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Marie-Françoise Guédon,Le rêve et la forêt. Histoires de chamanes nabesnas. Québec, Presses de l’Université Laval, 2005, 586 p., illustr., photogr., bibliogr., annexes.[Record]

  • Frédéric Laugrand

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  • Frédéric Laugrand
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Spécialiste des Dénés, un ensemble de peuples de langue athapascane qui occupent un vaste territoire situé aux confins de l’Alaska et du Nord-Ouest canadien, Marie-Françoise Guédon offre avec ce livre les résultats de quelque trente années de recherches consacrées aux traditions chamaniques des Nabesna. C’est à partir de sa rencontre et de ses expériences avec ce petit peuple que l’auteur rend compte de la réalité complexe et plurielle du chamanisme athapaskan. L’argument principal de l’ouvrage tient en deux affirmations étroitement reliées (p. 8) : au-delà de l’hétérogénéité des données ethnographiques, il existe un complexe chamanique athapaskan et ce dernier forme le pivot implicite et explicite de toutes les cultures athapaskanes qui apparaissent comme autant de variantes d’une même unité dans le temps et dans l’espace. Cette manière d’aborder les faits sociaux évoque l’approche du Field of Anthropological Study (FAS) développée par l’école structurale hollandaise – en particulier par P.E. de Josselin de Jong – après la lecture des travaux de Marcel Mauss. Guédon n’y fait pas référence, utilisant plutôt la notion de « principe-souche », basée sur la métaphore de la racine et empruntée à Rik Pinxten dans son travail sur les Navahos (p. 10). Menée à partir du cas empirique des Nabesna, l’analyse de Guédon avoisine les 600 pages. L’auteure montre avec élégance comment s’articulent les variations culturelles observées dans ce vaste espace athapaskan, le tout, dans un horizon temporel qui s’étend des années 1960 aux années 1980, quoique l’auteure ne s’interdise pas quelques incursions dans des périodes antérieures, remontant parfois jusqu’au XVIIIe siècle. Guédon fait entrer son lecteur dans la complexité des matériaux et des observations ethnographiques, tantôt abondantes, tantôt éparses et lacunaires. Bien des informations proviennent de ses journaux de terrain et il faut souligner au passage les magnifiques dessins réalisés par l’auteure lors de ses multiples séjours dans le Nord-Ouest canadien. Le trait de crayon comme les scènes représentées dénotent une très grande sensibilité. Les sources comprennent trois types de documents : des données autobiographiques ou recueillies auprès des Dénés eux-mêmes ; des données tirées de textes rédigés par d’autres observateurs – missionnaires et ethnologues –, et des notes de terrain consignées par l’auteur. Guédon partage abondamment ses expériences personnelles, mais la part prédominante revient aux ethnologues et autres observateurs que l’auteur épingle lorsqu’ils ou elles recourent à des catégories inappropriées pour décrire ces traditions complexes. L’ethnographie de la région athapascane me semble remarquablement couverte avec de rares absences comme ce numéro spécial de la revue Recherches amérindiennes au Québec que Guy Lanoue a consacré aux Athapascans en 1998 ou l’ouvrage classique de R. Fumoleau, Aussi longtemps que le fleuve coulera. La nation Dènèe et le Canada (1994). La synthèse de l’auteure sur le chamanisme (p. 14-22) demeure rapide et incomplète mais l’intérêt du livre se situe ailleurs. Cette longue promenade dans l’univers caché des Nabesna se déroule sur le mode d’une initiation au cours de laquelle le lecteur chemine lentement du passé au présent, du plus évident ou plutôt du plus accessible, au plus complexe. Aussi passe-t-on des mythes aux pratiques, des rituels aux rêves, puis du visible à l’univers invisible. En hommage au travail de son mentor, Frederica da Laguna, Guédon a choisi des noms d’animaux pour intituler tous les chapitres qui structurent son texte. Chaque chapitre s’ouvre par un mythe. Le chapitre 1 ou « Le collier du huard » fait descendre le lecteur dans l’espace ombragé des Nabesna. L’auteur y traite des différentes cultures et groupes (clans, dialectes, etc.) qui composent l’ensemble athapaskan, des mythes et récits qui servent de références dans la vie quotidienne et des traditions chamaniques, telles qu’on …