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Paolo Carile, Le regard entravé. Littérature et anthropologie dans les premiers textes sur la Nouvelle-France, « Les nouveaux cahiers du Celat», no 24, Sillery et Rome, Les Éditions du Septentrion et Arcane Editrice, 2000, 223 p., réf., ann., bibliogr.[Record]

  • Nicolas Balutet

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  • Nicolas Balutet
    Université Marc Bloch, Strasbourg
    1, rue des Païens
    67000 Strasbourg
    France

Spécialiste de la littérature de voyages des XVIe et XVIIe siècles et professeur de littérature française à la Faculté des lettres de l’Université de Ferrare, Paolo Carile nous offre ici un recueil de sept études portant sur des textes (de la Renaissance à la crise du classicisme français) souvent qualifiés de marginaux en ce qu’ils font appel aussi bien au champ littéraire qu’à l’histoire et à l’anthropologie. En voici le détail : 1. Prolégomènes à l’étude des premières descriptions de paysages de la Nouvelle-France : les relations de voyage du XVIe au XVIIe siècle. 2. Marc Lescarbot, un poète entre deux mondes et deux cultures. 3. Le colonialisme en scène dans le Théâtre de Neptune. 4. Colonialisme et stratégie de l’information au XVIIe siècle : La conversion des sauvages de Lescarbot. 5. Lescarbot et Biard : la première querelle sur l’évangélisation en Nouvelle-France. 6. Le transfert imaginaire dans l’histoire de la Nouvelle-France. 7. Un modèle utopique de la Nouvelle-France : le « sauvage » dans le Traicté de l’oeconomie politique de Montchrestien. La simple lecture de ce sommaire suffit à reconnaître la part belle que l’auteur accorde aux écrits sur la colonisation de Marc Lescarbot dont la biographie vient d’être éclaircie par Éric Thierry dans sa thèse de doctorat d’État soutenue en 1997. Néanmoins, on y retrouve aussi les textes concernant la Nouvelle-France de Verrazzano, Boucher, Champlain, Biard, Sagard ou Antoine de Montchrestien qui, tous, permettent non seulement de mieux comprendre et analyser les modèles descriptifs et la prise en charge du réel par ce type d’écriture, mais aussi de retracer l’histoire des mentalités européennes et françaises en l’occurrence. L’étude des singularités amérindiennes dans le cadre de ces textes, appelés chroniques des Indes pour la partie hispanophone de l’Amérique, passe en effet par le regard d’hommes provenant de cultures et d’espaces diamétralement différents et qui, dans un premier temps n’étaient pas préparés à cette rencontre fabuleuse avec l’Altérité indienne. Les longues et pénibles semaines de traversée sur les eaux agitées de l’Atlantique, loin de soustraire les voyageurs aux préoccupations du vieux continent et de les préparer à leur rencontre avec cet Autre qui bouleversa le monde à la fin du XVe siècle, ne firent qu’exalter, au contraire, un imaginaire dont les ressorts puisaient au fin fond des traditions occidentales. L’Autre, rêvé avant d’être vu, n’est donc pas si différent et, quoique stigmatisé par la suite, il n’en demeure pas moins proche de ceux qui le condamnent. Le regard de l’observateur européen se retrouve entravé par un ensemble de mythes et de préjugés qui l’empêchent « d’appréhender la différence, si ce n’est à travers ses propres schémas mentaux et sa propre culture considérée comme un paramètre universel » (p. 19). La description du Nouveau Monde qui nous est rapportée semble familière : les mentalités et croyances européennes vont nourrir le terreau américain. Ces témoignages restent tout de même précieux pour l’analyse des sociétés indiennes et ne se limitent pas à de simples documents retraçant l’histoire des mentalités européennes. Bien que nombre de données dont nous disposons soient introuvables aujourd’hui sur le terrain car les sociétés étudiées n’existent plus, du moins dans leur forme première, le contenu informatif des chroniques permet d’ébaucher un premier tableau des singularités amérindiennes et plus encore, comme le rappelle avec force Paolo Carile, les textes nous fournissent de précieux renseignements sur des problèmes qui n’apparaissent pas dans la « grande littérature », à savoir la naissance du colonialisme, de l’ethnographie et de l’ethnologie, les expériences missionnaires, les rapports entre la littérature et les sciences économiques et politiques. Malgré ses oeillères culturelles, …