PrésentationUne anthropologie critique de l’humanitaire[Record]

  • Francine Saillant

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  • Francine Saillant
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

L’image que l’on trouve en couverture de ce numéro, une composition inspirée de séquences filmées par les caméras infrarouges de l’armée américaine lors de la guerre du Golfe en 1991, devrait rappeler aux lecteurs les clips hallucinants que le monde entier recevait par satellite et regardait à l’époque à travers les médias télévisés, notamment CNN : elle évoque la nuit d’une guerre inutile, barbare et fondée sur le mensonge ; elle ne laisse entrevoir que l’ombre, l’incertitude, le désordre et dont toutes les conséquences ne sont pas encore connues. Vision à la fois trouble et directe d’une guerre imposée, missiles saisis à distance, sans visage. Lieux indéfinis. Du fer et du feu ; pas de sujets humains. L’implacable logique de la guerre se met en place. Le flou qui entoure la prise de vue de cibles dirigées sur l’ennemi diabolisé dissimule la complexité de la situation et crée une sorte de diversion sur l’objet et le propos. Les jeux vidéos de guerre se sont depuis inspirés de ces images qui étaient, ne l’oublions pas, bruyantes, sifflantes, perturbantes, tout en ne révélant rien d’autre de ce qui pouvait être vu ou dit que le missile envoyé de là vers là. Lors du conflit, tous devenaient savants au sujet des nouvelles technologies de la guerre. Finies les tranchées, bienvenue au royaume de la guerre virtuelle version CNN. L’image parle aussi, indirectement, de la tromperie de certaines représentations de la guerre et de l’humanitaire dont l’effet est de troubler à propos de la souffrance, de la vie précaire, du dénuement. Le choix éditorial aurait pu être de placer, comme le font nombre d’ONG sur leurs sites web mais aussi les médias, l’image d’une figure humaine dévastée, ou celle d’un convoi d’aide traversant un territoire hostile, ou encore celle d’une équipe courageuse et presque souriante « malgré le pire » au beau milieu d’une catastrophe ; cependant, aucune image n’aurait pu évoquer aussi justement notre propos que cette pseudo-représentation pour évoquer l’humanitaire contemporain. D’abord parce qu’il est associé, avec l’insistance des médias, aux conflits, aux catastrophes, à l’urgence ; sa généalogie dans le temps long prend d’ailleurs son origine dans la guerre. L’humanitaire contemporain se déploie également au milieu d’une controverse en cours, celle du mélange périlleux entre guerre et humanitaire. Son objet, des situations les plus récentes en remontant vers les plus anciennes tout au long du dernier siècle jusqu’à aujourd’hui, est toutefois difficile d’appréhension, en même temps qu’il se prête mal aux représentations réalistes. Les représentations réalistes, qui figurent sur les documents des campagnes de dons des ONG (quoiqu’un peu moins maintenant) et les médias en quête de témoignages larmoyants, ont été l’objet d’une critique externe et interne des ONG : comment représenter la souffrance et lui donner un visage ? y a-t-il lieu de représenter ? Qu’est-ce que l’éthique de la représentation dans un monde qui fait de la souffrance des vivants une pornographie ? Le commun des mortels n’aperçoit généralement, à travers les médias, qu’une part infime et tronquée de ce que serait l’humanitaire. Tout comme cette non-image parle et ne parle pas vraiment de l’objet de la guerre, elle en est tout au plus la trace, elle parle encore moins de son apaisement, dont l’humanitaire serait partie, mais pas entièrement. Il se peut que ce soit quelque part dans le hors champ de ce calque d’arrêt sur image que se trouve une part significative de l’objet humanitaire et avec lui du posthumanitaire, dont les cadres complexes et changeants font de toute représentation une approximation douteuse. L’intervention humanitaire, d’origine occidentale et de type caritatif, a pris un essor particulier à …

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