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Marc Rogin Anspach, À charge de revanche. Figures élémentaires de la réciprocité. Paris, Éditions du Seuil, collection « La couleur des idées », 2002, 140 p., bibliogr.[Record]

  • Marie Maïlat

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  • Marie Maïlat
    Laboratoire Éducation, Socialisation, Subjectivation, Institution — ESSI
    Université Paris VIII
    23 rue Philippe de Girard
    75010 Paris
    France

Depuis plusieurs années, Marc Rogin Anspach nous entraîne dans le labyrinthe de la circularité du don propre à la vie sociale et individuelle. Son livre aborde d’une façon originale l’articulation entre donner-recevoir-rendre soumise aux pressions d’une société en perte de socialité et de références au sacré. Au coeur de ce triangle en mouvement, Marc Anspach part d’abord à la recherche du « troisième élément » qui fait que le don et le contre-don ne s’annulent pas réciproquement, bien au contraire : l’échange des cadeaux ou des coups (la vengeance) passe toujours à un autre niveau logique, celui de la relation, plus précisément, de la relation chargée d’une « quantité supplémentaire qui est le hau » ou son équivalent : « En lançant un message, en faisant un don, on se tourne vers l’avenir que l’on compte susciter » (p. 54). Cependant, la question épineuse de la réciprocité négative s’impose rapidement. Dans ce domaine, un des exemples donnés est issu des travaux de Godbout que l’on résumerait ainsi : « c’est toujours moi qui fais la vaisselle ». Cette phrase contient un message implicite : « tu ne donnes pas assez ». Dans ce cas, les deux partenaires aboutissent, de fil en aiguille, à « un endettement mutuel négatif », un « cercle vicieux » aussi paradoxal que la vengeance : « Dans les sociétés étudiées par Sahlins, Mauss ou Lévi-Strauss, la réciprocité sert à entretenir la relation, on échange pour échanger, car les échanges font vivre la relation. Mais dans le couple qui veille implicitement à respecter “l’échange symétrique de valeur rigoureusement équivalent”, cette “collusion” entre partenaires se fait au préjudice de la relation »  (p. 90). Comment s’en sortir? Le passage à la dette mutuelle positive exige, selon Marc Anspach, « une sorte de saut » permettant de retrouver la spontanéité sans attendre un retour immédiat : donner pour recevoir, peut-être, un jour, puisque, rappelons-le, « la définition même du don implique la liberté de réponse » (p. 27). Afin d’aboutir à la compréhension d’un tel « saut », l’auteur fait appel à l’École de Palo Alto : la métamorphose positive de la réciprocité négative ne peut avoir lieu que si les partenaires concernés arrivent à méta-communiquer, c’est-à-dire à établir un échange ayant comme objet leur façon d’agir. Pour l’auteur, il s’agit plutôt d’autotranscendance : au lieu de rester dans une circularité négative qui, à terme, détruit la relation entre les humains, il faudrait tendre vers une autotranscendance qui remet le lien entre les hommes au coeur de la réciprocité et permet d’appréhender autrement l’imbrication dynamique entre liberté et contrainte. Porté par la conviction que le discours est un fait constitutif de l’humanité, Marc Anspach critique les promoteurs du libéralisme qui rabattent la transcendance à l’immanence. Pour étayer ses critiques, il développe un parallèle entre le social, l’économique et le biologique aboutissant à la théorie des cercles reliant l’individuel et le collectif : « La boucle ne saurait se boucler sans passer par ce métaniveau que constitue la relation elle-même. La transcendance de la transcendance est un processus qui ne s’achèvera jamais » (p. 132). Dans ce processus où le meilleur et le pire se croisent, « les plus insidieux ennemis de la société ouverte sont aujourd’hui ceux qui présentent comme inévitable la domination totale du monde par le marché » (p. 133). « À charge de revanche » se lit à deux niveaux : d’une part, une recherche contemporaine sur le don dans la réciprocité, centrée sur l’avenir de notre vivre-ensemble (Hannah Arendt) ; d’autre part, une critique sans concession d’une économie globale qui utilise largement l’esprit du …