Comptes rendus

Brigitte Steinmann, Les enfants du singe et de la démone. Mémoires des Tamang, récits himalayens. Paris, Société d’ethnologie, collection Recherches sur la Haute Asie, 2001, 540 p., bibliogr., index.[Record]

  • Richard Gendron

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  • Richard Gendron
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    C.P. 1628, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

Comme le sous-titre l’indique, on trouve dans cet ouvrage une collection de récits qui intéresseront particulièrement les spécialistes du Népal ou des études tibétaines et indiennes : qu’il s’agisse de récits relatant les péripéties du terrain ou de récits des origines, ceux-ci sont parsemés de termes tamangs, népalis, tibétains et sanskrits. Ces récits nous transportent dans l’Himalaya grâce à une belle prose évocatrice des lieux et de la vie des Tamang de l’est du Népal : on se retrouve ainsi dans des maisons « où les treillis de bois aux fenêtres tamisent un jour cuivré qui se reflète sur des jarres pensives et ventrues […] » (p. 183) ou sur le chemin de la fontaine, où « se profile la patiente colonne des femmes lourdement chargées de hottes, le front tendu sous les courroies. [D]ans les jarres, l’eau ourlant les bords, doucement, oscille au rythme de leur marche. Alors les collines se mettent à vibrer en écho, dans la chaleur du soleil qui monte à l’aplomb des sommets de Sailung […] » (p. 49). La première partie du livre s’intitule justement « La prose du Monde ». Steinmann, dont le premier ouvrage majeur sur les Tamang (livre tiré de sa thèse de doctorat, auquel je me référerai désormais comme son « premier ouvrage ») avait pour sous-titre Usages et religion, religion de l’usage, continue d’y manifester une certaine fascination pour les objets et les usages de la vie quotidienne, intégrés et situés par l’auteure dans la culture et le paysage. Steinmann nous fait remarquer, fort justement, que « l’homme de n’importe quelle communauté ethnique a besoin de ranger ses idées » et que conséquemment la maison « n’est pas seulement un abri pour se préserver […] des intempéries […] ; c’est aussi un endroit où l’on entretient une certaine présence d’esprit, matérialisée dans des ordres qui se superposent […] » (p. 147-148). Chez les Tamang, c’est souvent dans les chants d’un tamba (conteur, chanteur et généalogiste tamang) que sont explicitées les raisons d’être de certains ordonnancements de la vie quotidienne. Steinmann a consacré aux chants traditionnels du tamba une bonne partie de son premier ouvrage. Elle poursuit ici dans cette veine mais cette fois, elle nous en apprend un peu plus sur les autres spécialistes religieux des sociétés tamangs : les prêtres bouddhistes (lamas, parmi lesquels les lamas lopon) et les chamans (il en existe deux types chez les Tamang, les lopon et les ponpo – ou bompo, si on se fie au premier ouvrage de Steinmann ou à la littérature anglophone, incluant un récent article de Steinmann (2004) dans lequel elle discute à nouveau du récit d’origine du premier chaman). L’ouvrage est enrichi par la retranscription de plusieurs chants et invocations rituelles. Au-delà de la richesse des détails ethnographiques (en matière de religion, d’alimentation, de parenté, etc.), le livre de Steinmann comporte de nombreuses et délectables réflexions sur le travail de terrain et sur l’entreprise ethnologique en général. On sent se dessiner une perspective bouddhiste de l’ethnologie lorsque l’auteure parle d’un « corps social dont la vision ethnologique ne permet, bien souvent, d’apercevoir que de simples agrégats momentanés dans le courant d’une destinée sociale et historique » (p. 35). Steinmann confesse que dans les années 1970, l’ethnologie lui apparut « comme la seule discipline qui [lui] permettrait de vivre et d’approfondir un certain sentiment tenace de distance par rapport à [son] propre milieu… » (p. 28). Il est amusant de la voir constater le « prosélytisme » des ethnologues qui, dans leur propre pays, tentent de convertir « les gens innocents, ceux qui pensent qu’on peut parvenir à …

Appendices