Comptes rendus

Laura A. Lewis, Hall of Mirrors : Power, Witchcraft, and Caste in Colonial Mexico. Durham, Duke University Press, 2003, 264 p., bibliogr., index.[Record]

  • Nicolas Balutet

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  • Nicolas Balutet
    IUFM d’Alsace
    Université Marc Bloch
    141 avenue de Colmar
    67100 Strasbourg
    France

Utilisant des sources judiciaires espagnoles provenant des fonds de l’Archivo General de la Nación de Mexico, Laura A. Lewis, professeure associée en Anthropologie à la James Madison University, nous offre une version revue et corrigée de sa thèse de doctorat, étude approfondie des relations qu’entretenaient les différentes castes dans le Mexique colonial des XVIe et XVIIe siècles. Ce terme de « caste » montre qu’entre les Espagnols et les Indiens, premiers peuples ayant eu des contacts dès la fin du XVe siècle, le Mexique colonial intégra d’autres « catégories » qui se définissaient par la couleur de la peau et la plus ou moins grande « pureté de sang » – sang espagnol. Ce système connu sous le nom de castes intégrait ainsi cinq « catégories raciales » : les Espagnols, les Indiens, les Noirs, les Mulâtres et les Métis. Selon que l’on appartenait à l’un ou l’autre groupe, les possibilités de réalisation personnelle étaient fort différentes. Il est entendu que les Espagnols détenaient le pouvoir et que les Noirs et Indiens, quand ils n’étaient pas tout simplement esclaves, n’avaient que peu accès à une quelconque indépendance et maîtrise de leur condition sociale. Néanmoins, l’auteure démontre que ce système de castes n’était pas aussi rigide que cela et que, en théorie du moins, il ouvrait une possibilité d’ascension sociale. Certes, mais à quel prix… Celui de l’abandon de ses propres spécificités. Dans ce que Lewis nomme le « domaine autorisé », c’est-à-dire la sphère légale, il apparaît ainsi que les Noirs, les Mulâtres et les Métis utilisaient leurs connections sociales avec les Espagnols comme un moyen de revendiquer le pouvoir dans la société coloniale. Les Mulâtres et les Métis renforçaient leur « espagnolité » à travers leurs pères espagnols cependant que les esclaves noirs le faisaient à travers leurs maîtres espagnols. Cette partie de son ouvrage (deuxième chapitre) démontre combien la plus ou moins grande proximité avec le « sang » espagnol était la condition indispensable pour pouvoir prétendre être reconnu à son niveau. Si dans le « domaine autorisé », les Noirs, les Mulâtres et les Métis se sont tournés vers les Espagnols, dans le « domaine non autorisé », c’est-à-dire parallèle, non légal, ces mêmes castes se sont rapprochées cette fois des Indiens qui détenaient un pouvoir bien précis, celui de la sorcellerie. Habituellement contraints au confinement et à l’enfermement en raison notamment des labeurs domestiques, les Indiens trouvèrent grâce aux sciences occultes le moyen de gagner de l’argent, de soigner des maladies, de résister à l’esclavage, de contrôler la sexualité des hommes espagnols, etc., bref un moyen de résistance à l’oppresseur. Cela explique naturellement pourquoi les autres castes ont voulu apprendre des Indiens les rudiments de la sorcellerie. Il est à noter que les femmes jouèrent un rôle d’importance dans ce « domaine non autorisé ». Quelles que fussent leurs origines, les femmes subissaient une double marginalisation, de race et de genre. À l’instar des hommes, elles se sont donc rapprochées de ceux qui pouvaient leur permettre de sortir de leur condition et d’atteindre une forme de liberté. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les femmes et les Indiens étaient souvent considérés de manière identique. Les Indiens se retrouvaient bien souvent féminisés sous la plume de nombre de théologiens espagnols comme Sépulveda pour qui la femme et l’Indien étaient tous deux un homme incomplet. Si dans l’ensemble, l’ouvrage de Lewis se révèle très intéressant, on pourra regretter cependant que l’approche de l’auteure ne s’intéresse pas davantage aux réalités quotidiennes des différentes castes. D’autre part, à trop privilégier les systèmes social, légal et religieux …