Comptes rendus

Neil L. Whitehead, Dark Shamans Kanaimà and the Poetics of Violence Death. Londres, Duke University Press, 2002, 309 p., bibliogr., index.[Record]

  • Cécile Pachocinski

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  • Cécile Pachocinski
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Dans cette ethnographie, l’auteur s’intéresse à la pratique rituelle du kanaimà et aux praticiens qui en portent le nom. On la trouve non seulement chez les Patamuna, mais dans un ensemble de communautés autochtones appartenant au groupe des Caraïbéins. Ces peuples vivent dans la région montagneuse des Guyanes qui chevauche les frontières actuelles du Venezuela, du Brésil et de la Guyane. Cet ouvrage consiste en une exploration des significations contemporaines de ce rituel qu’on a trop souvent limité à un simple système de vengeance et de règlement de comptes. Whitehead propose d’en faire l’analyse en déconstruisant cette interprétation qui s’est formée à partir des observations des missionnaires. Il s’appuie pour cela sur son expérience de terrain et sur les récits de personnes impliquées : des kanaimà eux-mêmes, des victimes qui ont survécu à leurs attaques, des familles des victimes et de témoins. Ces témoignages mettent en évidence l’insuffisance de la thèse faisant du kanaimà un simple rituel de vengeance dans le contexte actuel. L’ouvrage est conçu selon le mode du dévoilement et de l’intrigue. Bien que sa composition suive une structure ethnographique classique, allant de la méthode à l’analyse en passant par les données, le livre conserve une grande originalité, car il met en scène le caractère énigmatique de la pratique rituelle du kanaimà. Comme phénomène d’une rare violence, il reste encore souvent incompris. L’auteur contribue à montrer que, par le biais de cette pratique et de ses praticiens, s’expriment une réappropriation des traditions autochtones locales, et une forme de résistance à la modernité. Ce rituel incarne ainsi une vision incorporée de l’histoire. Le premier chapitre décrit le processus qui a conduit l’auteur à faire des séjours répétés sur le terrain de 1992 à 1997 en vue de cette recherche. Présenté comme une technique chamanique et plus précisément comme une forme de « chamanisme noir », le kanaimà consiste en des attaques meurtrières très codifiées (meurtres par empoisonnement et mutilation qui se déroulent toujours de façon identique). L’auteur ayant été lui-même engagé dans une attaque lors d’un premier séjour sur le terrain, cette expérience lui sert de point de départ pour analyser le fait que ces morts sont encore expliquées de nos jours selon les termes du kanaimà. Si le motif de vengeance identifié par les missionnaires du 16e au 19e siècle, renseigne sur la fonction sociale du kanaimà (le « mobile » des crimes), elle n’explique pas les meurtres contemporains. Aujourd’hui en effet, les meurtres ne suivent pas nécessairement un modèle de dispute personnelle, le choix des victimes est davantage de nature arbitraire (p. 76). En s’appuyant sur ses données de terrain, Whitehead revisite ainsi le lien entre ce rituel et la logique de vengeance. Pour cela, il s’appuie sur des témoignages pris dans la littérature ethnographique et sur ceux qu’il a recueillis en entrevues. C’est en s’attachant à la sélection arbitraire des victimes qu’il constate que les kanaimà ne tuent pas uniquement pour se venger mais chassent pour se nourrir (p. 91). Ce qui signifie que comme avec n’importe quel gibier, ils iront vers la proie la plus facile. L’enjeu du rituel n’est pas la mort d’une personne, mais bien plus la production rituelle de nourriture. La transformation du corps humain en nourriture divine s’inscrit dans un système d’échange entre animaux divins et humains ordinaires bien connu en Amérique du Sud et qui a été largement étudié à travers les liens entre cosmologie, chamanisme et prédation chez les peuples d’Amazonie (Descola 1996 ; Viveiros de Castro 1998). Cette fonction du meurtre par kanaimà prend ainsi une tout autre signification dès lors qu’on se réfère …

Appendices