Comptes rendus

Ralph A. Litzinger, Other Chinas : The Yao and the Politics of National Belonging. Durham et Londres, Duke University Press, 2000, 331 p., bibliogr., index.[Record]

  • Christine Veilleux

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  • Christine Veilleux
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Sainte-Foy (Québec) G1K 7P4

En s’intéressant aux discours et pratiques ethnologiques chinoises au XXe siècle concernant les ethnicités, les luttes culturelles et l’appartenance nationale dans les marges de la société dominante, Litzinger a cherché à nuancer l’histoire conventionnelle de la République populaire de Chine. S’inspirant en partie de la démarche de Dikotter (1992), il présente une anthropologie de l’ethnologie chinoise au cours des périodes maoïste et réformiste, en se penchant plus spécifiquement sur les Yao, l’une des principales minorités ethniques du pays. L’auteur tient à discuter du rôle et de l’importance des intellectuels han et non han dans la mise en place des cultures politiques chinoises récentes. Résolument post-structuraliste mais également très ancrée dans le temps et dans des lieux précis de la région autonome du Jinxiu ou Dayaoshan, majoritairement peuplée de Yao (province de Guangxi), sa démarche vise à réinterpréter la place des minorités ethniques dans la construction socialiste et postsocialiste du nationalisme chinois. Elle part d’une conception du pouvoir comme étant à la fois un lieu de stimulation et de lutte qui permet d’envisager le politique culturel yao comme n’étant pas seulement campé dans un rapport mécanique de dominant/dominé (p. 27), mais dans divers lieux de contradictions et de conflits produits par les discours dominants. Pour mener sa démarche à terme, Litzinger recourt à trois énoncés principaux : 1) d’abord, les Yao sont loin d’être des sociétés primitives exotiques situées aux marges de la construction socialiste nationale comme on les a décrits pendant longtemps ; ils ont joué et jouent toujours un rôle dans les débats politiques et identitaires de l’État postsocialiste ; 2) ensuite, les savoirs scientifiques et les divers discours d’État sont étroitement imbriqués lors de l’écriture de l’histoire, la gestion des populations et celle de l’espace national, notamment par la production scientifique des ethnologues et historiens, ainsi que par les débats tenus au sujet des meilleures formes de gouvernementalité, tant à l’échelle nationale que locale ; 3) et enfin, les sujets à l’étude doivent être situés dans un temps, une mémoire, une culture et un lieu donné, tant la circulation et la réception des savoirs produits dans divers lieux de la société revêtent un caractère spécifique. Parmi les données fascinantes que Litzinger nous transmet et qui stimuleront sans doute la réflexion, figure celle du principe de classification ethnique mis au point par les ethnologues chinois. Étant donné que de nombreuses contrées du pays étaient presque inaccessibles, les ethnologues qui finissaient par y parvenir, dans les années 1950, étaient impressionnés par la diversité culturelle et linguistique des gens qu’ils rencontraient. Il leur était très difficile de déterminer ce qui constituait l’identité yao et son cheminement historique, et donc de classer les Yao en groupes et sous-groupes. Après avoir recueilli de nombreuses histoires locales et en avoir longtemps débattu, les cadres du parti et les chercheurs établirent la classification ethnique yao sur la base de la localisation territoriale plutôt que sur la langue et le costume, à la manière européano-américaine. Par la suite, d’autres découvertes permirent de construire plus avant l’identité yao, en Chine et ailleurs dans le massif sud-est asiatique, notamment lors de la mise au jour de la charte du roi Ping, un document ancien exemptant ses possesseurs des taxes et corvées chinoises, à perpétuité. Pour les ethnologues, il devint clair que le cheminement historique yao était marqué par les classifications politiques impériales et que cela faisait en sorte qu’une histoire commune plutôt qu’une langue ou des pratiques culturelles communes fut à la base de leur identité. Litzinger poursuit son analyse en proposant que les Yao devinrent des subalternes tout indiqués de l’État communiste afin d’illustrer la lutte …

Appendices