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L’histoire des aventuriers est un véritable best-seller depuis la première édition hollandaise de 1678, sans cesse réédité en français, allemand, anglais, espagnol. Pendant longtemps ce témoignage, rédigé par un chirurgien engagé dans la flibuste, fut considéré comme notre unique référence documentaire sur toute cette période. Forgeant notre vision du phénomène il donna même naissance au mythe de la « flibuste facile ou flibuste hollywoodienne » (facilité avec laquelle tout un chacun pouvait monter une fructueuse expédition de flibuste et au retour jouir d’une vie oisive sous les cocotiers entre bombance et accortes girondes) et en partie à celui de la « flibuste ou piraterie libertaire » (avec des principes d’égalité, de solidarité et de démocratie sur fond de liberté, régissant les rapports entre les hommes de la flibuste et de la piraterie).
Mais depuis quelques années, en l’absence du manuscrit original de l’auteur, certains historiens ont commencé à s’interroger sur sa totale fiabilité. Confrontant les données recueillies dans les archives coloniales à celles fournies par le texte, on s’est aperçu de certaines erreurs de date et que l’auteur n’avait pu assister à toutes les scènes décrites. Pire, qu’en fonction de la nationalité de l’éditeur, les mêmes faits étaient présentés différemment pour ménager la susceptibilité du lecteur et qu’au fil des ans, le texte initial avait été largement augmenté, comme entre la première édition française de 1686 et celle de 1699, considérée comme la plus complète.
Ces dernières années on assistait plutôt au phénomène inverse. Certains éditeurs n’hésitant pas à supprimer certaines parties pour ne garder que les chapitres et les passages qui leur semblaient les plus attirants pour le grand public. Bref il était temps d’y mettre bon ordre!
Aussi faut-il saluer le très beau travail critique entrepris par les deux universitaires éditeurs de cette nouvelle édition de l’oeuvre d’Exquemelin. Leur travail commence par une introduction historique sur l’origine de la flibuste, la définition, le mythe, l’auteur du texte et sa fiabilité. Puis partant de la première édition française de 1686 et après confrontation avec l’édition hollandaise de 1678, Real Ouellet établit l’intégralité du texte, sûrement très proche du manuscrit original. Seul le chapitre sur « l’établissement d’une chambre des comptes aux Indes » n’a pas été retenu (il est vrai sans vraiment de rapport avec le reste de l’oeuvre) ; par contre, les ajouts de l’édition de 1699 y figurent également, mais rangés dans la partie annexe de l’ouvrage. En collaboration avec Patrick Villiers, il élabore un important appareil critique avec plusieurs centaines de notes, un glossaire, une liste sur la faune et la flore, des notices biographiques sur les principaux personnages mentionnés, la traduction et la reproduction d’une procuration signée par Exquemelin, un index, une riche bibliographie.
Un seul regret cependant, que j’ose à peine formuler, car le travail réalisé est déjà considérable. La confrontation avec les premières éditions en allemand, en espagnol, en anglais aurait permis un tableau comparatif, donnant ainsi une vision exhaustive des différentes versions de l’oeuvre d’Exquemelin.
La lecture de ce grand classique est toujours aussi aisée et passionnante (ce qui en explique le succès jamais démenti), mais en plus, le texte révèle ainsi toutes ses richesses. Aussi cette première édition critique est-elle incontournable et fera-t-elle date à juste titre.