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En 1981, COPE, l’association des Inuvialuit de la région du Mackenzie (Territoires du Nord-Ouest, Canada), me demandait si je voulais bien prendre en charge une étude des parlers locaux, qu’on désirait enseigner à l’école pour éviter que la langue ne disparaisse complètement. Dans l’impossibilité de mener à bien une tâche qui demandait de longs mois de terrain, j’avais proposé qu’on confie le travail à Ronald Lowe, alors étudiant au doctorat et, depuis, professeur en linguistique à l’Université Laval.

Lowe s’acquitta admirablement de ce projet, publiant en quelques années des dictionnaires et des grammaires de base pour chacun des trois dialectes inuit en usage dans la région : siglit, uummarmiut et kangiryuarmiut. Le présent ouvrage est une réédition, grandement augmentée, du dictionnaire siglit – le dialecte le plus original à plusieurs égards – originellement paru en 1984. La production du volume a grandement bénéficié du patient travail d’André Bourcier, un étudiant en linguistique formé par Lowe, qui a supervisé la révision des données de terrain et leur saisie informatique, ainsi que la correction d’épreuves et la mise en page finale de l’ouvrage.

Les quelque 6000 inscriptions au dictionnaire sont divisées en deux sections, toutes deux présentées par ordre alphabétique. La première regroupe des lexèmes complets – c’est-à-dire des mots simples ou dérivés correspondant plus ou moins aux phrases nominales, verbales, adjectivales, adverbiales et pronominales du français –, accompagnés de leur traduction anglaise. La deuxième section donne la liste des affixes lexicaux, ces particules qu’on retrouve à l’intérieur des mots eskaléoutes et qui en modifient le sens. Chaque affixe est suivi de sa traduction, d’indications sur sa place dans le mot ou sur le type de mots auquel il s’attache, de ses variantes éventuelles, ainsi que de nombreux exemples d’usage. Dans la dernière partie de l’ouvrage, lexèmes et affixes sont présentés en anglais, par ordre alphabétique avec traduction inuvialuit, ce qui permet de réaliser deux dictionnaires en un seul : siglit-anglais et anglais-siglit.

L’ouvrage s’ouvre sur une longue introduction qui discute de l’originalité linguistique du dialecte siglit, mentionne les sources de données auxquelles on a eu recours (surtout des enquêtes de terrain), explique les conventions orthographiques utilisées (orthographe inuvialuit standard, qui s’écrit en caractères latins plutôt qu’en syllabique, comme c’est le cas en inuktitut de l’Arctique canadien oriental) et, surtout, procède à une analyse du mot siglit selon les principes de l’analyse guillaumienne. Ronald Lowe dirige en effet le Fonds Gustave Guillaume, une unité de recherche de l’Université Laval vouée à la publication des oeuvres de ce linguiste français aux idées parfois controversées.

On ne peut que se féliciter de la parution de cet ouvrage, le seul dictionnaire du dialecte siglit publié depuis celui du père Émile Petitot en 1876 (abstraction faite, bien sûr, du dictionnaire préliminaire de Lowe paru en 1984). De 1981 à aujourd’hui, ce projet a fait l’objet d’une collaboration soutenue entre locuteurs autochtones – qui ont eu l’initiative de lancer la recherche – et linguistes oeuvrant en milieu académique. Espérons que l’ouvrage de Ronald Lowe pourra ainsi contribuer à la survie et au développement de ce parler, qui n’est plus maintenant utilisé que par une petite minorité d’aînés.