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Cet ouvrage, publié par le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les Amériques (GIRA) de l’Université Laval, regroupe des articles sur des thèmes divers mais liés par une démarche que l’on dit comparative, continentale, multidisciplinaire et transnationale de l’américanité. Parce qu’ils considèrent que l’intégration des Amériques est souvent analysée à partir du seul prisme de l’économie, les auteurs mettent l’accent sur les aspects culturels et identitaires de l’américanité. Divisé en trois sections distinctes, l’ouvrage nous entraîne tout d’abord dans un « regard croisé sur les Amériques » où sont discutées des questions sur les dimensions culturelle, politique et économique de l’américanité.
Ainsi, le texte de J.-F. Côté cherche à montrer que si l’utilisation de sondages pour faire ressortir les éléments identitaires des sociétés contemporaines est pertinente, elle ne peut saisir l’identité dans sa mouvance « large et profonde », c’est-à-dire dans les processus et l’élaboration de ce que Côté appelle « l’identification ». L’objectif de ce texte, fort intéressant au demeurant quant aux différents niveaux (culturel, politique et économique) dont est constituée l’américanité, est de (re)visiter les tenants et les aboutissants de l’identité étatsunienne en tenant compte de sa réalité intrinsèque et mouvante, de ses aspirations hégémoniques et de la place qu’elle occupe dans l’identité québécoise. On retrouve ensuite un texte de D. Cuccioletta sur une période historique importante des États-Unis, 1760-1860. Un troisième texte suit et traite de l’angle de l’américanité pour comprendre la culture « franco-québécoise ». Certains éléments sont novateurs dans ce texte de L. Dupont, comme la manière de désigner et de définir les différents discours tenus au Québec sur l’américanité. L’interaction entre les différentes étapes du développement du Québec et les idéologies y est présentée de manière claire et précise. Si les trois premiers textes de cette section se limitent au contexte canado-québécois et étatsunien, il en va autrement de l’article de P. Imbert qui campe, grâce à l’appel à des littéraires latino-américains, les questions identitaires relevant de l’américanité dans un espace géographique et culturel plus large. Cette décision est pertinente dans la mesure où il ne saurait être question d’américanité sans un détour par l’hémisphère sud du continent américain, en dépit de la position hégémonique occupée par les États-Unis. Toutefois, ce texte possède les défauts de ses qualités dans la mesure où il ne parvient pas à s’intégrer à l’ensemble du livre.
Les dimensions économiques et politiques dominent la deuxième partie intitulée « Intégration continentale, libéralisme et américanité ». Ici, la thèse de J. Cispack et L. Héroux est intéressante et défendue de manière rigoureuse : l’américanité loin d’être un concept récent, désigne plutôt une appartenance identitaire qui existe au Québec depuis les années 1950 mais qui, grâce à l’ALENA (Accord de libre échange de l’Amérique du Nord), aurait émergé au début des années 1990. C’est par cette américanité qu’est rendu possible le lien entre le libéralisme et le nationalisme au Québec. Un autre point fort de cette section concerne l’utilisation de données empiriques obtenues lors d’un sondage sur l’américanité mené en 1997 et utilisé dans les textes de J. Cispack et L. Héroux et de F. Lesemann. La question d’un espace social, politique et économique nord-américain constitué avant l’ALENA est également abordé dans le texte de I. Morales. Dans la troisième partie, « Identités culturelles américaines », certains textes s’appuient aussi sur des résultats du sondage de 1997. C’est le cas du texte de L. Bernier pour qui les identifications globalistes des Québécois (européenne ou américaine) fournissent une part d’altérité dans la construction identitaire québécoise. Pour sa part, N. van Schendel aborde l’américanité à partir de la perspective linguistique et plus spécifiquement francophone. Cet article témoigne d’une vision qui semble très (trop?) positive concernant la langue française au Québec et surtout de son lien avec l’américanité, d’autant plus que l’auteur s’appuie sur un exemple emprunté au contexte montréalais ce qui, on en conviendra, limite quelque peu la portée de l’analyse. Néanmoins, van Schendel a le mérite de traiter de la situation unique du fait français en Amérique en l’abordant par ce qui le porte plutôt que par ce qui lui nuit. Le dernier texte aborde l’américanité à partir d’une étude menée auprès de collégiens américains. Ici, D. Altamirano mesure la propension des étudiants à considérer l’identité américaine à partir d’une perspective élargie, d’une américanité nord-américaine en somme.
Important par les questions qu’il soulève et parce qu’il s’ancre dans des débats qui ont cours dans le Québec contemporain, ce livre demeure limité par la manière dont il aborde la question de l’américanité. En effet, si on prend soin en introduction d’avertir le lecteur de l’absence de la question autochtone, pourquoi ne pas l’avoir prévenu que la notion d’américanité concerne presque exclusivement l’hémisphère nord du continent? N’y aurait-il pas eu place pour des considérations plus large sur une américanité réellement transnationale? Entreprise trop importante compte tenu de la diversité du continent? Soit, mais alors pourquoi aborder la question sous l’angle de l’américanité et non se limiter à une nord-américanité? Voilà des questions qui demeurent en suspens dans cet ouvrage et dont le titre même, L’américanité dans les Amériques, est porteur d’ambiguïté. La présence d’une conclusion faisant le point sur ce qui a été dit, sur les enjeux à venir et sur l’éventuelle Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA) aurait été à considérer. En dépit de ces critiques, cet ouvrage est pertinent pour quiconque s’intéresse à l’américanité, car il contribue à alimenter le débat sur cette importante question.