Comptes rendus

Pierre-Jean Simon, Éloge de la sociologie ou la fécondité du néant. Paris, Presses Universitaires de France, 2001, 106 p., réf.[Record]

  • Jean-François Sénéchal

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  • Jean-François Sénéchal
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    C.P. 6128, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

L’Éloge de la sociologie, petit essai vivant et engagé de Pierre-Jean Simon, se construit en deux temps. Dans le premier (La sociologie comme connaissance de troisième type), l’auteur élabore sa conception de la sociologie. Elle est envisagée non pas comme une science (au sens des sciences de la nature), mais comme un projet scientifique, un projet visant à étudier « avec une intention de science […] les faits sociaux en tant que tels » (p. 2). Le type de connaissance à laquelle peut aspirer la sociologie n’est donc pas strictement celui de la science, mais pas non plus celui des humanités ; elle serait bien plutôt une connaissance de troisième type, tenant des deux premiers, mais en étant aussi autre chose, c’est-à-dire une connaissance proprement sociologique. Par cette position, l’auteur dit se rapprocher de la tradition idéaliste allemande et de la « démarche compréhensive », devant beaucoup à Weber et Durkheim : la compréhension des phénomènes sociaux passe par la pénétration de l’univers des représentations définissant ces phénomènes. Simon définit l’objet de la sociologie comme étant l’ensemble des rapports, des relations, des interactions sociales et des produits de ces interactions. De par l’étendue phénoménale de cet objet, et à la différence des autres sciences de l’homme (à l’exception de l’anthropologie et de l’histoire), la sociologie aurait cette qualité de ne pas simplifier, de ne pas parcelliser, mais bien de saisir la réalité humaine dans sa globalité et sa complexité. Ainsi la sociologie peut-elle être conçue comme la « science (au sens des « sciences humaines », c’est-à-dire de projet scientifique dans le champ des humanités) complexe de la complexité des choses humaines » (p. 38-39). Le domaine de la sociologie est celui la condition humaine. C’est en refusant toute explication (toute réduction) du social par ce qui n’est pas social, que Simon supporte ce qu’il nomme un artificialisme social, c’est-à-dire une perspective par laquelle tout ce qui est conçu comme social est inconditionnellement une production sociale. L’artificialisme social s’oppose au naturalisme social et répond par le fait même à des enjeux épistémologiques (rejet de l’historicisme, de l’évolutionnisme), politiques (questionnement sur les hiérarchies, les règles, les phénomènes sociaux fondés en nature) et moraux (questionnement du bien, du mal, des lois). L’artificialisme social ne peut être séparé du procès de connaissance de la sociologie, présenté ici comme un double mode/moment : le négatif, essayant de dire ce que le social n’est pas, et le positif, visant à dire ce qu’il est. Au bout du compte, pour Simon, ce qui définit la spécificité de la condition humaine dans la perspective sociologique, c’est la production du social, c’est-à-dire la capacité à produire des règles, des normes, des lois, mais aussi la possibilité de les enfreindre : « le social c’est la loi et l’infraction à la loi » (p. 61). C’est dans le deuxième temps de l’essai (Le nihilisme comme philosophie immanente de la sociologie) que la prise de position sur l’artificialisme social de Simon le conduit à poser pour la sociologie la question du relativisme. La réponse passera par l’étude du problème du nihilisme, soit des tenants et des aboutissants de ses différentes formes : philosophiques (métaphysique, épistémologiques et moral), esthétiques et politiques. La perspective passablement critique de Simon envers le relativisme (radical) et le nihilisme (également radical) ne l’empêchera pas cependant de soutenir un « nihilisme lucidement assumé », ou plus précisément un « nihilisme philosophique qui soit sociologiquement et anthropologiquement fondé » (p. 94 et 95). Ce nihilisme tient compte du caractère construit et historique du social, ce qui revient à dire qu’il n’est pas rapporté à des instances …