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Éric Méchoulan, Le crépuscule des intellectuels. De la tyrannie de la clarté au délire d’interprétation. Québec, Nota bene, 2005, 230 p.[Record]

  • Martin Lambert

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  • Martin Lambert
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    1398, rue de la Sapinière
    Lévis (Québec) G6K 1B7
    Canada

En juillet 2005 décédait Laurent-Michel Vacher, professeur de philosophie au cégep et auteur aussi prolifique que controversé. On le critiquait dans son milieu pour ses prises de position contre la tradition d’enseignement par les grandes oeuvres et l’hermétisme rébarbatif d’une philosophie qu’il jugeait tour à tour bourgeoise et pédante. En 2004, il lançait une charge contre ce qu’il nommait le style amphigourique et l’obsession d’obscurité chez Nietzsche (Vacher 2004), selon lui deux vices que des interprètes prompts au délire venaient défendre en déniant les évidences mêmes du texte. Vacher, dans son Crépuscule d’une idole, cherche à replacer Nietzsche à la case qu’il croit lui correspondre : celle d’un auteur adepte du charabia et dont trop de commentateurs ont voulu sauver la peau en refusant d’en voir l’évidente tendance fascisante. Le défunt professeur construit donc un « portrait-robot » du fascisme qu’il compare à des extraits de l’oeuvre de Nietzsche ; pour lui, il s’agit de retourner à la lettre et de l’affronter par-delà les effets de style. Dans sa réplique cinglante, Méchoulan, au lieu que de chercher à défendre ou réhabiliter Nietzsche, reprend l’analyse de Vacher pour en démontrer les apories et les insuffisances. Il pose d’entrée de jeu une distinction fondamentale qui parcourt l’ensemble de l’ouvrage : un journaliste n’est pas un intellectuel et ceux-ci n’opèrent pas dans les mêmes paramètres. Ainsi, l’intellectuel s’occupe et se préoccupe d’une réflexion dans la nuance et la complexité ; il travaille l’événement dans le détail et surtout dans la lenteur. Au contraire, le journaliste fait sienne une information parcellaire dont la rapidité et l’enchaînement des nouvelles ne permettent pas la nuance. D’une part virtualité du sens et ethos, de l’autre actualité des faits divers et pathos. Méchoulan précise toutefois, avec une prudence avisée, que le journalisme dont il parle n’appartient pas en propre aux journalistes, pas plus que le travail intellectuel n’est l’apanage des intellectuels. Point question ici de corps de métier mais plutôt de fonctions sociales, ce qui permet à l’auteur d’enfoncer ces figures dans le stéréotype sans lui-même s’encombrer de nuances. Ses deux premiers chapitres, Méchoulan les consacre à analyser la méthode de Vacher. Il s’en prend à l’idée de portrait-robot et de recherche de preuves dans la surface des mots : évitant l’interprétation, cette approche écarte les contextes sémantique, syntaxique, socioculturel, historique, etc. En outre, l’auteur déplore un portrait partiel du fascisme qui en esquive les manifestations historiques sous prétexte de cerner la « mentalité » fasciste, faisant foin de l’intime rapport entre idées et actions. Méchoulan dénote là facilité et rapidité. Il en va de même dans le choix des citations qui semble mener Vacher à des conclusions que ces citations, remises en entier et en contexte, ne lui permettraient pas ; pour Méchoulan, il est clair que Vacher élague le propos de Nietzsche pour servir le sien. D’un côté, Vacher tirerait à boulet rouges sur le délire d’interprétation des idolâtres et sur le délire et l’utopisme de l’idole elle-même. Pour lui, Nietzsche embellit de style un fond fascisant et en embrume l’exacte teneur. Méchoulan, de l’autre côté, voit dans cette posture celle de l’anti-intellectuel qui croit que les idées travestissent le réel et qui méprise le réel travail intellectuel. Au demeurant, comme cette analyse loge pour Méchoulan à l’enseigne de l’approche journalistique, il se donne à coeur joie de reprendre, et dans toute l’étendue de leur complexité, ce qu’il considère comme les défaillances de Vacher du long des quatre chapitres suivants. Outre la nécessaire prise en compte de l’histoire pour comprendre un phénomène comme le fascisme et le portrait incomplet de ce mouvement historique …

Appendices