Article body

Ce collectif réunit onze contributions inspirées par les travaux de Charles Leslie, figure marquante de l’anthropologie médicale nord-américaine et spécialiste de la médecine ayurvédique. Contre une forme d’amnésie disciplinaire, Mark Nichter et Margaret Lock retracent, dans une longue introduction (p.1-34), son itinéraire intellectuel et son apport conceptuel, dont les acquis sont aujourd’hui tenus pour évidents. Ainsi, dès les années 1960, il refuse les oppositions simplistes qui ont longtemps irrigué les recherches en ethnomédecine et l’anthropologie moderne en jouant la dimension traditionnelle, passéiste, irrationnelle des pratiques de guérison contre la dimension moderne-scientifique-progressive de la biomédecine.

Au contraire, Charles Leslie introduit dans les années 1970 l’étude comparée des systèmes de médecine, essentiellement asiatique (Indien et Chinois), en suggérant des pistes de comparaisons avec les deux autres grands systèmes (arabe et galénique) afin de dégager leur part de rationalité (qui ne se réduit pas à la seule scientificité) et de pragmatisme (les patients comme les thérapeutes visant le rétablissement de la santé sans croyance a priori). Par ailleurs, ces systèmes complexes ne se résument pas à une somme de savoirs et de pratiques de guérisons, mais sont avant tout des systèmes sociaux à part entière. C’est pourquoi son attention s’est très tôt portée sur leur dynamisme dans leurs relations, tensions et confrontations à la « médecine cosmopolitaine » (celle qui est répandue à travers le monde), au pluralisme médical et aux contextes politiques nationaux qui font place à des phénomènes de « renouveau » (« medical revivalism ») comme d’expansion.

C’est dans cet esprit d’ouverture et principalement sur des terrains asiatiques (Indonésie, Népal, Philippines, Malaisie, Inde, Tibet) qu’élèves et proches collègues rendent hommage à Charles Leslie, en suggérant ce que pourraient être les « nouveaux horizons de l’anthropologie médicale » affranchis de l’étude stricte des traitements locaux des maladies et attentifs aux tensions contemporaines entre localité et globalité, système médical et système politique, entre OMS ou ONG et politique de santé à l’ère de la gestion des risques, de l’épidémiologie triomphante et des dispositifs de prévention. Dès lors, il est permis de retenir quelques grandes thématiques parmi d’autres qui s’articulent dans la plupart des articles et de la construction des objets d’études autour des effets de « pouvoir » :

Gouvernementalité et micropolitique : Steve Ferzacca montre que le « pluralisme médical » est une pièce maîtresse de la politique de développement et de rationalisation mis en place par le régime de Suharto (1966-1988) en Indonésie. À partir de deux études de cas, Mark Nichter élargit la notion de « therapy management » pour montrer combien la maladie est une expérience réflexive inscrite dans des relations sociales qui ne se réduisent pas à de simples « comportements de santé irrationnelle ». Controverse : Stacy Leigh Pigg analyse à Katmandou l’intrication des dimensions politiques et moralse d’une controverse radiophonique sur la prévention du sida qui exige de parler ouvertement de sexualité. Les usages des savoirs et la valorisation de la « scientificité » ou de « l’efficacité » en matière de santé publique à des fins de légitimation, est sans conteste le plus développé : alors que Gilles Bibeau et Duncan Pederson analysent un cas de racisme et Allan Young les prétentions de la psychiatrie évolutionnaire, Margaret Lock aborde les utopies de santé portées par les biotechnologies.