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Le sens de l’équivoqueLes usages de la psychanalyse en anthropologie[Record]

  • Samuel Lézé

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  • Samuel Lézé
    Laboratoire de sciences sociales
    et UMR Genèse et transformation des mondes sociaux — GTMS
    École Normale Supérieure
    48 Boulevard Jourdan
    75014 Paris
    France

Les usages de la psychanalyse en anthropologie sont tellement divers, fruits de tentatives souvent isolées, qu’ils ne présentent véritablement aucune unité théorique. Que partagent en effet le programme de recherche nord-américain « culture et personnalité » intitulé aujourd’hui Psychological Anthropology et les travaux dont les sous-titres mentionnent parfois le syntagme « anthropologie psychanalytique »? Peu de chose. Sans doute dira-t-on, le premier repose sur une déformation théorique ou culturaliste de la psychanalyse alors que le second, plus soucieux de sa conformité à un domaine d’investigation circonscrit (le symbolique), serait enfin une approche légitime, mais concurrente, de l’anthropologie symbolique. D’autres usages se démarquent pourtant de ses deux grands axes revêtant alors une autre appellation : « anthropologie analytique » (Geffray 1997) ou « ethnopsychanalyse » (Pradelles de Latour 1991) dont les problématiques anthropologiques (par exemple, la dette) recoupent des préoccupations psychanalytiques. Plus originale est la démarche de Jeanne Favret Saada (1977, 1990) qui ne recourt jamais à la psychanalyse en tant que telle pour l’appliquer, mais élargit le champ d’attention de l’anthropologue aux situations d’interlocution, à ses affects et implications. Un premier constat se dégage. La hiérarchie des disciplines, le degré de leur apport réciproque et la définition de chacune sont l’enjeu de ces usages. De tous, l’anthropologie psychanalytique est sans aucun doute le programme fort : une subordination du matériel ethnographique (et donc de l’anthropologie) à la théorie psychanalytique qui y trouverait alors une confirmation. L’existence de ce domaine d’investigation est largement suscitée par la controverse que provoque Malinowski à propos de l’universalité du complexe d’Oedipe (1927). Dans ce débat, il trahit surtout, comme de nombreux anthropologues à sa suite, son ignorance de la psychanalyse (Stocking 1991 ; Lézé 2004a). Commencée par Géza Roheim à qui l’on doit sa dénomination, l’anthropologie psychanalytique se développe grâce au financement de la princesse Marie Bonaparte. L’ambition militante est très claire : prouver l’universalité du complexe d’Oedipe à travers le travail de terrain (1928-1931). Le tribunal psychanalytique impose désormais une exigence préalable : être analysé (Valabrega 1957). C’est le cas, semble-t-il, de tous ceux qui s’y adonnent aujourd’hui. Qu’est-ce que l’anthropologie psychanalytique? Pour répondre à cette question, il ne suffit pas de dresser l’inventaire des études, de nature et de qualité inégale, qui paraissent ponctuellement sous cette rubrique, l’ensemble laissant une impression de fragmentation et d’éternel commencement. Ces essais très sophistiqués s’épuisent pour une part à justifier le dialogue ou le voisinage des deux disciplines, développent pour une autre une « défense et illustration » de la théorie freudienne à laquelle les auteurs ne tardent pas à faire peu ou prou allégeance. Il n’a pas manqué d’anthropologues pour en découdre avec la psychanalyse et l’anthropologie psychanalytique, lui témoignant ainsi un intérêt relatif. Ma position est simple et radicale. Je pense que la critique de la psychanalyse est en l’espèce inutile. Elle survit aux controverses parce qu’elle s’en alimente largement. J’éviterai donc de lui apporter du grain à moudre et l’occasion d’engager un dialogue de sourds qui se termine toujours en soliloque. Les anthropologues ont mieux à faire. La psychanalyse et les psychanalystes forcent l’adhésion ou le rejet. Soit, je propose de l’étudier par le menu, car son activité est justifiable d’une enquête anthropologique approfondie (Lézé 2004b). L’anthropologie psychanalytique présente quant à elle un intérêt épistémologique indéniable. À partir de la lecture des trois dernières publications en la matière, je me propose de montrer dans quelle mesure la tentation mentaliste en anthropologie est une simple « figure de la surinterprétation » (Olivier de Sardan 1996). Ma critique ne s’adresse donc pas à l’anthropologie psychanalytique en particulier qui est, au fond, secondaire et vulnérable, mais à …

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