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Alain-Philippe Durand (dir.), Black, Blanc, Beur : Rap Music and Hip-Hop Culture in the Francophone World. Lanham, The Scarecrow Press, 2002, 150 p., bibliogr., index.[Record]

  • Naveen Murthy

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  • Naveen Murthy
    Département de science politique
    Université de Montréal
    C.P. 6128, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

Une bonne partie de la littérature courante traite le hip-hop comme une forme de rejet de la modernité capitaliste – une culture de contestation particulière et spécifique, ayant pour cible le « système », souvent mal défini, vaguement décrit comme l’État oppresseur, raciste, et intolérant à la différence. Bien que ce soit un angle d’analyse légitime, il est limité puisque en plaçant ces deux entités en confrontation constante, cela ne permet pas de comprendre le lien d’interdépendance qui existe entre l’État et la culture hip-hop – comme dirait Alexander Wendt, « le lien constitutif ». Le but avoué de ce livre est donc de déconstruire l’idée classique du hip-hop comme activité de guérilla urbaine, et conséquemment, de permettre des « cartographies subtiles des structures entremêlées d’urbanité, de production culturelle, de classes et d’ethnicité » (p. viii). En ce sens, la trame narrative de cet ensemble de textes insère le hip-hop francophone dans un espace d’appropriation urbaine et de résistance, deux visages d’un même processus. Les articles parcourent un vaste éventail de la culture hip-hop, du plus général, comme le texte d’André Prévost qui fait le tour de l’histoire du rap en France, à des textes plus étroitement centrés sur une problématique – comme le texte de Jacono qui tente de voir un lien entre identité marseillaise et rap marseillais ; le texte d’Anne-Marie Green sur la culture hip-hop comme culture des jeunes, et donc l’étude des jeunes par l’étude du hip-hop ; les textes de Milon ou Bazin sur les graffitis et le breakdance respectivement ; ou encore les textes d’Auzanneau sur le rap à Libreville ou celui de Chamberland sur le rap au Québec. Bref, ce livre de Durand se présente comme une bonne introduction au mouvement hip-hop francophone, à la fois pour des analyses centrées sur des formes spécifiques d’expression hip-hop, mais aussi au niveau pour l’utilisation de plusieurs outils conceptuels tirés de divers horizons de recherche, ce qui démontre, une fois de plus, l’utilité des démarches interdisciplinaires dans l’étude des nouveaux mouvements sociaux. Quelques articles en particulier méritent une mention spéciale dans cette recension, car ils montrent bien la force de cet ouvrage : l’utilité du livre de Durand n’est pas dans la contribution individuelle de chaque auteur, mais plutôt dans les emprunts que le lecteur peut faire, de manière éparpillée, dans les divers textes pour se construire une image de la culture rap – on peut voir le livre comme une boîte à outils dans laquelle le chercheur puisera selon sa volonté. L’article de Paul A. Silverstein prend « l’affaire NTM » comme trame de fond pour faire un lien entre le « gansta rap » français et la critique du capitalisme à la française. Il montre bien l’attitude ambivalente de ces groupes qui, tout en contestant le système, en profitent grandement et tentent par tous les moyens d’infiltrer les canaux capitalistes. L’article se penche sur une autre ambivalence du néo-libéralisme français : d’une part, la dérégulation des marchés, mais d’autre part, réglementation du discours et des pratiques culturelles, qui découlent en grande partie de cette dérégulation. De fait, le rap devient donc, aux yeux de Silverstein, un espace caractérisé par des pratiques significatives, ouvert à la jeunesse contestataire ; cela devient beaucoup plus clair si l’on y insère la caractéristique principale de la jeunesse présentée dans l’article d’Anne-Marie Green – état d’incertitude prolongée qui écarte un rôle social effectif et questionne l’identité (p. 79). Cet espace est encadré par des structures socio-économiques et des attitudes culturelles contradictoires de l’après-modernité française. Ici, un pont peut-être construit avec le concept de « culture intersitielle » développé dans …