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Cet ouvrage sur les groupes de chasseurs-cueilleurs Atikamekw de la Haute Mauricie de la période 1760-1870 est vraiment bienvenu. En effet, si les ouvrages abondent sur les Cris et les Innus, il y en a peu sur leurs voisins du Nord, les Atikamekw. Il est donc intéressant de parcourir un nouvel ouvrage comme celui-ci, qui donne une image plus juste des groupes de chasseurs-cueilleurs nomades et de ce que furent les premiers contacts entre Eurocanadiens et Autochtones.

L’auteur a dépouillé de nombreux documents, tels les livres de comptabilité provenant des différents postes de traite, essentiellement de la Hudson’s Bay Company — détenant le monopole commercial de la région pendant plusieurs années — et des archives recueillies chez les missionnaires ayant eu des contacts avec les Atikamekw du temps (Jésuites et Oblats).

L’analyse quantitative des transactions saisonnières relevées à partir de divers livres de comptabilité révèle les déplacements saisonniers, l’adaptation progressive aux articles occidentaux (alimentaires, textiles), ce qui permet de tracer un portrait global du mode de vie des groupes Atikamekw, bouleversé par l’arrivée eurocanadienne sur leur territoire. L’analyse rend compte, entre autre, de l’importance que prit la chasse à des fins commerciales — au détriment de la chasse de subsistance — et comment celle-ci provoqua la quasi-disparition d’espèces animales. Gélinas rend compte des transformations qu’instaura progressivement la présence de l’économie commerciale dans le mode de vie traditionnel des chasseurs-cueilleurs nomades. Les premières parties du livre sont donc consacrées à la description générale de ce qu’était la réalité Atikamekw avant la venue des Eurocanadiens : une structure sociale souple intrinsèquement liée à leur mode de vie nomade de chasseurs-cueilleurs et adaptée à une niche écologique particulière. Par la suite, Gélinas expose comment ces chasseurs-cueilleurs en viennent à participer de façon active au commerce de la fourrure avec les postes de traite présents un peu partout. Et finalement, de façon plus brève, l’auteur traite de la présence des missionnaires et des conversions, qui contribuèrent aux transformations sociales désta-bilisantes de cette population.

Bien que la perte de certaines activités traditionnelles soit indéniable, l’auteur aborde pourtant le sujet dans une perspective de gestion autochtone éclairée de l’étranger et démontre l’état d’échange, de marchandage et de réciprocité installé entre les deux groupes. Gélinas nous transporte dans l’histoire et nous renvoie à une époque où la co-dépendance s’orchestrait à travers un environnement difficile et isolé, où l’adaptation des allochtones fut tout aussi difficile que l’adaptation des Autochtones à la présence définitive d’Eurocanadiens sur leur territoire de chasse. C’est en ce sens que l’ouvrage prend toute sa crédibilité, car il ne s’agit pas ici d’exposer une image « victimisante » et soumise des Autochtones face à l’étranger, mais bien de démontrer le choix lucide et pesé de troquer avec eux. Comme l’auteur l’ex-plique, les échanges étaient effectivement considérés entre les différents groupes d’Autoch-tones comme source d’interactions favorables à la circulation de pratiques et de croyances. Que ce soit donc au niveau des articles de chasse, de la nourriture ou des croyances religieuses, les échanges s’effectuaient dans un esprit d’enrichissement culturel.

Finalement, le point fort de La gestion de l’étranger est qu’il démystifie les premiers contacts entre Autochtones et Eurocanadiens. Il contribuera peut-être à transformer l’image négative que subissent encore les groupes d’Autochtones. Grâce à la compréhension des structures sociologiques des groupes de chasseurs-cueilleurs nomades et de ce que signifie le territoire pour eux, le néophyte découvrira sans doute les effets néfastes de la formation des réserves (isolement, perte identitaire), qui demeurent un problème criant de notre société.