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L’ouvrage, qui s’ouvre sur une savante introduction générale de V. Broch-Due, comporte onze textes sur l’Afrique orientale et méridionale ainsi que sur la Corne, présentés ici par ordre alphabétique des auteurs et suivant les thèmes traités par ceux-ci (et non les titres de chapitre) : J. Alexander et J.A. McGregor : deux rébellions ndebele, l’une pour la décolonisation, l’autre plus récente contre le régime de Mugabe au Zimbabwe, la seconde ayant été nettement moins bien perçue que la première ; A. Blystad : violences subies et rendues par un peuple pastoral marginalisé du nord de la Tanzanie à la lumière de ses propres références culturelles ; H. Englund : irruption de la guerre civile dans une zone frontalière au Mozambique du fait de rivalités internes à une communauté ; J.G. Galaty : discours politiques, enjeux fonciers et violences interethniques dans les districts maasai du sud du Kenya ; A. Heyer : des mères célibataires entreprenantes qui bousculent l’ordre patrimonial chez les Kikuyu, Bantous patrilinéaires et virilocaux du centre du Kenya ; S.E. Hutchison : les effroyables souffrances vécues durant la guerre civile au Soudan par des civils écrasés aussi bien chez eux au sud que dans la région de Khartoum ; B. Lindgren : remous sociaux reliés à l’installation pour la première fois d’une femme comme chef de tribu dans le contexte des rivalités politiques entre Ndebele et Shona au Zimbabwe ; I. Niehaus : de l’affrontement à l’alliance, quelques années plus tard, entre deux composantes ethnolinguistiques d’une communauté bantoue du nord-est de l’Afrique du Sud ; J. Pottier : des journalistes étrangers ignares et leurs lectures simplificatrices, voire instrumentalisées, du génocide contre les Tutsi du Rwanda ; F. C. Ross : une analyse des témoignages livrés par des femmes noires devant la commission Vérité et réconciliation en Afrique du Sud et du traitement volontiers réductionniste de leurs témoignages par les médias et même les analystes de cette même commission ; K. Tronvoll : les Tigréens et leurs perceptions individuelles assez diverses de la guerre contre leurs voisins et soi-disant ennemis érythréens.

La violence découle souvent de différends intercommunautaires qui, bien réels, sont sciemment amplifiés par des acteurs politiques tentant de promouvoir leurs intérêts ou ceux des groupes auxquels ils s’identifient en poussant les communautés à l’affrontement. On sait aussi que le drapeau ethnique masque souvent l’appartenance à une classe sociale ou encore que la violence s’abat souvent sur des individus à cause de l’identité qu’ils portent et non pas de ce qu’ils ont fait. Les divers auteurs de chapitre vont au-delà de ces nouvelles évidences, qui en attirant l’attention sur la fluidité des identités ethniques (Niehaus, en particulier), qui en dévoilant les ruses du discours politicien (Galaty, par exemple), qui en mettant en évidence les marges de manoeuvre ou d’autodétermination qui subsistent pour les individus ou les groupes en situation de conflit (Englund, Pottier et Tronvoll). De manière plus générale, les auteurs démontrent fort bien la pertinence de l’approche ethnologique. Méfiante par définition de toute lecture réductionniste, elle s’intéresse aux complexités de situations de conflit qu’il convient le plus souvent de particulariser.

Les femmes occupent une place centrale dans plusieurs chapitres : Blystad, Heyer, Hutchison, Lindgren, Pottier, Ross et Tronvoll. Elles n’y figurent pas uniquement comme d’impuissantes victimes ; on les voit aussi faire face au destin qui s’acharne contre elles, leurs enfants et leur communauté. Trois chapitres, à savoir ceux de Blystad, Hutchison et Pottier, se démarquent du reste en ce qu’ils révèlent l’ampleur et la profondeur des drames collectifs qui se vivent parfois en Afrique. Le texte de Blystad a le mérite d’établir qu’on ne peut, dans certains cas, mesurer le désarroi des gens sans mettre au jour des croyances et des pratiques d’autrefois qui sont demeurées tout à fait actuelles, du moins pour les premiers intéressés.

Situant son introduction à un niveau plus théorique, Broch-Due relève, par exemple, que certaines des violences subies par les populations africaines trouvent leur source dans un ordre mondial injuste ou dans les comportements de l’État africain lui-même. Elle rappelle la thèse foucaldienne selon laquelle la violence est non seulement répressive, mais aussi formative puisqu’elle concourt à la création même des identités sociales. On peut regretter que Broch-Due n’ait pas jugé opportun de proposer elle-même une étude de cas, en l’occurrence un chapitre sur les affrontements interethniques dans le nord-ouest du Kenya, une région frontalière qu’elle connaît fort bien.