Anthropos aujourd’hui(conférence)[Record]

  • Paul Rabinow

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  • Paul Rabinow
    Department of Anthropology
    University of California at Berkeley
    Berkeley, CA 94720
    États-Unis

Dans Les mots et les choses (1966), Michel Foucault a repéré trois zones de discours qui, par leur recombinaison instable et incomplète à la fin de l’Âge Classique, ont constitué l’objet appelé « L’Homme ». Cette figure émerge à l’intersection de trois domaines : la vie, le travail, le langage, et elle s’est unifiée de façon instable autour d’un sujet prétendument souverain. Le dédoublement entre un sujet transcendantal et un objet empirique ainsi que leurs relations dynamiques et mouvantes ont défini la forme de cet être. En 1966, Foucault avait encore une conception de l’homme et de la modernité en termes d’époques. Dans sa conclusion, il prévoyait la venue imminente d’une nouvelle configuration de langage qui allait balayer la figure de l’homme « comme à la limite de la mer un visage de sable » (1966 : 398). Il est clair aujourd’hui qu’il avait tort : dans les décennies qui suivirent, le langage (considéré comme poiesis) n’est pas devenu le lieu de transformations formelles radicales à travers lesquelles cet être, l’homme, allait soit disparaître entièrement, comme Foucault le prévoyait, soit se transformer en un nouveau type d’être, comme le prédisait Gilles Deleuze (1986). Même si Foucault n’a pas repris son diagnostic de « la mort de l’Homme », il a modifié sa compréhension de la modernité comme une époque. Dans son essai intitulé « Qu’est-ce que les Lumières? », Foucault nous pousse à inventer une nouvelle relation philosophique avec le présent, grâce à laquelle la modernité n’est plus étudiée comme une époque mais plutôt à travers une pratique d’enquête orientée vers le présent, attentive à la contingence et au travail de la forme. Peut-être qu’aujourd’hui l’un des défis les plus importants pour la formation d’un ethos moderne consiste à s’interroger sur la façon dont on peut analyser la question de l’anthropos. Une telle tâche présente des défis différents pour des philosophes comme Foucault et pour des anthropologues. Mais, par-delà la différence des approches sur cette question, il serait bon que l’on considère les transformations récentes dans les discours sur la vie, le travail et le langage non pas comme un changement d’époque avec une cohérence totalisante mais plutôt comme des transformations fragmentaires et locales qui posent des problèmes et constituent des tentatives visant à donner sens aux formes que prend l’anthropos aujourd’hui. En 1966, le capitalisme était fort là où il était implanté, mais il n’était pas totalement incontesté : il faisait face à ce qui apparaît aujourd’hui comme un socialisme sans espoir et à différents schémas de développement économique et politique du Tiers monde qui ont également échoué. En 2003, personne ne peut douter que le capitalisme est plus expansif, destructif et productif qu’il n’a jamais été. Personne ne peut douter de l’expansion des relations commerciales et la marchandisation d’un nombre toujours croissant de choses que l’on supposait jusque¬là hors du domaine des valeurs monétaires. Cependant, aujourd’hui, il n’existe ni logos adéquat à la compréhension de cet oikoumene global, ni moyens adaptés à la régulation de sa volatilité. En 1966, les mécanismes du code génétique et son extraordinaire universalité venaient d’être découverts. Dans les décennies qui ont suivi, on a assisté aux transformations les plus spectaculaires et les plus significatives dans les sciences de la vie depuis Darwin. Pourtant aucun Darwin de la biologie moléculaire n’est encore apparu pour lui fournir un logos unifiant. Où, quand et dans quelle mesure les avancées dans la génomique et les biotechnologies produiront une description des êtres vivants plus fidèle à leur complexité, cela reste une question ouverte. Même si en 1966 la sémiotique, la cybernétique et les sciences cognitives rivalisaient pour …

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