Comptes rendus

Ethnologie française. Tome XXXII, printemps 2002, « L’intimité sous surveillance », 247 p.[Record]

  • Steve Paquet

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  • Steve Paquet
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Comme le rappelle Giddens (1991), la notion d’identité personnelle serait apparue assez tardivement à l’époque moderne, au moment où (pour le dire rapidement), il n’était plus possible de confondre (ou plus précisément de réduire) les individus à leurs rôles sociaux. Ce que contient cette identité (le style de vie qu’un individu adopte, les valeurs qu’il endosse, etc.) est aujourd’hui l’objet d’une protection serrée de la part des États libéraux. L’idéologie des droits de l’homme assure à tous, au moins en principe, un égal droit au respect et à la vie privée. Curieusement, cette garantie ne semble pas aller de soi quand il s’agit de prendre en charge (ou à tout le moins d’accompagner) des individus confrontés à des conditions de vie précaires. Pour eux, l’intimité est moins prétexte à protection ; elle est plutôt sujette au contrôle. La trajectoire de ces personnes est le thème de ce numéro de la revue Ethnologie française. Sans pouloir rendre compte de l’ensemble des textes qui y sont réunis, il convient néanmoins de s’attarder sur quelques-uns d’entre eux. Une même approche les caractérise, approche essentiellement goffmanienne des faits sociaux, où les questions relatives au corps et à son exposition dans l’espace public sont centrales. Dans son article introductif, Jean-François Laé avance que la protection de l’intimité serait l’une des plus grandes institutions des sociétés démocratiques modernes. Pourtant, la poursuite de cet idéal est chaque jour menacée. La présence de « corps en souffrance » (qu’il s’agisse du mendiant, de la femme prostituée ou encore du toxicomane) pose problème à la collectivité. La déchéance et la misère sociale enclenchent des politiques sociales qui vont dans le sens d’une restriction de la vie privée de ceux et celles qui auront franchi, selon les autres, le seuil de l’insupportable. La politique, soutient Laé, « relève bien d’une gestion des intimités » (p. 9). Dans son texte portant sur la prostitution de rue, Stéphanie Pryen s’intéresse aux pratiques (policières, sociales et juridiques) qui rendent publique la vie privée des prostituées. Comment ces « femmes de la rue » répondent-elles à cette assignation? De quelle manière se défendent-elles d’y laisser leur être et leur intégrité? Ce sont là des questions qui préoccupent l’auteure. À travers un examen minutieux des règles de conduite et des normes qui régissent les rapports de ces femmes avec leurs clients, elle met en scène les techniques et les compétences dont celles-ci font preuve pour préserver leur intimité. Patricia Bouhnik entend quant à elle montrer que les pratiques des usagers de la drogue ne peuvent être réduites à leur seul caractère de déviance, qu’elles sont aussi un style de vie, qu’elles témoignent d’une recherche de sensation et de sociabilité. Cette recherche d’un plaisir intense et sans cesse renouvelé, conclut l’auteur, « suppose paradoxalement que les personnes travaillent à négocier leur identité à travers des relations d’intimité en public, ce qui conduit à un flottement des frontières entre vie privée et vie publique » (p. 28). Les auteurs du troisième article s’attardent quant à eux aux stratégies et aux normes que mettent en place les « dragueurs », dans le but provisoire de créer, au sein même de l’espace public, un « territoire d’intimité », propice à la séduction. Dans ce contexte, ils s’intéressent également au travail d’agents de prévention qui, visant à lutter contre la propagation du sida, doivent quotidiennement intervenir de manière à ne pas menacer l’ordre établi par ces hommes. Le texte suivant porte sur les personnes prises en charge par un centre d’hébergement, en vue de favoriser « leur réinsertion sociale ». Pour ces personnes, l’intimité n’est jamais garantie. S’appuyant …

Appendices