Comptes rendus

Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France. 1973-1974. Paris, Gallimard, 2003, 393 p.[Record]

  • Jean-François Bert

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  • Jean-François Bert
    Université de Metz
    Équipe de recherche en anthropologie et en sociologie de l’expertise — ERASE
    1, quai du Rimport
    57000 Metz
    France

La parution inédite de ce cours illustre parfaitement les nombreuses recherches entamées par le philosophe dès sa nomination en 1970 à la chaire d’histoire des systèmes de pensée au Collège de France. En revenant sur ce qu’il appelle l’histoire (le terme de généalogie serait sans doute plus adéquat) de la proto-psychiatrie, période relativement courte qui débute en 1838 avec en particulier en France la loi sur l’organisation des hôpitaux psychiatriques et qui se termine avec l’épisode des hystériques de la Salpêtrièrie, dans la décennie 1860-1870, Michel Foucault confirme ce qu’il avait développé dans son Histoire de la folie à l’âge classique (1961), à savoir que ce type d’institution ne relève aucunement du système médical et thérapeutique mais se fonde spécifiquement sur des principes discipli-naires, en particulier avec la figure du psychiatre. Le pouvoir disciplinaire, qui est sans doute la notion foucaldienne la mieux connue et la plus interprétée, se définit généralement à partir de trois points que ce cours souligne de manière intéressante. Tout d’abord la discipline est une question de lieu. L’asile comme l’hôpital et la prison sont avant tout un espace disciplinaire ; il faudrait plutôt dire que la disci-pline demande pour fonctionner un dispositif spatial clos sur lui-même. Le fou, le malade et le délinquant sont fondamentalement pour Michel Foucault des corps enfermés. L’espace ainsi que l’architecture sont à ce titre de véritables opérateurs du pouvoir. La technique discipli-naire, dans son fonctionnement, repose sur un dispositif qui contraint les corps par le simple jeu du regard comme le dispositif panoptique dans le cas de la prison. On comprend d’ailleurs mieux pourquoi ce procédé inventé par Jeremy Bentham est devenu pour Michel Foucault le diagramme d’une société qui s’intéresse au regard. Dans l’optique foucaldienne, l’asile psychiatrique correspond à un lieu de pouvoir qui établit aussi un véritable corps à corps entre le malade et le médecin. C’est à proprement parler ce corps qui devient pour lui le modèle et le fil directeur de ses analyses portant sur le pouvoir. Véritable surface d’inscription du pouvoir psychiatrique, le corps du fou lui a déjà donné l’occasion, dans son Histoire de la folie, de montrer que la rigueur inhumaine avec laquelle on le traite n’a pas disparu avec l’ancien régime ; dans le cas présent, son cours lui permet de souligner qu’une tout autre contrainte existe, celle de la relation aliénante, à savoir la relation entre savoir et pouvoir, entre le psychiatre et ses pratiques thérapeutiques et le patient. Rappelons simplement que, pour le philosophe, le savoir dont se prévalent scientifiques et experts de toutes sortes ouvre sur une relation de pouvoir ; symétriquement, le pouvoir qui est une microphysique, un pouvoir diffus dans l’ensemble de la société, devient indissociable du savoir. Deux corps sont mis en avant dans l’analyse, celui du fou, dans son déchaînement mais aussi celui du psychiatre qui, par sa seule régularité, organise tout le pouvoir de l’asile : « l’asile c’est le corps du psychiatre, allongé, distendu, porté aux dimensions d’un établis-sement étendu au point que son pouvoir va s’exercer comme si chaque partie de l’asile était une partie de son propre corps » (p. 179). Cette façon de traiter du corps du psychiatre et de sa relation avec le fou est la marque d’une période ou le travail théorique de Foucault trouve encore sa place dans le vaste processus de dénonciation de l’asservissement des corps, dénonciation venant surtout de la critique marxiste qui y voit une institution de classe histori-quement variable. En ce qui le concerne, il est évident qu’il considère, jusque dans le milieu des années 1970, le désir de guérir, de réformer …

Appendices