ou d’extase.

Médiums, malades et médecins

Dans son livre de synthèse sur la possession, le psychologue autrichien T.K. Oesterreich inclut certains types de cas psychiatriques modernes. Mais il fait une différence liée, précisément, à l’expression d’une subjectivité seconde :

Envisagés de l’extérieur... les états sont semblables ; mais au point de vue psychologique... ils sont totalement différents. La différence paraît dépendre de l’attitude que les patients prennent à l’égard de leurs crises. Aujourd’hui ils les considèrent comme des phénomènes naturels, des manifestations pathologiques... Autrefois par contre, l’idée de possession intervenait et occasionnait un développement automatique des compulsions vers les personnalités secondes. D’après les comptes rendus, aucune personnalité seconde ne parle jamais par la bouche des patients modernes... [C]’est là une différence si profonde que, du moins au point de vue psychologique, on ne saurait parler en aucune façon de l’identité des états.

Oesterreich 1927 [1921] : 163-164[6]

Mais Oesterreich, qui d’ailleurs n’hésite pas à noter les parallèles entre les possédés classiques et les hystériques modernes, a tort de dire qu’une personnalité seconde ne parle pas par la bouche de ces patients modernes. Il est même un peu étonnant qu’au moment de la rédaction de son livre paru en 1921, il ne semble pas avoir pensé aux cas de personnalité multiple pourtant bien documentés et même célèbres depuis la fin du XIXe siècle, et qui sont justement définis par cette caractéristique (Rieber 2006).

À l’occasion d’une apparente explosion de cas de subjectivités multiples, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, on a observé la même distinction entre des cas considérés pathologiques et des cas considérés comme simplement frappants ou utiles que celle qui prévaut entre possessions fastes et néfastes dans l’Himalaya ou ailleurs. En fonction, au moins en partie, de sa capacité de fonctionner « normalement » en dehors de ses transes, et également de l’attitude globale du chercheur ou clinicien, l’individu à travers lequel s’exprime une subjectivité seconde va être considéré comme un malade à traiter ou comme un médium à consulter.

Un nombre impressionnant des fondateurs des sciences modernes de l’esprit côtoyaient les médiums, ou fondaient leurs disciplines sur des cas de conscience divisée ou multiple. Faire l’histoire de ce rapport irait bien au-delà des limites de ce texte, et également au-delà de mes compétences. Parcourons, cependant, quelques cas particulièrement frappants.

Au Moyen Âge et à la Renaissance, on observe des vogues de possession démoniaque (néfaste) et de mysticisme chrétien (faste). Avec le prestige des sciences naturelles au XIXe siècle, on ne pouvait plus interpréter ces présences comme démoniaques ou bien divines. Restait néanmoins la division entre présences fastes et néfastes. Ces dernières, liées à des troubles et des incapacités personnelles, étaient interprétées scientifiquement comme des maladies, d’où la fascination en grande partie psychiatrique pour les cas d’hystérie et de personnalité multiple. Les présences voulues, cherchées, par contre, étaient interprétées comme des communications avec les esprits des morts ou des âmes réincarnées dans les courants du spiritisme et d’occultisme, d’immense popularité dans les mêmes strates sociales d’où venaient les scientifiques – courants dont, il faut se rappeler, plusieurs de ces scientifiques étaient partisans. Là où les scientifiques n’acceptaient pas cette attribution, ils essayaient d’expliquer le phénomène dans des termes psychologiques, comme dans le cas du psychologue Théodore Flournoy, mais souvent avec ce qui nous semble aujourd’hui une remarquable ouverture à la possibilité de communications surnaturelles.

Un regard sommaire sur cette masse de données cliniques et théoriques trouve un nombre limité de types d’approche. Tous présument qu’il y a quelque sorte de processus mental inconscient – et ce en dépit d’une tradition occidentale qui identifie vie subjective, pensée et conscience. Il s’agit des approches clinique, ludique, culturelle et archétypale[7].

Clinique : la « double conscience » comme affliction

En 1882, Mlle Bertha Pappenheim (1859-1936) se fait hospitaliser à Vienne sous les bons soins du Dr Josef Breuer (1842-1925), qui remarque chez elle deux subjectivités qui alternent, dont une, la subjectivité « normale », ne se souvient pas des périodes où elle est « altérée ».

On notait chez elle deux états tout à fait distincts qui, très souvent et de façon imprévisible, alternaient et qui, en cours de la maladie, se différencièrent toujours davantage l’un de l’autre. Dans l’un de ces états, elle reconnaissait son entourage, elle... se montrait... relativement normale ; dans l’autre, en proie à des hallucinations, elle devenait « méchante » [...]. [S]i, pendant cette phase, l’on modifiait quelque chose dans la pièce, si quelqu’un venait à entrer ou à sortir, elle... remarquait les lacunes de ses propres représentations conscientes...

Dans ses moments de pleine lucidité, elle se plaignait de ténèbres dans son cerveau... qu’elle avait deux « moi », l’un qui était le vrai et l’autre, le mauvais, qui la poussait à mal agir, etc.

Freud et Breuer 1956 [1895] : 16-17

Breuer traitait Mlle Pappenheim, diagnostiquée comme hystérique, avec de l’hypnose, alors à la mode, mais il trouva plus efficace de la laisser parler en suivant ses propres associations à elle. C’est le début de la méthode psychanalytique, appelée « cure par la parole » par Mlle Pappenheim, et le cas de « Anna O. » – le pseudonyme que le médecin lui donne – sera la première pièce dans les Études sur l’hystérie de Josef Breuer et de son collègue Sigmund Freud (1856-1939), qui, en 1895, mettra au monde la première psychanalyse.

À ce stade, Breuer et Freud insistaient sur l’universalité des « états hypnoïdes » chez l’humain ; ils considéraient la division de la conscience comme la source, le fait central, de toutes les hystéries :

[L]a dissociation du conscient, appelée « double conscience » dans les observations classiques, existe rudimentairement dans toutes les hystéries. La tendance à cette dissociation, et par là l’apparition des états de conscience anormaux que nous rassemblons sous le nom d’états « hypnoïdes », serait, dans cette névrose, un phénomène fondamental.

Breuer et Freud 1956 [1895] : 8

En ouvrant le champ d’investigation à toutes les manifestations de l’inconscient, Freud va subséquemment cesser de privilégier les situations qui impliquent un état hypnoïde. Dans L’interprétation des rêves (1967 [1900]), il offre et illustre une méthode pour retracer le mouvement des associations entre idées, images et mots pour postuler l’opération de processus inconscients de transformation de matériaux (le « travail du rêve »). Pour Freud, ces processus opèrent sur des contenus refoulés, à savoir oubliés et non pas directement disponibles au sujet, mais qui émergent dans les rêves, les actes manqués et les symptômes névrotiques.

En 1885, le médecin Pierre Janet (1859-1947), installé en Normandie, rencontre et commence ses études sur Mme Léonie Leboulanger, connue dans la région pour passer entre deux « personnes » à personnalité fort différentes, appelées Léonie et Léonide. Janet découvre qu’il peut précipiter ce passage par l’hypnose. Ses recherches seront rendues publiques à Paris cette année-là par son oncle Paul Janet, philosophe célèbre, devant un public qui inclut le grand neurologue Jean-Marie Charcot et son élève le jeune Freud (Bizub 2006 : 72). Les expériences avec Mme Leboulanger, ainsi que d’autres qui mettent également en évidence une pluralité de personnalités, alimentent le livre L’automatisme psychologique (Janet 1889). Pour Janet, Mme Leboulanger est une hystérique ; mais elle sera reconnue comme médium dans les milieux spiritistes – « la Voyante du Havre » – et consultée en 1895 pour révéler des secrets dans l’Affaire Dreyfus (Bizub 2006 : 73).

Dans sa discussion de tels cas, Janet pose une quasi identité entre la « double conscience » hystérique et celle de la possession.

Le malade... entend sa propre bouche lui commander ou le railler ; il résiste, il discute, il combat contre un individu qui s’est formé en lui-même... N’est-il pas raisonnable quand il se dit possédé par un esprit... ? Comment douterait-il, quand cette seconde personnalité, empruntant son nom aux superstitions dominantes, se déclare elle-même Astaroth, Léviathan ou Belzébuth ? La croyance à la possession n’est que la traduction populaire d’une vérité psychologique.

Janet 1889 : 440-441

En 1898, le psychiatre américain Morton Prince (1854-1929), qui, comme Janet et Freud, avait étudié sous Charcot à Paris, rencontra l’étudiante Clara Norton Fowler, un des cas classiques de personnalité multiple. Sous le nom de Christine Beauchamp, Prince présenta son analyse du cas dans son livre Dissociation of a Personality (Prince 1906), qui utilise le terme « dissociation » introduit par Janet. Pour Prince, la division de la personnalité dans un tel cas était due à des événements traumatiques survenus pendant l’enfance, auxquels le sujet ne peut pas faire face. Depuis lors, cette interprétation reste le modèle de base pour le « multiple personality disorder ».

En 1899, l’adolescente Helene Preiswerk de Zürich découvre qu’elle a un don de médium et commence des séances où assistent famille et amis, dont son cousin, un étudiant en médecine de nom Carl Gustav Jung (Charet 1993 : 155-163). La thèse de Jung (1875-1961) en psychiatrie, De la psychologie des phénomènes dits occultes (Jung 1902), fait l’analyse de ces performances, qu’il traite comme des symptômes hystériques.

Jung va bientôt rencontrer Freud et devenir membre du groupe fondateur de la psychanalyse. Depuis les Études sur l’hystérie, ce dernier était devenu convaincu que l’inconscient se révélait autant dans tous les moments de la vie où le sujet ne croit pas penser – les rêves, les actes manqués – que dans des « états hypnoïdes », et chez la personne normale autant que chez l’hystérique ou le médium. Pour la psychanalyse, la question de la validité de l’occulte va rester ouverte – en particulier, Freud lui-même et Sandor Ferenczi vont continuer à s’intéresser à la télépathie comme possibilité – et l’étude des mythes et des symboles va rester un de leurs domaines de prédilection. On doit à cet intérêt les grandes études comparatives d’Otto Rank (1983 [1909]) sur les mythes, et d’Herbert Silberer (1914) sur la symbolique. Mais les psychanalystes n’ont rien produit de comparable sur la possession et le chamanisme, pour lesquels les essais de synthèse sont dus à des psychologues (Oesterreich 1921), des historiens (Chadwick 1942), des historiens des religions (Eliade 1951), des ethnomusicologues (Rouget 1990) et des anthropologues (Bourguignon 1976 ; Hell 1999 ; Perrin 2002 ; Klass 2003). Quand, pour sa part, Claude Lévi-Strauss (1958 [1949]) veut parler des parallèles entre psychanalyse et données ethnographiques, il choisit de n’analyser ni un cas de possession – que l’on pourrait concevoir comme analogue à certains états hystériques – ni un cas de voyage chamanique – qui pourrait renvoyer aux rêves –, mais un rituel qui n’implique aucun « état hypnoïde » : le chant d’un chamane kuna du Panama, un rite verbal apparemment efficace mais qui touche la patiente par un pur jeu de métaphores. Par contre, c’est de cette analyse et de la notion d’efficacité symbolique, ainsi que de l’idée du mythe individuel du névrosé proposé pour la première fois dans ce texte, dont Jacques Lacan va s’inspirer pour élaborer une psychanalyse particulièrement ouverte à l’anthropologie (Zafiropoulos 2003).

Un inconscient créatif et ludique

En 1885, à Boston, le psychologue américain William James (1842-1910) commence à fréquenter Mrs Leonora Piper, célèbre médium. À son tour convaincu et sceptique de la réalité du don spirituel de Mme Piper, James se basera sur les transformations de la personnalité telles que celles qui apparaissent dans le médiumisme pour émettre l’argument que la conscience humaine est fondamentalement multiple (Pintar et Lynn 2008 : 90).

En 1894, à Genève, le psychologue Théodore Flournoy (1854-1920), ami de James sur lequel il va ensuite écrire un livre, commence à assister aux séances de la voyante Catherine-Elise Muller (1861-1929). En état de transe, Mlle Muller raconte ses vies antérieures en Inde ancienne et sur la planète Mars, et va jusqu’à produire des textes en « sanskrit » et en martien ; plus tard viendront des textes de langue ultramartienne et uranienne. Flournoy veut garder l’esprit ouvert quant à ces manifestations, et il invite son ami le philologue Ferdinand de Saussure à venir vérifier la nature du « sanskrit » : d’après Saussure, ces vocables n’ont rien d’anti sanskrit (Todorov 1977 : 323-338 ; Yaguello 1983, 1984 : 109-130). Quant aux autres langues, Flournoy soupçonne que leur structure et leur phonologie sont des variations sur le français. Il publie son rapport, sous le titre Des Indes à la planète Mars, au moment précis où Freud publie L’interprétation desrêves – les deux livres paraissent en effet en décembre 1899 et portent la date 1900. L’année suivante, le linguiste français Victor Henry va établir le caractère dérivé du martien dans son livre Le langage martien (Henry 1901). Sous le nom d’Hélène Smith, pseudonyme utilisé par Flournoy pour la désigner dans son livre, Mlle Muller va connaître une longue et illustre carrière comme voyante[8].

Flournoy, certes, utilise un langage clinique, parlant, par exemple, de « fixer les rapports de la médiumité avec les autres affections fonctionnelles du système nerveux » (Flournoy 1983 [1900] : 359). Mais son modèle global est basé sur des souvenirs enfouis – des « cryptomnésies » – qui peuvent être réactivés pour aboutir à de « grandes constructions » (Flournoy 1983 [1900] : 360). Il propose de voir l’inconscient comme un domaine de recombinaison des données dans une « fantaisie créatrice » (Cifali 1983 : 373), fruit d’une « imagination subliminale ».

L’élaboration subliminale – sub limen, unter der Schwelle, sous le seuil – peut atteindre un degré de complexité qui ne le cède en rien au travail de composition et réflexion du penseur et du romancier.

Flournoy 1897, cité par Cifali 1983 : 374

Remarquant le plaisir qui accompagne l’édification des personnalités et des « romans », Flournoy plaide « en faveur de ce qu’on pourrait appeler la théorie jocale […] à moins qu’on ne préfère [le terme] de ludique » (Flournoy 1902 : 250). Il n’hésite pas, ailleurs, à citer une « imagination créatrice subconsciente » (Flournoy 1905 : 36). Ce qu’il va chercher, ce sont les sources possibles des éléments des constructions de ses sujets, ainsi que les processus de jeu et de création qui mènent à leurs productions. En 1899, il commence à travailler avec une jeune Américaine, Miss Frank Miller (1881- ?), alors en voyage d’études en Europe, qui manifeste – et sait qu’elle manifeste – une imagination intense qui frôle le médiumisme, mais qui essaie de rester à l’écart de ses expériences pour les observer, les noter et les analyser. Voilà la grande différence entre Miss Miller et Mlle Muller. Sous l’égide de Flournoy, Miss Miller produit un document remarquable, dans lequel elle présente plusieurs visions et deux poèmes qui lui sont venus tout faits en rêverie ou carrément en rêve. Elle utilise ensuite la méthode de Flournoy pour retracer les sources possibles de ses images dans la vie quotidienne et dans son histoire personnelle. Ce texte sera publié sous son nom en 1905, en traduction française, avec une préface de Flournoy. Chez Miss Miller, donc, on a une personnalité proche d’une double conscience, un « médium en herbe », mais qui reste observatrice. Elle sert, en fait, d’anti médium, offrant des explications pour ce qui pourrait apparaître comme des manifestations surnaturelles. Telle est clairement sa présentation lors de la publication d’une version anglaise de son texte dans le premier numéro de l’American Journal of Psychical Research en 1907. L’article est introduit par James Hyslop, un autre des anciens professeurs de Miss Miller :

L’article est particulièrement intéressant et important car il illustre ces fonctions mentales qui pour le moins stimulent les personnalités indépendantes de la conscience normale et il est publié ici à titre d’exemple de ces phénomènes que de nombreuses personnes qui sont peu familières avec les complexités de la recherche psychique prennent à tort pour des personnalités étrangères.

Hyslop 1907 : 287[9]

L’idée d’un inconscient ludique, créateur, sera du plus grand intérêt pour ceux qui essaient de comprendre ce qui se passe dans les pratiques de possession. Mais il reste que les cas d’hystérie et de personnalité multiple ne sont pas vécus comme des jeux, mais, d’après la littérature clinique, plutôt comme des traumas ou des réactions à des traumas : ils correspondent à des souffrances réelles. Il est frappant que l’on puisse dire la même chose des cas de possession néfaste, non voulue, également vécus comme des afflictions, mais dans lesquels les rapports avec la possession oraculaire, positive, sont évidents.

Un inconscient culturel

En 1883-1884, le jeune géographe Franz Boas (1858-1942) faisait un terrain d’un an de recherche chez les Inuit de l’Ile de Baffin. Boas témoignait d’une variété de pratiques chamaniques, qu’il décrit pour la plupart sans jugement de valeur. Mais dans un petit paragraphe, il révèle sa conviction de la réalité de ces expériences, sinon des esprits :

Je dois ajouter ici que la plupart des Angakut croient eux-mêmes dans leurs performances, car par leurs cris et invocations continus ils tombent dans une extase et imaginent véritablement qu’ils accomplissent leurs vols et voient les esprits.

Boas 1888 : 594[10]

Quelques années plus tard, en 1886, Boas commençait ses recherches chez les Kwakiutl (pour lesquels on utilise aujourd’hui l’ethnonyme Kwakwaka’wakw) de la Colombie-Britannique. Ici encore, il témoignait d’une série de transformations apparentes et spectaculaires dans les identités de certains participants lors des cérémonies d’hiver. Dans ce cas aussi, il accepte la réalité de ces expériences en tant qu’expériences vécues et cite même des théories sur la suggestion pour les expliquer (Boas 1940 [1895] : 382).

Boas, selon sa tendance (Leavitt 2011 : 130-132), considérait ces événements comme autant d’éléments faisant partie de totalités culturelles. Dans n’importe quelle société, les nôtres incluses, la vaste majorité des règles ou des patterns culturels va rester en dehors de la prise du jugement conscient. Ici, le modèle sera la langue, que Boas voit comme un aspect de la culture, dont les règles sont tellement complexes qu’elles dépassent la capacité de la conscience. La pratique de n’importe quelle langue, avec sa structuration phonologique et grammaticale, insistait Boas (1911 : 67), doit nécessairement se faire massivement à un niveau non conscient. Ni trop troublants, ni trop mystérieux, les processus linguistiques sont trop complexes pour être tenus dans la conscience.

Il s’agit donc d’un autre type d’inconscient, des règles sociales aussi inconscientes que les règles linguistiques, et qui sont le résultat de la force de l’habitude. En 1909[11], Boas défendait explicitement cette notion d’inconscience culturelle. Ses exemples sont les règles sociales, comme les manières de table, mais son modèle est clairement la langue, dont les « classifications ne montent jamais jusqu’au niveau de la conscience » (Boas 1910 : 377, notre traduction).

On n’a pas réussi à arrimer ce genre d’inconscient culturel à celui de Freud d’une façon qui fasse consensus, malgré de réels efforts (voir Sebag 1964 ; Leavitt 2005). L’inconscient boasien, qui n’est pas refoulé mais qui n’est pas non plus immédiatement disponible à la conscience, se situerait peut-être au niveau de ce que Freud appelle le préconscient, ou l’inconscient au sens descriptif. Le modèle boasien va continuer comme un présupposé pour beaucoup d’anthropologues, surtout en Amérique du Nord, et joue un rôle fondamental dans les idées de Lévi-Strauss (Rossi 1974).

Un inconscient collectif universel

Déjà dans sa thèse de 1902, Jung se montre frappé par les parallèles apparents entre les fantasmes de son médium et les différents thèmes qui émergent dans les littératures et religions du monde. Jung, fasciné les données sur la possession, à la fois dans ses manifestations européennes et dans la littérature ethnographique (Stephenson 2009), était de plus en plus attiré par une notion universelle d’inconscient collectif dont la morphologie se révèlerait dans des archétypes qui reviennent dans les rêves, les symptômes psychiatriques et les mythes de tous les peuples. Pour Jung, l’inconscient reste le dépositaire des formes universelles, des archétypes propres à l’humain.

Jung annonce son nouveau système, et conclut sa rupture avec Freud, avec la publication du livre Transformations et symboles de la libido en 1912 (version élargie, Jung 1953 [1952]). Or, l’argument central de ce livre est basé non sur un cas clinique, mais sur l’analyse des écrits hypnagogiques de notre Miss Miller, que Jung n’avait jamais rencontrée et dont il ne connaissait que l’unique publication. Jung fait des liens entre les thèmes soulevés par Miss Miller et une vaste gamme de thèmes mystiques et occultes tirés de nombreuses traditions. Sa conclusion clinique est que Miss Miller n’a pas vraiment fait face à ses propres désirs et conflits et sera vouée à des problèmes psychologiques graves, même à la schizophrénie. Or, dans la préface à la deuxième édition du livre, publiée en 1924, Jung dit que non seulement Flournoy avait confirmé son interprétation, mais encore qu’il avait reçu en 1918 « une confirmation précieuse » d’un collègue américain qui lui disait avoir hospitalisé Miss Miller en 1909 pour schizophrénie, et que l’analyse de Jung « était à ce point exhaustive que la connaissance de la malade ne lui avait pas appris “un iota de plus” sur sa mentalité » (Jung 1953 [1952] : 61). Des recherches subséquentes ont trouvé qu’en fait Miss Miller avait été hospitalisée pour fatigue et était restée moins d’une semaine à l’hôpital. Et des études féministes suggèrent qu’un diagnostic de schizophrénie était tout à fait commun à cette période pour les jeunes femmes nouvellement libérées de leurs familles (Shamdasani 1990).

Jung fait référence à la possession, à l’occulte, aux médiums à travers sa carrière, les interprétant, comme ici, comme résultant d’une incapacité du sujet à reconnaître les forces à l’oeuvre dans son propre inconscient.

Notons, pour conclure cette section, les imbrications remarquables entre plusieurs des personnes en cause. Nous avons déjà vu Janet, Freud et Prince chez Charcot, ainsi que les liens entre Flournoy et James, et Flournoy et Saussure. Flournoy était également proche de Jung, qui voulait traduire Des Indes à la planète Mars (Flournoy 1983 [1900]) en allemand. Raymond de Saussure, fils de Ferdinand, épousa la fille de Flournoy, et fut introduit par ce dernier aux idées psychanalytiques ; il a été analysé d’abord par Sigmund Freud, puis par Rudolf Loewenstein, et devint un célèbre psychanalyste ; son beau-frère Henri Flournoy, également psychanalyste, a été analysé par Jung. Loewenstein a aussi été l’analyste de Lacan, qui plus tard voudra repenser la psychanalyse à travers la linguistique de Saussure. Freud, Jung, Boas et James ont tous été présents au colloque de 1909 à l’Université Clark. En lisant les conférences données à ce colloque, on a la forte impression que plusieurs inconscients ont manqué de se rencontrer (Shamdasani 2003 : 277). Le vrai lien de sympathie établi paraît avoir été entre Jung et James, qui passaient deux soirées à discuter... des médiums et des esprits (Charet 1993 : 194-195).

Personnalité multiple et stéréotypes sociaux

Qu’est-ce qui se manifeste au moment de la possession ? Qui parle ? Si nous définissons la subjectivité comme ce qui occupe la place indiquée par la première personne, alors les dieux et ces esprits sont des sujets. Mais à la différence des sujets mortels, ces sujets « virtuels » sont issus non pas d’un processus d’hominisation et de socialisation toujours singulier, avec ses accidents et ses défaillances toujours uniques (Althusser 1964), mais plutôt d’une histoire sociale. Ce serait en effet des constructions collectives.

C’est en tout cas ce que suggère Michel Leiris dans ses études sur la possession par les esprits zâr en Éthiopie, quand il écrit à propos d’un des médiums :

[J]’en suis arrivé à considérer que ses zâr lui constituaient une sorte de vestiaire de personnalités qu’elle pouvait revêtir selon les nécessités et les hasards divers de son existence quotidienne, personnalités qui lui offraient des comportements et des attitudes tout faits, à mi-chemin de la vie et du théâtre.

Leiris 1958 : 8[12]

Quand Leiris parle des états de transe comme étant « théâtraux », ce n’est pas pour mettre en doute leur authenticité vécue, mais pour insister sur ce caractère stéréotypé :

[J’utilise] le qualificatif de « théâtrale » en raison non seulement de ce qu’il entre, dès le principe, de conventionnel dans ses formes définies par le rituel mais encore de la façon dont on y voit intervenir un lot de personnalités imaginaires aux traits donnés une fois pour toutes, que le patient représente d’une manière objective.

Leiris 1958 : 9

De manière parallèle, un des aspects les plus frappants du discours oraculaire et possédé, dans tous ses modes, est son caractère stéréotypé. Supposé venir de dieux, d’esprits, de démons ou des ancêtres, il s’agit en fait soit d’un discours hautement normatif, proféré au nom de personnages incarnant en quelque sorte la collectivité – des rois divinisés, par exemple – soit, dans la possession « sauvage », non voulue, d’un discours anti normatif, qui transgresse précisément ces normes partagées.

Chez nous, les modernes, qui faisons partie de sociétés dominées par des idéologies individualistes, les « consciences secondes » représenteraient en principe quelque chose d’unique à l’individu en question, et donc interprétable par rapport à sa propre vie et à ses obsessions, elles aussi singulières. Si nous prenons au sérieux la notion lévi-straussienne, puis lacanienne, d’un « mythe individuel du névrosé » (Lacan 2007 [1953] ; Lévi-Strauss 1958 [1949] : 220), une formation qui serait typique de la modernité, cette singularité s’explique alors aisément : nous sommes tous différents les uns des autres car un de nos devoirs fondamentaux est de se faire unique. Nous aurions chacun(e) notre propre mythe, ou bien nos propres mythes, et ce sont des aspects de ce(s) mythe(s) qui « montent » à la « surface » dans des états de rêve ou de dissociation, quand nos défenses sont affaiblies. Dans une autre société moins désespérément individualiste, on peut s’attendre à ce que ce soit quelque chose de nature plus collective qui émerge dans ces moments-là. Et ce serait cela, la parole oraculaire et la possession.

Or, malgré ce que je viens de dire sur l’idéologie individualiste moderne, en fait, ces idées stéréotypées s’appliquent aussi bien à la modernité récente qu’à des « sociétés à possession ». À chaque période, dans chaque milieu, il y a un nombre limité de façons acceptables, reconnaissables, de se faire unique.

Janet, en particulier, remarque la banalité et la prédictibilité des énoncés sortant des états de transe : que les grands philosophes morts qui reviennent à travers les médiums ne disent que des platitudes ; et que les grands poètes contactés dans l’au-delà ne produisent que de mauvais vers (Janet 1889 : 390 ; Valsiner et van der Veer 2000 : 69). Dans les « romans » de Mlle Muller, dans les poèmes et scènes hypnagogiques de Miss Miller, il y a un style à l’eau-de-rose qui les marque comme typiques de leur milieu et de leur période.

Nous avons vu qu’un des traits les plus frappants de l’hystérie telle qu’on la concevait à la fin du XIXe et au début du XXe était la présence de plusieurs personnalités chez ce qui apparaît de prime abord comme un seul locuteur. Assez vite, ce sont d’autres aspects de cette entité clinique qui sont passés à l’avant-plan, dont en particulier des manifestations psychosomatiques, et qui ont fini par définir l’hystérie de conversion (conversion de problèmes psychiques en symptômes corporels). Toutefois, la multiplication des identités a continué à mener sa propre vie, située quelque part entre la psychiatrie, la psychologie clinique et la culture populaire, avec relativement peu d’incidences sur la psychanalyse.

De nouveau, on est frappé dans les cas de personnalité multiple par la nature hautement stéréotypée des personnalités en cause. Dans ses grandes manifestations, le syndrome de personnalité multiple, surtout en Amérique au début et à la fin du XXe siècle, a précisément fait l’objet de controverses à cause (entre autres) d’une sorte de familiarité culturelle. Trois cas célèbres ont mené à des publications dans des livres à immense succès : d’abord celui de Prince (1906), puis The Three Faces of Eve (Thigpen et Cleckley 1957) et Sybil (Schreiber 1973), ces deux derniers étant des mises en fiction de cas réels ; ils ont tous les deux été transposés dans des films extrêmement populaires[13]. On a même soutenu que l’épidémie de cas de personnalités multiples que l’on a connue dans les années 1990 était inspirée par le succès du film Sybil.

Dans ces cas-là, les différentes personnalités en cause sont aussi clairement typées que dans une séance de possession. On peut aller plus loin : des quinze cas fondamentaux de personnalité multiple présentés dans le bilan historique de Robert Rieber (2006, partie III), tous ceux qui impliquent des femmes américaines montrent au moins une opposition entre une première personnalité, remarquable par sa timidité ennuyeuse, et une autre également remarquable par sa transgressivité charmante. « À la différence de Mary [la première personnalité], Sally [la deuxième] était espiègle et un peu méchante »[14] et faisait toutes sortes de mal à Mary (cas de Sally Beauchamp, publié en 1906, Rieber 2006 : 145) ; Doris, la première personnalité, était timide et contrôlée, là où Margaret, la deuxième, avait « un caractère gamin charmant... gâché par un cruel trait de jalousie »[15] (cas de Doris Fischer, années 1940 ; Riever 2006 : 155-156) ; Chris White est « timide et excessivement modeste », là où Chris Black est « folâtre » (cas de « Eve », années 1950 ; Rieber 2006 : 175). Dans une publicité pour le film, le metteur en scène des Three Faces of Eve révèle qu’il reconnaît le caractère prévisible de ces personnalités et commente, avec ironie : « Et puis émerge, finalement, ce troisième spécimen de jeune féminité »[16]. Des seize personnalités de Sybil, ou des quatre-vingt douze de Truddi Chase (années 1980), les plus actives sont également typées.

Dans tous ces cas, on retrouve la personnalité prude, contrainte, et la libertine, la dévergondée ; on rencontre aussi souvent un petit enfant, ou bien une intellectuelle. Ce ne sont ni des archétypes mythiques universaux, ni une sorte d’échappatoire aux pressions qui pèsent sur un individu totalement unique, la personnalité charmante et méchante permettant de laisser sortir ce qui est refoulé par l’autre. Ces images mêmes qui font contraster la personne sérieuse et réprimée avec la personne libre de suivre ses désirs, quel qu’en soit le coût, sont des stéréotypes de la culture populaire moderne. Aux jeunes femmes qui semblent constituer la plus grande partie de la population souffrant de ce « désordre », ces images offrent presque un panthéon de « types » de personnes, types qu’on retrouve dans les écoles secondaires et massivement dans la littérature, les films et les émissions télévisées pour adolescent(e)s : la fille gentille mais froide et peureuse, la méchante et charmante séductrice et manipulatrice, la jeunette trop jeune pour son âge, l’intellectuelle à lunettes...

On semble avoir ainsi, même dans notre modernité individualiste, une tendance à stéréotyper un « vestiaire » limité de personnalités disponibles. Cela soulève une question à propos du modèle censé universel de Jung. Son inconscient collectif est habité, ou hanté, par des personnages étrangement familiers : Papa, Maman, le vieux sage, le rival, avec au centre le couple amoureux – qu’il fait figurer, lui, comme Roi et Reine (Jung 1980 [1946]). Est-ce que ces archétypes nous sont familiers parce qu’ils font partie du patrimoine humain en tant que tel ? Ou bien parce qu’ils font partie de celui de l’homme occidental, et en particulier moderne ?

Où mène la Via regia ?

Nous avons vu que Freud, en fondant la psychanalyse, s’est détourné du rôle central joué par la dissociation et les états hypnoïdes, c’est-à-dire des phénomènes qui suggèrent un rapprochement entre hystérie et possession, pour se centrer sur d’autres manifestations de l’inconscient : une gamme de symptômes névrotiques, les actes manqués et surtout les rêves, dont la place royale est affirmée dans une phrase ajoutée à l’édition de 1909 de L’interprétation des rêves :

L’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique. […] En analysant le rêve, nous pénétrons quelque peu la structure de cet instrument, le plus stupéfiant et le plus mystérieux de tous.

Freud 1967 [1909] : 517

Freud utilise à peu près la même terminologie lors de sa communication, en allemand, au colloque de l’Université Clark (Freud 1991 [1909] : 73) – cette fois devant un public qui inclut Jung et Boas, conférenciers eux aussi.

Cette voie royale mérite en elle-même quelques mots. « Voie royale » en français ne suggère pas grande chose, si ce n’est le titre du roman d’André Malraux ; en anglais, Royal Road, à part l’allitération, n’est guère plus suggestif, et « the King’s highway » a des résonances surtout historiques et romantiques. On aurait l’équivalent en allemand : mais ce n’est pas ce que Freud choisit ici. Dans la Traumdeutung et dans la conférence à Clark, il utilise un terme latin dans cette première phrase : « Die Traumdeutung aber ist die Via regia zur Kenntnis des Unbewußten im Seelenleben ».

Ici, les différences entre les langues sont frappantes, malgré l’exactitude référentielle de la traduction française due à I. Meyerson[17]. Ainsi, la phrase en allemand débute par un mot qui suggère, au moins, un orgueil autoréférentiel : Die Traumdeutung n’est pas seulement une activité, c’est le titre du livre qui contient cette phrase... Le dernier mot, Seelenleben, a des résonances autant avec la vie de l’âme qu’avec la vie mentale. Entre les deux, ce n’est pas une königliche Weg à laquelle se réfère Freud, mais à la Via regia. Or, pourquoi ce choix d’un terme latin ?

Dans un article récent, Susan Sherwin-White (2003) maintient que l’usage du terme latin via regia fait référence d’abord à l’ancienne voie royale de l’empire persan, dont parle Hérodote dans ses histoires, et ensuite aux exploits d’Alexandre le Grand, qui a utilisé cette route bâtie par les Persans et qui mène au roi persan, pour finalement détruire cet empire et ce roi. Or, on sait que Freud connaissait bien Hérodote et qu’Alexandre était un de ses héros de jeunesse ; cette interprétation est donc parfaitement plausible. Mais dans ce cas, on ne comprend pas, d’abord, la raison du latin : si la source est Hérodote, Freud n’aurait-il pas utilisé soit la traduction allemande, soit le terme grec (basilikē hodos) ?

Il y a une autre possibilité. Les « voies royales » ne sont pas rares dans le monde : cela semble avoir été une des fonctions royales, dans beaucoup de sociétés, de garantir le passage sur au moins une route centrale du royaume. Notons, par exemple, que le village où j’ai rapporté, en début d’article, avoir été témoin de l’intervention de la voix de l’ancien roi, est situé sur l’ancien Rāj Mārg, la Voie royale, qui menait des plaines de l’Inde du Nord jusqu’à Almora, capitale de l’ancien Royaume du Kumaon. Pour le lecteur germanophone, Via regia est un terme à la fois exotique dans son latinisme et tout à fait familier : c’est le nom communément utilisé d’un ancien chemin qui traverse l’Allemagne, dont la partie la mieux connue va de Leipzig à Francfort, et qui était anciennement protégé par les rois. Cette Via allemande fait partie d’une Via regia plus vaste, qui traverse l’Europe d’est en ouest, de Kiev à... Saint-Jacques-de-Compostelle. Dans le folklore médiéval et depuis lors, le chemin de Saint-Jacques est considéré comme la réplique terrestre de la Voie lactée. Si Freud a d’une certaine manière cette Via regia à l’esprit, il faut donc la penser également comme un chemin de pèlerinage, le chemin de pèlerinage, sur lequel on souffre, par lequel on passe à travers les enfers[18], mais pour atteindre enfin le paradis de la connaissance, c’est-à-dire le Roi[19].

Est-ce que cette forme de dénomination de la voie royale nous indique quelque chose sur l’endroit vers lequel elle nous mène ? La métaphore de la voie est solidaire de l’autre métaphore fondatrice de toute la démarche freudienne : d’abord, les rêves se distinguent de l’expérience éveillée surtout en ayant lieu sur une scène différente ; et ensuite, cette scène différente (andere Schauplatz) est celle de l’Inconscient (Freud 1967 [1900] : 50, 455).

Toutes ces associations suggèrent un rôle proprement héroïque et chamanique[20] associé à l’explorateur de l’inconscient. La route du rêve est, évidemment, visionnaire : on suit une piste, on voyage dans « l’autre scène ».

Si nous concluons quelque chose de cette diversité de raisons qui pourraient sous-tendre le choix du terme latin Via regia, c’est qu’il indique une route sûre, qui mène de la façon la plus convenable et la plus appropriée au but désiré. Qu’on la suive vers l’est en conquérant ou vers l’ouest en pèlerin, prendre la voie royale est une façon de ne pas s’égarer en chemin. Dans la métaphorique freudienne, elle mène à l’autre scène de l’Inconscient. Encore un croisement : Freud emprunte l’image du rêve comme une autre scène des Éléments de psychophysique de G.Th. Fechner (1801-1887)[21] – dont la théorie psychophysique inspirait les premières recherches du jeune Boas.

Voix royale

Or si le rêve est universel chez l’homme, la possession ne l’est pas. Mais avec la possession, quelqu’un s’adresse directement à nous à partir d’une deuxième conscience. Il s’agirait d’une voix de l’inconscient, plutôt que d’une voie vers l’inconscient ; non pas d’une autre scène perçue, mais d’un autre sujet entendu.

Ce jeu de mots qui donne une voix royale[22], une vox regia, suggère une voix qui émane du lieu recherché, une voix importante, donc, qui mérite d’être entendue. S’il y a une généralité qu’on peut confirmer pour ces cas de possession qui impliquent la parole – à partir de toutes les entités qui annoncent leur présence et qui parlent à travers leurs oracles, leurs médiums ou leurs victimes – c’est qu’il s’agit de messages de la plus grande importance pour leurs interlocuteurs. En ce sens, toute voix possédée est une voix royale.

Un important sous-groupe de cas de possession oraculaire implique, littéralement, une voix royale. Dans le cas de l’Himalaya central (Leavitt 1997b), les anciens rois comptent parmi les figures les plus invoquées. Plus largement, les rôles de roi et de dieu-possesseur se superposent ou s’entretissent souvent dans cette région. On connaît non seulement des cas où le roi est pris pour une incarnation divine – ce qui est classique dans la civilisation hindoue – mais aussi des cas où une divinité elle-même apparaît comme le roi d’un territoire : son temple est la cour royale, et il gouverne à travers la bouche de son médium attitré, considéré comme son ministre (Lecomte-Tilouine 2009). Ailleurs aussi, on retrouve ce lien entre possession oraculaire et royauté divine. Différents exemples sont donnés dans les livres d’Oesterreich et de Chadwick : celui des rois de Tonga dans le Pacifique, où les rois morts se manifestaient à travers leurs médiums (Oesterreich 1931 [1921] : 278) ; ou bien, de manière tout à fait remarquable, celui des rois défunts du royaume d’Uganda qui possédaient chacun leur médium, à travers lequel ils se manifestaient régulièrement, se rendant ainsi disponibles comme conseillers pour leurs successeurs vivants. Les rois qui se présentaient de cette manière conservaient les traits de personnalité qui étaient les leurs dans leur vie sur terre, et les rois les plus anciens parlaient des dialectes archaïques (Chadwick 1942 : 32-39)[23].

Il est frappant que dans sa discussion générale de la symbolique des rêves, Freud nous dit que le roi et la reine représentent le père et la mère du rêveur. En l’occurrence, le dieu royal qui parle dans la possession himalayenne est très clairement identifié dans son rapport avec le public convoqué : il est le père, ou même peut-être la mère, de la collectivité. « Vous êtes les enfants de mon giron », dit-il, « les fleurs de mon jardin ». Roi ou parent, sévère ou indulgent, ce que suggèrent toutes ces figures est l’importance, la plénitude du message véhiculé. Quand le roi parle, il faut bien l’écouter.

Je ne veux pas exagérer ce que suggère ce jeu de mots entre voie et voix. Mais le passage de l’une à l’autre implique quelque chose qui peut nous être utile : un changement de direction. C’est le héros scientifique qui suit la voie royale qui mène, à travers les ténèbres et les dangers de la route, à la vérité. Au contraire, une voix royale sort des ténèbres et vient à nous : le chercheur n’est plus dans le rôle d’explorateur ou de conquistador, mais reçoit, écoute, et essaie de comprendre un message lourd de sens.

Conclusion

Dans un texte sur le rôle de la possession dans la genèse de la psychanalyse, Daniel Widlöcher écrit :

[L]a psychanalyse peut nous aider, en ne méconnaissant pas le rôle de l’état hypnoïde, à retrouver dans la conversion « névrotique » le sens et le mécanisme de la possession. Les descriptions cliniques les plus fines... nous montrent bien que l’expérience sociale de la possession utilise les mêmes mécanismes psychologiques que ceux de la conversion. Le refoulement des représentations, la réalisation d’un état hypnoïde, l’emprise d’un rêve éveillé permettent à la représentation collective de l’esprit de chevaucher le sujet. Dans cette perspective, l’hystérie de conversion ne serait qu’un avatar, privé de toute fonction sociale et soumis au jeu de conflit névrotique, d’une manière d’être dont tout homme serait riche, en puissance.

Widlöcher 1978 : 87

Cela semble très juste, à un point près. Il n’est pas évident que l’hystérie n’a aucune fonction sociale, pas plus que la possession périphérique, qui a certainement des effets sociaux et personnels dans la vie du possédé et de son entourage (voir Obeyesekere 1977, 1981). Et il est certain qu’au moment de la formation de la psychanalyse, le médium spiritiste jouait un rôle social réel. Ce qui renforce l’idée fondamentale de cette citation : que dans ce domaine, comme dans d’autres, il est faux de tracer une ligne entre sociétés « traditionnelles » et sociétés « modernes ».

La tendance a été de traiter les pratiques de possession comme fondamentalement sociales, aptes à des analyses symboliques collectives, tandis que pour interpréter les cas de personnalité multiple, d’hystérie, ou de médiumisme, on recherche les particularités de la vie personnelle. Mais les travaux de plusieurs chercheurs[24] ont montré la place de l’histoire personnelle dans la genèse et la mise en oeuvre de « personnalités secondes » dans les sociétés traditionnelles ; et les exemples donnés ici suggèrent, au moins, la grande part du stéréotypé dans l’avènement de telles personnalités au sein des sociétés occidentales modernes. Revisiter les cas classiques des disciplines cousines en tant que parallèles semble une étape nécessaire pour une revitalisation des études sur la possession.

Même à l’intérieur d’une seule société, cette division entre le personnel et le collectif se reproduit. Dans la scène évoquée au début de ce texte, deux histoires personnelles s’imbriquent : histoire de la personne devenue véhicule, la bouche, du dieu ; histoire du dieu qui s’empare de ce véhicule et parle à travers cette bouche : dans ce cas, la voix royale. La tendance a été de diviser ces deux histoires comme relevant de disciplines différentes, la première étant psychologique ou psychanalytique, la seconde sociologique ou anthropologique. La question derrière ce texte est celle de l’applicabilité des méthodes de chaque discipline aux données inhabituelles : faire la sociologie de l’individu multiple, mais dont les différentes personnes sont culturellement stéréotypées ; faire la psychanalyse d’un dieu.

Peut-on concevoir un inconscient (ou bien des inconscients) qui serait à la fois collectif, « transpersonnel » si l’on peut dire, sans être pourtant ni universel ni purement abstrait, et qui serait capable de prendre voix ? Il s’agirait d’une construction historique, collective, partagée par des individus qui puisent dans un stock symbolique commun en grande partie inconscient – mais dans lequel il faudrait présumer des divisions, des fractures, une complexité comparable à celle de la société elle-même, ainsi qu’une puissance de jeu. Et il serait opératoire autant chez les modernes que dans les sociétés « à possession ».

Les anthropologues se doivent, il me semble, de puiser dans des théories non anthropologiques qui traitent des phénomènes qui les concernent. Dans le cas de la psychanalyse et des sciences qui naissent avec elle, qui toutes se basent sur un concept de l’inconscient, on a distingué trois groupements, en grande partie inspirés par les phénomènes de double conscience. Le plus difficile à accepter pour les anthropologues a été, et serait encore, la théorie de Jung d’un inconscient collectif universel. Les archétypes jungiens semblent trop spécifiques pour rendre compte de la diversité humaine, ainsi que trop proches des « archétypes » culturels de l’Occident pour être convaincants. Un deuxième groupe est le groupe clinique, dont la psychanalyse me semble l’aboutissement le plus achevé, surtout en menant à une théorie du fonctionnement des processus inconscients (le « travail du rêve »). Dans la révélation de processus qui ne sont pas, finalement, fondamentalement différents de ceux du jeu, la psychanalyse rejoint la vision de Flournoy d’une imagination créatrice inconsciente, qui recombine des éléments culturels et sociaux pour en faire des constructions qui peuvent surgir dans les fantasmes, les voyages visionnaires ou les personnalités secondes. Ce genre d’inconscient actif semble au premier abord très différent de celui, fait de règles culturelles et linguistiques, proposé par Boas, et plus familier aux anthropologues. Mais on peut concevoir le rapport entre les deux termes comme celui entre un code et l’usage de ce code ; car tout système linguistique se réalise dans la parole, et toute grammaire implique une poétique.