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Jérôme Bindé (dir.), Où vont les valeurs? Paris, Éditions UNESCO (collection Entretiens du XXIe siècle) et Albin Michel, 2004, 506 p., réf.[Record]

  • Raymond Massé

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  • Raymond Massé
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Au cours des dernières années, l’unesco a animé deux séries de grandes conférences pour contribuer au débat mondial sur les enjeux que soulèvent les changements sociaux et culturels. Les premières se sont déroulées de 1997 à 2001 dans le cadre du cycle des « Entretiens du XXIe siècle » ; les secondes ont réuni une vingtaine de participants dans le cadre des « Dialogues du XXIe siècle » au lendemain des événements du 11 septembre 2001. Cet ouvrage regroupe 54 textes qui y furent présentés, reflétant les points de vue d’autant de spécialistes internationaux des sciences sociales et humaines, de penseurs et de décideurs. Chacune de 18 sections regroupées en quatre grandes parties est précédée d’une introduction pertinente annonçant des thématiques comme l’hybridation des valeurs, leur déclin, leur « frivolité », l’avenir des langues, la « troisième révolution industrielle », le développement, l’éducation, les nouveaux contrats sociaux et éthiques ou encore les nouveaux visages du racisme. Le fil conducteur proposé est celui des valeurs, de leur mutation, de leur avenir. La crise des valeurs, en contexte de développement des technosciences et de la mondialisation, est ici abordée sous deux angles : celui de la dévaluation des valeurs classiques, autant religieuses que laïques ; et celui de leur « fluctuation quasi boursière, ludique et esthétique » et de la perte des repères. Où vont donc les valeurs en ce début de XXIe siècle? Dès la préface toutefois, Koîchiro Matsuura, Directeur général de l’unesco, remet les pendules à l’heure. Nous sommes loin de voguer vers un monde sans éthique et sans valeurs. D’ailleurs n’exagère-t-on pas cette supposée perte de repères alors que, par exemple soutient Paul Ricoeur, les bouleversements affectant la conjugalité n’ont affecté ni la solidité du lien familial, ni la stabilité des interdits de l’inceste et de la pédophilie ni l’amour des enfants (p. 77). Tout comme nous pouvons succomber à une exagération dans l’influence de la mondialisation des valeurs, nous devons conserver un esprit critique, soutient Jacques Derrida, face aux « boursouflures rhétoriques » (p. 170) qui scandent, trop rapidement, la fin du travail, l’universalisation de la lutte pour le pardon, la paix ou contre la peine de mort. Les valeurs ne sont pas mortes. En fait le problème ne serait-il pas celui du « sens » des valeurs et de la capacité de gouverner et de décider à la lumière de ces valeurs? N’est-il pas de savoir gérer, par exemple, l’écart majeur dans le degré de sécularisation des valeurs véhiculées par le monde occidental et par ses « ennemis » (Gianni Vatimo, p. 31) tout en cultivant une « attitude sceptique envers les valeurs, cette capacité à s’y tenir sans les considérer comme absolues » (ibid., p. 34)? La survie des valeurs passe-t-elle par la tradition? Cela n’est pas aussi simple ; au contraire, propose Hélé Béji, la violence manifeste dans les discours de la tradition ne risque-t-elle pas de se substituer au dialogue des cultures? Le problème à la base n’est-il pas que le discours sur l’équivalence de toutes les valeurs, de toutes les cultures, de toutes les traditions répond d’abord aux besoins des Occidentaux de se défaire de leurs préjugés raciaux et de leur culpabilité face au colonialisme? Or, le prix à payer serait, pour Hélé Béji, la montée d’un « préjugé colonial inversé », d’une « nouvelle forme d’orgueil culturel », d’une nouvelle « culture de l’inhumain » qui propage les germes de l’intolérance et de la discrimination. Dans un texte significatif, elle déplore que « le discours de la différence, qui devait en principe me rendre …