Comptes rendus

Pierre Saint-Arnaud, L’invention de la sociologie noire aux États-Unis d’Amérique. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2003, 592 p., bibliogr.[Record]

  • Serge Genest

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  • Serge Genest
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

L’argument central développé par Saint-Arnaud dans cet ouvrage s’appuie sur le constat suivant : les principaux représentants de la sociologie noire aux États-Unis, les Du Bois, Cox, Frazier et autres ont été considérés comme des scientifiques de second ordre par leurs collègues anglo-américains ; « […] leur sont déniés à tous une originalité et une authenticité scientifiques effectives » (p. 194). L’auteur entend démontrer l’absence de fondement de cette position, ainsi que les conditions sociales et épistémologiques qui ont contribué à construire ce préjugé. L’introduction établit d’emblée les enjeux qui sont au centre de cet essai, ainsi que les bases de l’argumentation qui serviront à les rendre manifestes. Une question est au fondement de cette démonstration : comment s’est constituée une sociologie noire étatsunienne dans un contexte de domination raciale, sociale et intellectuelle blanche, grosso modo entre la fin du 19e et le milieu des années 1960? Pour répondre à cette question, l’auteur se penche d’abord sur les fondements historiques de la construction de la sociologie aux États-Unis. Celle-ci s’inscrit dans la mouvance des travaux menés par les théoriciens européens, que ce soit Darwin, Spencer ou Comte d’une part, et elle souscrit directement aux positions raciales prévalentes à l’époque, d’autre part. Pour Saint-Arnaud : « Les débuts de la sociologie académique anglo-saxonne vont de pair avec la croyance régnante en l’infériorité innée des races peu évoluées » (p. 51). La démonstration est également axée sur une série de personnages principaux, et de quelques figures moins centrales, qui ont partie liée tout autant avec la condition des Noirs, les rapports entre Blancs et Noirs, autant qu’avec le développement de la sociologie aux États-Unis. Reprenons en détail les grandes divisions de l’ouvrage. La première : « La sociologie anglo-américaine et la question de la race », revient sur les moments fondateurs et les jalons marquants de la mise en place de la sociologie anglo-américaine lue à travers le thème plus spécifique de la question raciale. Sont ici analysés par le menu le cheminement de la pensée et les contributions de la figure dominante de Robert Ezra Park et de celle de Gunnar Myrdal, mandaté pour apporter un regard extérieur sur la société étatsunienne. Produit au milieu des années 1940, l’ouvrage dirigé par Myrdal : An American Dilemma : the Negro Problem and Modern Democracy, identifie l’éthos étasunien à partir de trois éléments majeurs : le nationalisme fondé sur la mission particulière des États-Unis dans le monde, le fondamentalisme chrétien, et une conception de la démocratie issue de la loi britannique (p. 149-150). Un diagnostic d’une étonnante actualité. La deuxième partie de l’ouvrage se concentre sur « La genèse d’une sociologie noire indigène aux États-Unis d’Amérique ». Ici, ce sont les figures emblématiques de William Edward Burghardt (W.E.B.) Du Bois et de Edward Franklin Frazier qui s’imposent au milieu d’une série d’intellectuels noirs de plus en plus nombreux. En traçant en détail les divers événements qui ponctuent la vie professionnelle et intellectuelle de ces deux hommes, Saint-Arnaud nous fait partager le climat social dans lequel évoluent les communautés noires des États-Unis. Il présente par ailleurs une synthèse détaillée des travaux marquants que les sociologues, et particulièrement les sociologues de race noire, produisent sur ces commu-nautés. Les travaux de Du Bois et de Frazier s’imposent d’emblée dans la présentation du développement d’une sociologie noire aux États-Unis. Le cheminement intellectuel et professionnel de ces deux personnages contribue avantageusement à mettre en évidence le lien entre production sociologique et conditions sociales et politiques de cette production. Si le parcours de Du Bois apparaît plus erratique que celui de Frazier, plus nettement académique, les deux …