Comptes rendus

Christian Chevandier, Cheminots en grève ou la construction d’une identité (1848-2001). Paris, Maisonneuve et Larose, collection Actualité de l’Histoire, 2002, 399 p.[Record]

  • Stéphane Sirot

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  • Stéphane Sirot
    IPAG
    Université de Cergy-Pontoise
    12 rue du 11 novembre 1918
    93500 Pantin
    France

Spécialiste reconnu des professionnels des chemins de fer, auxquels il a consacré sa thèse, Christian Chevandier nous livre une ample synthèse d’un siècle et demi d’histoire de l’action sociale et du syndicalisme des cheminots. Une corporation qui, à l’instar par exemple des mineurs, occupe une place particulière au sein du mouvement ouvrier français. Pour s’en convaincre, il suffirait de rappeler qu’elle a donné à la CGT (et à la CGTU) cinq de ses secrétaires généraux, depuis A. Lagailse (1895-1899) jusqu’à Bernard Thibault aujourd’hui, en passant par Eugène Guérard, Gaston Monmousseau (à la tête de la CGTU de 1922 à 1932) et Georges Séguy! Le caractère emblématique, voire exemplaire du militantisme cheminot au long du XXe siècle justifie donc, s’il en était besoin, cette première tentative d’approche sur la longue durée de la naissance, de la consolidation et de la perpétuation d’une identité professionnelle très affirmée. Pour saisir ce processus complexe, l’auteur s’attache à observer les rapports étroits entretenus par le progrès technique, la morphologie sociale et l’action gréviste, dont il saisit et met en avant le rôle crucial qu’elle occupe dans la cristallisation de cette identité. Il n’oublie pas non plus la force des représentations, auxquelles il consacre de nombreuses pages, en étudiant notamment les photographies de la grève de 1920 et les images de novembre-décembre 1995. La corporation cheminote se distingue par une activité revendicative précoce qui prend corps dès le milieu du XIXe siècle. Puis, des années 1870 à la veille de la Grande Guerre, on assiste à la prolifération des organisations ouvrières. À cet égard, chez les cheminots comme dans la plupart des autres secteurs, la place structurante de la grève est soulignée : c’est en effet souvent à l’occasion d’un conflit social que naît l’organisation. Sans doute peut-on d’ailleurs puiser là l’une des sources d’une facette originale du syndicalisme français : légalisé vingt ans après la grève (1884 contre 1864), il se construit sur une culture de lutte qui marque son histoire d’une empreinte profonde. Cela dit, jusqu’en 1914, la modération domine les attitudes du syndicalisme cheminot, en dépit de la première grande grève nationale d’octobre 1910 qui contribue à la prise de conscience d’une identité collective, mais assoit aussi une ligne de fracture : « La démarcation passe en effet entre les réformistes et les révolutionnaires, ceux qui pensent qu’il fallait y aller à fond et ceux qui pensent qu’il n’aurait pas fallu y aller », écrit l’auteur (p. 85). Le doigt est mis ici sur des divisions militantes notables que l’on retrouve pour une large part au cours de l’histoire du syndicalisme de la profession ; on peut cependant regretter l’utilisation de termes « réformistes » et « révolutionnaires » qui, s’ils constituent des vocables commodes soulignant la force des oppositions, ont l’inconvénient de désigner les acteurs par leurs propres mots et de brouiller un peu les traits du mouvement syndical français, dont la complexité des attitudes et des pratiques dépasse de loin des qualificatifs réducteurs, à partir desquels les spécialistes ont trop longtemps organisé leur réflexion. Deux ans après cette grève de 1910 se produit un événement notable : un statut est accordé aux cheminots du réseau de l’État, ce qui suscite d’ailleurs aussitôt la revendication syndicale de la nationalisation du réseau ferré. Une profession à statut, porteuse de l’idée de service public bien de la nation : voilà que s’affirme une dimension majeure de la culture professionnelle des hommes du rail. Et la Première Guerre mondiale vient renforcer l’identité cheminote, définie par l’auteur comme « un mélange de cultures multiples relevant de l’appartenance au monde des chemins de fer et …

Appendices