Comptes rendus

Chadwick Allen,Blood Narrative. Indigenous Identity in American Indian and Maori Literary and Activist Texts. Durham et Londres, Duke University Press, 2002, 208 p., bibliogr., index.[Record]

  • Éric Schwimmer

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  • Éric Schwimmer
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    1228, rue Ducharme, app. 1
    Montréal (Québec) H2V 1E2
    Canada

Cette monographie s’ajoute aux études de plus en plus nombreuses portant sur les mouvements de renouveau culturel de beaucoup de nations autochtones, un peu partout dans le monde. Ces mouvements – on en retrouve aussi parmi les Autochtones du Québec – se développent dans le contexte de l’activisme politique, mais ils puisent beaucoup de leur force dans des formes artistiques comme la musique, les arts visuels, le théâtre, la littérature, traditionnelles ou novatrices, mélangeant souvent un grand nombre de médias. Le livre d’Allen se fonde sur des recherches entre 1987 et 1998 aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande. Son objet général est de démontrer que les formes et contenus de la résistance culturelle des sociétés autochtones de ces pays se ressemblent beaucoup, bien que ces sociétés éloignées soient dépourvues d’affinités historiques régionales. Il veut présenter en effet les thèmes constants des mouvements autochtones du quart monde par l’analyse de leurs textes littéraires et activistes. Le livre associe ces deux types de textes, car presque tous les littéraires du quart monde s’engagent sérieusement dans la politique de résistance culturelle tandis que même les activistes les plus ternes ne sont pas dépourvus d’une vision poétique. Notons pourtant d’emblée que cette stratégie risque toujours de s’avérer réductrice, car la pensée, même du quart monde, n’est jamais obsédée exclusivement par la résistance. Si l’analyste se fie à ce seul thème commun, même très bien défini, il risque de déformer la portée fondamentale des textes, de les enfermer dans des impasses conceptuelles, des circularités qui ne sont pas vraiment les leurs. Ce thème, chez Allen, s’exprime par une mini-combinatoire de trois mots polysémiques : le sang, la terre, la mémoire. Cette combinatoire est une invention d’Allen lui-même, fondée sur son immersion dans les textes. Elle veut expliquer « comment les écrivains et activistes amérindiens et maoris juxtaposent et combinent des généalogies, “réelles” ou “imaginées” ; des terres souches, physiques ou métaphoriques ; des narrations d’histoires, “vraies” ou “inventées” ; et comment ils se sont construit ainsi des identités autochtones contemporaines viables » (p. 16). Tandis qu’Allen considère cette méthodologie comme « comparative » (p. 22), constatons qu’elle se fonde sur les ressemblances entre les contenus et formes des textes plutôt que sur les différences (inter- et intra-culturelles). Il s’agit là d’une stratégie consciente, justifiée en partie par la lecture rigoureuse des textes. La combinatoire des termes sang, terre, mémoire ouvre un ensemble très vaste de concepts qui sont directement présents dans les textes ou bien repérables par la déconstruction des textes. Les déconstructions d’Allen sont précises, accompagnées de descriptions des contextes culturels, très crédibles pour les ethnographes. L’objet d’Allen est double : libérer les identités autochtones des définitions d’authenticité imposées par les cultures dominantes des colons blancs ; et laisser aux autochtones le soin de s’occuper de la définition de leur identité. D’autre part, les tropes de ces concepts, présentés directement ou repérés par le chercheur, représentent des valeurs sacrées dont la survie est garantie aux Autochtones par des traités. En effet, ces traités ont fourni presque le seul cadre formel au sein duquel, depuis les années 1970, les Autochtones et les colons ont pu dialoguer équitablement au sujet de leur gouvernance. Or, bien que ce discours ne serve finalement qu’à négocier la réinterprétation des traités, et que la résistance du quart monde se limite au « discours des traités », cela ne veut pas dire que la combinatoire sang, terre, mémoire (donc le discours des traités) soit coextensif à un « paradigme des traités », comme le veut parfois Allen – c’est-à-dire, à l’image raisonnée du monde présentée par l’ensemble des textes qu’il a analysés. …

Appendices