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Il est maintenant devenu une évidence de dire que l’objectivité en sciences sociales repose sur des bases différentes de celles des sciences de laboratoire. Mais encore! Pour Copans (2000a et 2000b, mais aussi pour Lambek 2000, Michaud 2000, van Beek 2000 et Warnier 2000), les anthropologies sont profon-dément marquées par leurs milieux sociaux et nationaux d’exercice, ce que nous négligeons trop souvent de reconnaître. Ainsi, l’histoire personnelle des anthro-pologues, dont leur provenance ethno-nationale, mais aussi leurs lieux et époques de formation et d’enseignement seraient des variables non négligeables dans la lecture qu’ils font de leurs terrains et dans leurs efforts de théorisation. Appa-durai (2000), réfléchissant à la façon dont sa propre biographie universitaire est liée à celle de ses collègues, avance qu’il n’y a pas de perspective « de nulle part ». Et, comme Friedman (2000) l’a mis en évidence, la représentation idéologique que les anthropologues se font du monde influence leurs avancées théoriques. Par ailleurs, comme le rappelle Warnier (2000), le financement des recherches anthro-pologiques a des échos sur la construction des théories.

S’agit-il là des seules contraintes importantes à la construction des théo-ries? Dans les pages qui suivent, nous verrons que le terrain, dont les données constituent le matériel à l’aide duquel les anthropologues élaborent des théories enracinées, constitue une pièce centrale du casse-tête. C’est ce que nous démontrerons, en nous penchant sur deux concepts relativement récents en anthropologie, ceux d’« identité » et de « mondialisation », qui ont donné lieu à des théorisations différentes chez cinq anthropologues, soit Arjun Appadurai, Jonathan Friedman, Ulf Hannerz, Michael Herzfeld et Éric Schwimmer[2].

En analysant leurs principaux travaux depuis 1989[3], nous avons porté une attention particulière aux indices précisant le contexte de la construction des notions d’« identité » et de « mondialisation ». De cette façon, nous avons cerné l’influence de leurs positions respectives sur leur conception de l’identité et de la mondialisa-tion. Pour rendre compte de nos découvertes, nous synthétiserons leurs conceptions sur ces notions en signalant les éléments de convergence et de divergence. Dans un deuxième temps, nous mettrons en relation leurs conceptions en fonction des axes d’analyse épistémologique, méthodologique et théorique, et en fonction du terrain choisi. Nous montrerons alors que les divergences s’expliquent principalement par le terrain effectué et la façon dont ils l’abordent.

L’identité et la mondialisation telles que les conçoivent les auteurs étudiés

La notion d’« identité »

Schwimmer (1994a) voit l’identité de groupe comme une communauté concrète en construction. Pour lui, se donner une identité, c’est traduire en un discours homogène un ensemble hétérogène de langages. Le discours dans lequel nous énonçons notre identité est donc un acte créateur. Hannerz (1992a) conçoit aussi l’identité comme un acte de création. Le concept de créolisation, très im-portant dans son œuvre, met d’ailleurs en évidence cette créativité identitaire. Pour lui (1992a et 1996b), l’identité et la culture renvoient toutes les deux à la pratique du sens, sens que les gens créent et qui crée les gens en tant qu’individus et membres de sociétés. La perspective individuelle du sens provient dans ce cas de l’insertion d’un individu dans différents réseaux sociaux, et la culture, du réseau de toutes les perspectives individuelles.

Pour Schwimmer (2000) aussi, l’identité de groupe est plurielle, c’est-à-dire que les individus se considèrent comme membres de plusieurs unités à la fois. L’importance de ces unités varie alors selon les circonstances ainsi que dans le temps en fonction des groupes et des individus. Ainsi, l’univers de sens d’une culture est hétérogène, puisque ses membres n’absorbent par les mêmes signes selon leur position dans la relation centre/périphérie de la sémiosphère (Schwimmer 1994c). C’est d’ailleurs à cause de cette hétérogénéité que la communauté s’inquiète parfois de son identité. Cette inquiétude s’avère encore plus forte quand la com-munauté se situe à la périphérie d’une unité sociale plus large et puissante, comme un État souverain.

Friedman (1994), pour sa part, établit une différence fondamentale entre la culture, considérée comme hégémonique, et l’identité, qui correspond à la culture locale. La culture, selon Friedman (1994), est une source de variation et de créativité dans les populations humaines. Il la définit comme générique. Quant à l’identité, qu’il décrit comme une culture différentielle, elle consiste simplement en la réalisation de la culture générique dans ses spécificités historiques et spatiales. Selon Friedman (1994), la culture est diffusée dans le processus d’ex-pansion impériale tandis que les cultures locales se renforcent en périodes de déclin de l’hégémonie. Il pense que l’établissement comme le maintien des iden-tités culturelles se rapportent étroitement à la façon dont ces identités se constituent. Ainsi, les formes d’identités qui sont marquées ou portées sur le corps comme la couleur de la peau, les liens de sang et les caractéristiques sociales comme les tatouages, semblent plus faciles à maintenir que les autres formes d’identité, parce qu’elles sont définies comme internes à la personne et donc plus stables. Il s’agit d’une optique que partage Herzfeld (1992c et 1997).

Appadurai (1996a), de son côté, parle plutôt d’identité ethnique et d’ethnicité que d’identité culturelle. Pour lui, la culture ne se superpose pas à l’ethnicité. Si elle équivaut à l’ethnicité, celle-ci est instrumentale et non primordiale. À l’ère mondiale, selon Appadurai (1990 et 1996a), les primordia — la langue, la couleur de la peau, la parenté, etc. — sont souvent manipulés et réifiés ; les appareils d’État s’y emploient ainsi que les groupes qui utilisent la logique de la nation pour contrôler l’État par le truchement des médias. Il en résulte que l’« intimité », dont les primordia font partie, se transforme en un sentiment politique par le biais de l’imagination. Les primordia se mondialisant, l’ethnicité devient mondiale. Ce sont les médias qui lient les groupes en déplacement, car l’ethnicité moderne rassemble des groupes dont l’étendue spatiale et la force numérique sont beaucoup plus grandes que celles des groupes ethniques de l’anthropologie traditionnelle. Toutefois, pour Appadurai (1996a), ce phénomène n’exclut pas la dimension ethnique des groupes plus petits, moins dispersés et organisés de façon plus instrumentale.

Appadurai (1996a) parle de « culturalisme » pour signifier une des caracté-ristiques de base des ethnicités modernes. À son sens, celles-ci sont des identités consciemment en construction, contre-nationales et métaculturelles. Par consé-quent, au sein des États souverains[4], il y a des risques d’implosion de violence à cause d’une contradiction selon laquelle l’État souverain construit et représente, d’une part, un ethnos et, d’autre part, la réalité de l’existence, d’un amalgame de plusieurs identités au sein de l’État. Même si tous les mouvements culturalistes ne mènent pas nécessairement à la violence entre les groupes ethniques, il n’en demeure pas moins que le culturalisme possède un fort potentiel de violence, car les loyautés translocales influent sur le local, induisant ainsi une violence poten-tielle.

Herzfeld (1992c) établit, quant à lui, un lien très étroit entre l’État sou-verain et l’ethnicité. Il montre clairement que l’État essentialise et ethnicise des différences culturelles en les faisant apparaître comme héréditaires. Le sang se transforme en destin, et la nation est ce qu’elle est parce qu’elle suit son destin. Exclusif, le symbolisme du sang produit l’indifférence par le rejet d’une humanité commune. L’association du sang, de la guerre et de l’intellect fonde de façon conceptuelle l’identité. Cela explique la facilité avec laquelle on peut convaincre de la nécessité de la violence pour défendre la nation.

Tous les auteurs, sauf Appadurai, parlent de l’identité en termes de stra-tégies. Friedman (1994), par exemple, envisage la consommation comme un aspect d’une stratégie plus générale pour l’établissement ou le maintien d’un soi. Pour Herzfeld (1997), dans le cas de la Grèce, la nostalgie structurelle est une ressource stratégique partagée par les bergers irrévérencieux envers l’État, par l’État lui-même et par les communautés religieuses dont les bergers font partie. Quant à Hannerz (1992a), il voit, par exemple, dans la culture populaire au Nigéria, plus particulièrement dans la musique, un acte innovateur de brokerage culturel puisque les nouvelles ressources technologiques et symboliques du centre servent de ressources pour la création d’un matériel plus local. Enfin, Schwimmer (1994c) écrit que, par une attitude active, les sujets locaux sont en mesure de réinterpréter à leur avantage les messages des médias globaux, ceux-ci ne contrôlant que l’émission et non la réception des messages.

De plus, le concept d’identité est constamment associé à celui de localisme. Par exemple, pour Appadurai (1991 et 1996a), la nature de la localité a été profon-dément modifiée, en tant qu’expérience vécue, dans le monde mondialisé et déter-ritorialisé. Pour la comprendre, il faut se pencher d’une nouvelle façon sur le rôle et sur le nouveau pouvoir de l’imagination dans la vie sociale. Les communautés de sentiments permises par l’imagination collective sont des communautés en elles-mêmes et potentiellement pour elles-mêmes, puisqu’elles sont capables de passer de l’imagination partagée à une action collective. Ces communautés sont souvent transnationales et même postnationales. Pour cet auteur, des efforts sont déployés visant à créer de nouvelles communautés résidentielles localisées qui reposent sur un imaginaire d’autonomie locale, plutôt que sur un imaginaire national. Ces efforts seraient ainsi relativement libres des discours du patriotisme et de la nationalité, mais riches de discours sur la citoyenneté, la démocratie et les droits locaux.

Schwimmer (1994a et 1994c) voit le local différemment. Pour lui, toute formation sociale stable se fonde sur les sujets locaux, ce qui ne l’empêche pas de partager avec Appadurai (1993, 1995a et 1996a) l’idée selon laquelle la localité est fragile et doit se défendre activement contre toutes sortes d’influences étrangères. Selon Schwimmer (1994a), si les formations sociales à grande échelle compliquent la lutte des localismes pour leur survie, le contexte mondial est loin de marquer la fin du local. Les gens qui l’habitent construisent avec fierté leur identité locale au bout de la chaîne des communications.

Hannerz (1996) ne pense pas que le local va disparaître; tout au plus, croit-il, il sera différent. Pour cet auteur, les composantes typiques de la localité ne sont pas toutes intrinsèquement locales, mais plutôt distribuées de façon diffé-rentielle dans l’organisation sociale de l’espace. D’ailleurs, aujourd’hui, les con-nexions transnationales ne sont plus seulement une affaire d’élite. En somme, l’arrangement toujours plus complexe des interconnexions personnelles entre le local et le mondial devient maintenant de plus en plus opaque.

Friedman (1994) précise, quant à lui, que les identités locales, bien qu’elles soient des produits de stratégies localisantes, sont mondialement générées. Appa-durai (1996a) voit aussi les histoires à travers lesquelles la localité émerge comme liées à des dynamiques mondiales.

La notion de « mondialisation »

Si l’identité renvoie au local, et sa construction à une approche qui réagit à d’autres constructions identitaires, la mondialisation semble un concept plus difficile à définir. D’un côté, Appadurai a une vision plutôt classique de la mondialisation, s’y référant en des termes d’économie culturelle mondiale. Schwimmer et Herzfeld, pour leur part, bien que conscients des structures plus larges, ne les décrivent pas en détails. Quant à Friedman et Hannerz, ils adoptent respectivement une approche qui se situe entre les deux autres. Friedman (1994) établit une différence entre mondialisation et systèmes systémiques mondiaux. Il ne parle pas de diffusion d’idées, de recettes et de « patterns », mais des con-ditions dans lesquelles ces diffusions se produisent. Hannerz (1996a) se distingue de tous les autres auteurs en préférant utiliser le terme « transnational » à celui de « mondialisation » pour parler des phénomènes qui traversent les structures d’État comme certaines activités économiques, les relations diasporiques, les déplacements de travailleurs, etc.

Tous les auteurs étudiés, sauf Appadurai, postulent une structure de type centre/périphérie dans leur modèle de relations mondiales, structures qui sup-posent des relations de pouvoir entre le centre du système mondial et la ou les périphéries. Comme Friedman (1994), Hannerz (1991 et 1996b) est loin de voir la périphérie sans défense. Friedman (1994) est clair sur ce point quand il parle des stratégies identitaires des gens de la périphérie. La périphérie importe toutes sortes de choses du centre, mais elle est aussi constituée de personnes qui innovent. D’ailleurs, les influences transnationales ne sont pas récentes : elles opèrent depuis longtemps déjà, et les gens de la périphérie ne sont pas dépourvus de ressources dans ces processus.

Pour décrire la relation centre/périphérie, Hannerz (1991 et 1992a et 1996b) parle de créolisation. Les cultures, comme les langues, peuvent être d’origines mixtes plutôt qu’historiquement pures et homogènes. Ce concept implique aussi que les gens de la périphérie soient activement engagés dans la fabrication de leur propre synthèse identitaire et culturelle.

Friedman (1994) ne partage pas les idées d’hybridation et de créolisation, parce qu’elles se basent sur une définition des cultures qui seraient pures à leur origine. Ces théories, selon lui, même si elles nient l’existence de cultures pures, s’en servent comme fondations pour leurs descriptions des réalités modernes. Ainsi, quand le terme créole devient une notion essentialiste de culture, il exprime l’idée de mélange de deux ou plusieurs cultures pures. Or, selon Friedman (1994), les cultures ne circulent pas et ne se mélangent pas. Il s’oppose ici à Hannerz et Appadurai. La créolisation, selon Friedman (1994), amène à considérer la culture en termes de produits plutôt que de production. Virtuel-lement, toutes les cultures sont plurielles et créoles d’origines, même si elles n’apparaissent ni ne sont expérimentées comme cela. Les processus de syncré-tisme culturel ou de créolisation méritent attention seulement lorsqu’on se penche sur la pratique de l’identité locale, et non sur l’identification cosmopolitaine des origines.

Pour Appadurai (1990 et 1996a), la nouvelle économie culturelle mondiale s’édifie en un ordre complexe, disjonctif, où des chevauchements s’opèrent entre cinq dimensions principales, soit les « ethnoscapes », les « technoscapes », les « finanscapes », les « médiascapes » et les « ideoscapes ». Toutefois, cet ordre nouveau ne peut plus être compris selon les modèles centre/périphérie existants. Friedman (1994) s’oppose à cette conception du monde. Il soutient que la créa-tion culturelle se fonde sur des conditions historiques, et nécessairement, sur une continuité existentielle et sociale. À son sens, le réarrangement mondial des réali-tés sociales et la continuité culturelle vont de pair. Et il ajoute que même le chaos des identités et des stratégies dans le monde d’aujourd’hui résulte de forces réelles et hautement structurées.

Hannerz (1989, 1991, 1992a, 1992b, 1984 et 1996) ajoute qu’on ne peut plus voir le monde d’aujourd’hui comme une mosaïque culturelle. Il est devenu un écoumène mondial d’interactions et d’échanges persistants. En termes de construction culturelle, comme en termes économiques et politiques, il s’agit d’un tout intégré.

Tous semblent pourtant s’entendre pour dire que « mondialisation » n’est pas synonyme d’«homogénéisation ». Les formes peuvent se ressembler, mais les contenus ne sont pas les mêmes. Selon Appadurai, ce que nous oublions quand nous parlons d’homogénéisation culturelle sous l’effet de la mondialisation est que : « at least as rapidly as forces from various metropolises are brought into new societies they tend to become indigenized in one or another way : this is true of music and housing styles as much as it is true of science and terrorism, spectacles and constitutions » (1996a : 32). Hannerz (1996b) et Herzfeld (1992) partagent cet avis.

Comme Friedman (1994) et Schwimmer (1994c), Hannerz (1992a) iden-tifie deux tendances dans les cultures contemporaines : l’une, centrifuge, qui met l’accent sur la fragmentation et l’isolation des sous-cultures; et l’autre, centripète, qui accentue l’homogénéisation et la massification par l’appareil culturel ou par les centres hégémoniques. Ni une ni l’autre ne s’expriment en même temps.

Il faut aussi garder en mémoire que le monde et l’hégémonie changent. Selon Hannerz (1992a) et Friedman (1994), la périphérie d’aujourd’hui peut devenir le centre de demain. En Asie, par exemple, on voit actuellement surgir un nouveau centre, ce qui entraînera un changement majeur dans l’hégémonie du système mondial de même qu’une prolifération des voix.

La place accordée à la nation et à l’État souverain

Considérant tout ce qui précède, si nous situons les cinq auteurs sur un axe allant du mondial au local, Appadurai se situe à l’extrémité mondiale du conti-nuum, alors que Herzfeld et Schwimmer se situent du côté local, et Hannerz et Friedman se retrouvent davantage vers le milieu. Cette position des auteurs concorde avec leur façon de concevoir la nation et l’État souverain. Selon Appa-durai (1990 et 1996a), la mondialisation a amené une crise au niveau du trait d’union entre l’État et la nation. De nos jours, les médias, la technologie, et les voyages aidant, les États sont forcés de rester ouverts. Au sujet du contexte des disjonctions mondiales, cet auteur insiste sur le fait que les nationalités grandissent constamment en échelle et traversent régulièrement les frontières des États existants. Dans un monde où les gens circulent constamment, où il y a marchandisation mondiale et où les États souverains dépendent de plus en plus de ce qui provient de l’étranger, la souveraineté territoriale se justifie plus diffi-cilement. Appadurai (1990 et 1996a) affirme que l’État souverain, comme organi-sation d’un territoire, d’un ethnos et d’un appareil gouvernemental compact et isomorphique, vit une crise. Les idées de nation semblent de plus en plus conduites par des discours linguistiques, raciaux, religieux; on s’éloigne des discours de loyauté, d’affiliation et de territoire.

Friedman (1994) estime en outre que l’État souverain, en tant qu’entité, s’affaiblit progressivement dans l’économie-monde. La crise mondiale actuelle provoquerait la dissolution de la citoyenneté abstraite qui définit le « membership » à un territoire donné et à une société gouvernée par un État en faveur d’une identité basée sur des liens primordiaux (l’ethnicité, la race, la communauté locale).

Ces visions sont contraires à celles de Herzfeld et de Schwimmer pour qui l’État demeure important. Pour Herzfeld (1992c et 1997), l’État joue encore un rôle de premier plan et son pouvoir s’exerce en grande partie grâce à sa bureau-cratie. Même Hannerz (1996) considère que l’État ne disparaîtra pas nécessaire-ment. Il agit comme acteur dans la mondialisation en assurant que l’horizon de certains transcende les frontières territoriales. Pour sa part, Hannerz (1996) voit plutôt un évanouissement de la nation en tant que communauté imaginée et source d’identité. En somme, le sens de l’enracinement historique profond serait remplacé par l’expérience également intense de la discontinuité et de la rupture, comme dans le cas de migrants transnationaux.

Origine des divergences de pensée

Comment expliquer ces différences entre ces auteurs? On peut se deman-der si ces différences peuvent s’expliquer par les approches méthodologiques, les choix épistémologiques, les théories ou le terrain.

L’approche épistémologique des cinq auteurs se situe dans le constructi-visme. En effet, tous sauf Schwimmer se réfèrent à Anderson pour qui la nation est « une communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine » (1996 [1983] : 19). C’est alors le style dans lequel une nation s’est imaginée qui la distingue des autres nations. Cette définition de la nation d’Anderson amène nécessairement les gens qui s’y rapportent à concevoir la nation, mais aussi l’identité, comme une construction à la façon de Latour (Latour et Woolgar 1996 [1979]), au lieu de voir ces concepts comme des réalités existant en elles-mêmes et directement accessibles (Popper 1984 [1959]; Lakatos 1975). Bien que Schwimmer ne s’appuie pas sur Anderson, tous deux utilisent des termes qui illustrent bien leur conception construite des réalités qu’ils observent tels que « construit, construc-tion », « mondes imaginés », « invention, inventé », « pratique du sens, pratique de l’identité » et « reformulation ethnique ». Pour Friedman (1992c et 1994) et Herzfeld (1992a), l’histoire est sans nul doute vue comme une construction, puis-qu’ils la définissent comme la sélection d’événements du passé servant à donner un sens au présent et à atteindre des fins dans le futur immédiat.

Par ailleurs, tous à l’exception de Schwimmer se réfèrent à Hobsbawm, plus précisément à l’ouvrage qu’il a dirigé avec Ranger, The Invention of Tradition (1983). Ils conçoivent donc la réalité comme une construction acces-sible seulement à travers l’interprétation; de fait, pour Hobsbawm (1983), la tradition inventée est une tentative d’établir une continuité avec un passé histo-rique souhaitable en réponse aux nouvelles situations présentes. On note dans ces cas l’adaptation des usages anciens à des conditions nouvelles et l’utilisation d’anciens modèles pour de nouveaux usages.

D’autre part, tous les auteurs étudiés ont privilégié une approche métho-dologique commune, celle de type empirico-inductif. En effet, tous sont des hommes de terrain qui, après des études ethnographiques approfondies, en sont arrivés à élaborer des modèles plus généraux de la relation entre l’identité et des structures à des échelles plus larges, pouvant même être mondiales. Ainsi, aucun n’est parti d’une théorie pour ensuite la vérifier sur le terrain. Certains ont bien utilisé, à un moment ou à un autre, des concepts d’un ou de plusieurs auteurs particuliers pour analyser à travers eux le problème étudié, mais ils avaient d’abord analysé la situation sur le terrain. Les liens avec la théorie existante ont été établis après coup pour améliorer la compréhension, ils n’ont pas servi de grille d’étude sur le terrain. C’est ce qu’a fait Herzfeld (1992c) en comparant le nationalisme avec la conception de la religion de Weber (1963, 1968 et 1976). C’est aussi ce qu’a fait Schwimmer (1994c) en utilisant des concepts d’Appadurai (1993) pour expliquer ce qu’il a observé.

Pour ce qui concerne la théorie, tous mettent l’accent sur la dimension cul-turelle de la mondialisation, ce qui les distingue de leurs prédécesseurs, comme Wallerstein (1984, 1990 [1983]) qui s’est surtout intéressé à l’économie politique. Tous tiennent aussi compte de la dimension internationale dans leur analyse bien qu’ils le fassent à des degrés différents. Herzfeld et Schwimmer ont beaucoup moins axé leur analyse sur l’aspect international ou transnational que les autres auteurs, mais ils ont toujours analysé leur objet d’étude en considérant les structures plus larges.

Certains chercheurs semblent avoir été marquants pour les cinq auteurs re-tenus dans notre étude. C’est le cas de Bourdieu (1977) avec sa notion d’habitus, et de Lévi-Strauss (1955, 1962, 1863, 1973 et 1984), auquel Friedman, Hannerz, Herzfeld et Schwimmer se rapportent souvent, principalement quant à son analyse de la société en termes de structures. Trois auteurs (Hannerz, Herzfeld et Appadurai) font référence à des modèles tirés de la linguistique, et trois encore (Appadurai, Herzfeld et Schwimmer) recourent à la sémiotique dans leurs analyses. Schwimmer (1995a) et Friedman (1994), de leur côté, se sont inspirés, à certains moments, de la psychanalyse pour expliquer, dans le cas de Schwimmer, la relation problématique entre le Québec et le Canada et, dans le cas de Friedman, la dissolution postmoderne du soi. Notons que tous les auteurs se situent dans la modernité, sauf Friedman (1994).

Même s’ils ont des positions semblables sur les plans épistémologique, méthodologique et même théorique, ils s’expriment malgré tout différemment sur les notions d’identité et de mondialisation. Les divergences entre les auteurs vien-draient donc principalement de l’objet ethnographique étudié et de la façon dont ils regardent cet objet. Tous ayant privilégié une méthodologie empirico-induc-tive, leurs constructions théoriques sont d’autant plus liées à leur terrain. Par conséquent, tous se ressemblent au plan méthodologique, mais ce fait les rend justement différents, puisque leurs objets de recherche diffèrent. Voyons un peu plus en détails l’objet de recherche de chaque auteur et la façon dont chacun l’aborde.

Appadurai, dans ses recherches de terrain, s’est surtout intéressé aux diasporas et aux immigrants dans les contextes indiens et américain. Nous pensons que, puisque ces intérêts impliquent plusieurs éléments transnationaux, lesquels obligent à se préoccuper de structures et de relations transnationales, il en est venu à se positionner surtout au niveau des grandes structures mondiales dans son analyse du monde actuel. Ainsi, il conçoit un cadre mondial comprenant des relations disjonctives entre cinq dimensions du flux culturel. Les disjonctions et le chaos qui semblent essentiels à son modèle viendraient surtout, d’après notre analyse, du fait que l’objet d’Appadurai n’est pas un groupe clairement délimité et constitué, contrairement aux objets des autres auteurs étudiés. Dans son approche explicitement transnationale, et même postnationale, il utilise les médias et la migra-tion comme ses deux axes principaux pour analyser la mondialisation. Appadurai n’aborde pas le rôle des acteurs sociaux eux-mêmes, ni des groupes plus localisés ou plus petits. Nous sommes amenée à croire que le peu d’intérêt porté aux indi-vidus dans son modèle vient du fait qu’il n’accorde pas une grande importance à l’État, considérant ce dernier comme en crise, et donc aux citoyens non plus. Il n’explique nulle part comment se vit concrètement le transnationalisme.

Friedman, pour sa part, a travaillé auprès de populations indigènes à Hawaï[5] dont l’identité est clairement en redéfinition. Il s’est aussi intéressé à l’économie politique, ce qui lui permet, même s’il élabore sa compréhension du monde en termes de processus systémiques mondiaux, d’aborder les stratégies locales de résistance et de construction de l’identité. Sa vision de l’identité comme position-nelle par rapport au centre hégémonique fait qu’il analyse de près les mécanismes sociaux et individuels dans la construction de l’identité et dans la constitution de la culture. Parce qu’il privilégie une approche psychologique de la présente crise, du chaos systémique créé par la fragmentation actuelle du monde, Friedman s’intéresse aussi directement à l’individu, dont la stabilité psychique est selon lui menacée. De plus, l’utilisation par Friedman de données archéologiques soutient sa vision beaucoup plus étendue des processus systémiques mondiaux et souligne l’importance qu’il accorde à l’histoire. Les autres auteurs qui situent le début des processus de mondialisation dans les dernières décennies n’abordent pas la question de la même façon.

Hannerz, quant à lui, a effectué ses recherches de terrain dans les milieux urbains d’ex-colonies, plus précisément en Afrique de l’Ouest, ainsi que dans les sociétés industrialisées, comme la Suède et les États-Unis. La ville étant un lieu où des gens de partout se rencontrent et font preuve de créativité, et un lieu où des structures transnationales sont manifestes, il s’est intéressé aux structures et aux identités transnationales comme, entre autres, le cosmopolitisme. Son intérêt pour les villes des ex-colonies, donc des villes périphériques, l’amène aussi à voir un bricolage identitaire dans lequel des éléments de la périphérie et du centre se mélangent, dans un processus qu’il nomme créolisation. Sa vision de la culture comme un flux continu, mais non homogène, et inégalement réparti explique sa définition de frontières plutôt de type individu/individu, puisque les perspectives individuelles se développent à mesure que les gens se trouvent à l’intersection de différents groupes. En somme, il étudie davantage les stratégies identitaires indi-viduelles, contrairement aux autres auteurs.

Pour sa part, Herzfeld a effectué des recherches de terrain dans différentes communautés locales en Grèce. Il a dû, même s’il parle surtout du nationalisme grec et de la bureaucratie d’État, tenir compte de la façon dont on joue localement, au niveau des citoyens, avec les symboles de l’identité pour des fins diverses, et de la nécessité de l’existence de ces mêmes citoyens pour le maintien et le renfor-cement de l’État souverain et de la nation. En effet, Herzfeld, particulièrement dans son dernier ouvrage (1997), n’oppose pas le haut et le bas de la société, c’est-à-dire les fonctionnaires d’État et la population en général. Au contraire, il établit une dépendance entre les deux niveaux, en plus de montrer que les différents regrou-pements locaux constituent des réfractions de regroupements plus larges, qui agissent en réaction à ces mêmes structures toujours plus englobantes.

Schwimmer accorde également une grande importance aux sujets locaux, au point de leur donner la parole. Il va sans dire que c’est dans les travaux de Schwimmer que l’on se rapproche le plus du terrain local. Selon nous, son intérêt pour ces sujets s’explique par le fait que cet auteur, surtout dans ses analyses du nationalisme québécois et de la fête (Schwimmer 1994a, 1994b, 1994c et 1995a), part d’une communauté locale en particulier pour connaître les relations que les individus entretiennent avec les entités plus grandes, comme celles de la nation et de l’État souverain. Cela a aussi à voir, à notre sens, avec le fait que Schwimmer travaille sur des États souverains en train de se constituer et de se redéfinir. Il précise d’ailleurs toute l’importance qu’il attribue au local en soulignant que : « c’est bien dans la localité que se joue le destin du genre humain » (Schwimmer 1994c : 173). Par la suite, ses observations font qu’il s’attarde aux structures plus globales : il postule que la sémiosphère locale se rétrécit et s’élargit de façon périodique, selon les importations qui viennent de structures plus larges que sont les États et les structures mondiales. Il considère également les structures larges en établissant des comparaisons avec des structures similaires ailleurs, comme dans le cas du nationalisme québécois qu’il compare au nationalisme maori (Schwimmer 1995a et 1995b).

Appadurai, Friedman, Hannerz et Schwimmer ont en commun le fait d’avoir étudié un objet subissant ou ayant subi la colonisation. En effet, le terrain principal d’Appadurai est l’Inde, ex-colonie britannique, et ses populations dias-poriques et immigrantes; celui de Friedman, plusieurs communautés indigènes à Hawaï, pays qui a été colonisé par différentes métropoles occidentales; celui de Hannerz, la ville de Kafanchan au Nigéria, ancienne colonie britannique; et celui de Schwimmer, différentes minorités nationales, dont les Québécois et les Maoris, et de nouveaux États souverains libérés de joug de la métropole occi-dentale, tels que l’Indonésie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Dans le cas de Herzfeld, son terrain principal est la Grèce, pays qui entre-tient des rapports très ambigus avec l’Occident, en particulier l’Europe. Ce pays a aussi des relations de domination avec les minorités qui vivent sous sa tutelle, dont les minorités turques. Sous cet angle, Herzfeld a privilégié un objet différent des autres auteurs. Ainsi voit-il les choses du point de vue d’une puissance dominante par rapport à ses minorités, puissance qui se trouve dans un certain rapport d’asservissement face à des puissances plus grandes que sont l’Europe et l’Occident. Par ailleurs, aux dires de Herzfeld (1997), la Grèce, comme pays, est victime d’une marginalisation politique, car l’Europe du XIXe siècle aurait oublié ses propres origines lointaines.

Pour ces cinq auteurs, la mondialisation est étroitement liée à la décolo-nisation. Dans leurs ouvrages, les identités sont toujours construites en réaction à une puissance colonisatrice, ou du moins, dans le cas de Herzfeld, par rapport à une puissance plus grande. La décolonisation, activée principalement dans les années 1970, a en quelque sorte rendu possible la mondialisation. Certains processus associés à la mondialisation auraient, par la suite, débouché sur de nouveaux processus de colonisation qui activent les affirmations identitaires d’aujourd’hui. Le fait qu’Appa-durai, Friedman, Hannerz et Schwimmer se soient intéressés à des populations colonisées ou ex-colonisées semble lié à leur propension à prendre en considération des structures plus larges, dont celles qui s’associent directement à la mondia-lisation. Nous pensons aussi que c’est ce qui les aurait amenés à avancer que l’identité ne se construit pas dans l’isolement, de telle sorte qu’il est essentiel, pour bien saisir cette réalité, de prendre en considération différents éléments et niveaux d’interactions et de circulation culturelle; cela permet d’établir un portrait de ce qui se passe localement en tenant compte de ce qui se passe à l’échelle mondiale.

Ainsi, Herzfeld ne fait pas bande à part, voyant les choses sous l’angle de l’État souverain et des majorités. Bien que Schwimmer analyse son objet du point de vue des minorités nationales, il considère, comme Herzfeld, que l’État souverain revêt une très grande importance; et c’est pourquoi la dimension inter-nationale est moins déterminante dans leur analyse. Cette dimension demeure néanmoins bien présente dans les travaux de Herzfeld et de Schwimmer et ils en tiennent compte.

À partir de leur objet d’étude et de leurs positions, nous pouvons situer les cinq auteurs sur deux axes principaux, chacun étant associé à la façon dont ils ont abordé leur terrain. Il en découle un schéma quadripolaire constitué de deux continuums qui se croisent. Un premier, horizontal, est celui de la mondialisa-tion. Les auteurs s’y retrouvent selon que leur objet d’étude est plus ou moins mondial ou local. Le second, vertical, traite de l’identité. On y retrouve les auteurs selon qu’ils analysent leur objet du point de vue des États et des majorités ou des individus/citoyens et des minorités nationales.

Avec ce schéma, Appadurai paraît isolé à l’extrémité d’un continuum, ce qui correspond au fait qu’il valorise le transnational et accorde peu d’importance à l’État et au citoyen. Hannerz et Friedman se trouvent au centre du continuum horizontal, parce qu’ils se préoccupent des structures mondiales et transnatio-nales tout en ayant élaboré un modèle où les individus sont aussi importants et jouent un rôle dans les stratégies d’identification. Si Hannerz est plus vers la gauche, c’est qu’il s’intéresse davantage aux structures et aux identités transnatio-nales, comme le cosmopolitisme, alors que Friedman aborde plutôt les stratégies identitaires localisées. Quant à Schwimmer et Herzfeld, on les retrouve à l’autre extrémité parce qu’ils accordent plus d’importance à l’État et à l’acteur dans le monde actuel, donc moins aux structures globales et mondiales bien qu’ils soient conscients de leur existence. Les objets de Schwimmer et Herzfeld diffèrent pourtant. Herzfeld voit les choses du point de vue de l’État, donc de la majorité et de sa bureaucratie, alors que Schwimmer étudie la situation du point de vue des minorités nationales. C’est à partir de ce dernier constat que prend sens le conti-nuum vertical. Il permet de mieux saisir la différence de terrain entre Schwimmer et Herzfeld. Cet axe fait aussi ressortir le caractère distinct des travaux d’Appadurai. Il est le seul à ne pas être ou à être très peu préoccupé par l’axe vertical. Selon sa conception, l’État souverain n’est pas un élément important dans le nouveau contexte mondial, donc l’individu/citoyen ne l’est pas non plus. Sur ce conti-nuum, ressort aussi le fait que Friedman et Schwimmer ont réalisé des terrains semblables, car ils ont abordé le nationalisme en constitution ou en redéfinition auprès de populations autochtones. Cette différence se voit dans notre schéma par la position de Friedman plus à droite sur l’axe horizontal que Hannerz.

Schéma 1 :

Les modèles théoriques sur l’identité et la mondialisation des auteurs étudiés renvoient principalement à leurs objets d’étude[6]

Les modèles théoriques sur l’identité et la mondialisation des auteurs étudiés renvoient principalement à leurs objets d’étude6

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Avec ce schéma, la plupart des éléments des modèles conceptuels des cinq auteurs étudiés font sens. Leur position respective exprime ce qu’ils disent de l’identité, de la mondialisation et de son importance, de la localité, de la place de l’individu-citoyen dans le monde actuel, de l’importance de l’État comme du rôle des médias dans la mondialisation. Mais ce schéma demeure un schéma : il reste muet sur certaines positions particulières découlant d’autres expériences ou d’in-fluences diverses comme celles que mentionne l’introduction.

Conclusion

De cette analyse, nous concluons que les théories anthropologiques sont profondément influencées par le terrain et ses conditions historiques et socio-politiques. En effet, les modèles conceptuels des auteurs étudiés ne sont pas des actes de pure création, mais plutôt des élaborations théoriques fortement imprégnées par l’objet de recherche et la façon de l’aborder, d’autant plus que tous les auteurs ont privilégié une approche empirico-inductive.

Cet article est en partie une réponse à Copans (2000a). En questionnant les travaux de cinq anthropologues, il ressort que le terrain imprègne la théorie et que, comme le souligne Copans, il faut surtout « ne pas faire comme si toutes les anthropologies étaient fondées en l’universel » (2000a : 35). Chez les cinq au-teurs retenus, la diversité des théories sur les notions d’« identité » et de « mon-dialisation » reflète la diversité des formes et des significations qu’elles prennent localement. Ce constat nous incite à partager l’idée de Copans selon laquelle les généralités n’ont plus de sens en anthropologie, ce qui conduit à devoir accorder plus d’importance à la confrontation des perspectives. Ce sont justement les différences de perspectives qui permettent d’entrer dans la conversation afin d’avoir un tableau plus complet de la situation plutôt que de chercher à affirmer « la » vérité (Jackson 1995).

Une telle approche permet d’avancer que toute théorisation serait partielle puisque étroitement liée à un objet particulier ayant des conditions historiques et sociopolitiques propres. Aussi serait-il illusoire de penser qu’identités et mondia-lisation sont vécues et conceptualisées de la même façon partout. Les auteurs étudiés dans le cadre de cet article ont relevé des façons particulières de s’identifier à l’ère mondiale qui, ensemble, aident à mettre au point une meilleure compré-hension de la réalité sous observation. Viendront s’ajouter d’autres perspectives.

Voilà qui rejoint bon nombre d’anthropologues (Barth 2000; Casey 1996; Friedman 1998; Hastrup 1994; Ingold 1993 et 1996; et Jackson 1989, 1995 et 1998) pour qui le terrain marque d’autant plus les efforts de théorisation anthro-pologique qu’il est expérimenté subjectivement par l’anthropologue qui s’engage avec son corps, ses émotions et son intellect. Dès lors, force est d’avancer que le terrain est grandement constitutif de l’anthropologue, de son expérience et de sa biographie. Comme l’écrit Jackson, « our understanding of others can only pro-ceed from within our own experience, and this experience involves our person-alities and histories as much as our field research » (1989 : 17).

Est donc à nouveau confirmée la nécessité d’une réflexion des anthropo-logues sur leurs propres pratiques et traditions disciplinaires et l’importance de questionner la double spirale anthropologique, « une spirale qui serait comme la double hélice de l’ADN, le chercheur étant l’une des lignées et « l’objet » [le terrain] l’autre » (Copans 2000a : 35). Il s’agit probablement là d’une étape impor-tante vers la reconnaissance des Autres et le dialogue entre anthropologies.