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Jacques T. Godbout, Ce qui circule entre nous. Donner, recevoir, rendre. Paris, Seuil, 2007, 396 p., bibliogr.[Record]

  • Mouloud Boukala

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  • Mouloud Boukala
    Centre de recherches et d’études en anthropologie – CREA
    Université Lumière-Lyon 2, Lyon, France

Dans son dernier ouvrage Ce qui circule entre nous. Donner, recevoir, rendre, Jacques T. Godbout part en croisade. Près de 400 pages lui sont nécessaires pour la délivrance de la Terre sainte, le don, tombés aux mains des infidèles (l’homo strategicus et l’homo oeconomicus). Sa quête : la quête du don n’est autre que la quête du sens. Fort de L’Esprit du don (1992) et cette fois-ci sans Alain Caillé, Godbout est animé par une réhabilitation de l’expérience du don. Son entreprise se distingue d’« une guerre sainte » visant à la conversion forcée des infidèles et pourrait être qualifiée d’alter-native, littéralement une autre naissance. Plutôt une interprétation monologique, univoque et hégémonique de l’approche du don préconisée par la rationalité causale et instrumentale, il propose, tout en les pensant ensemble, ce qui circule et le sens de ce qui circule. Même si le don est inséré dans le lien et souvent à son service, le lien n’est pas le don comme le rappelle l’auteur : « Le lien est un mode de relation. Le don est un mode de circulation » (p. 282). La première partie de l’ouvrage (« L’appât du gain ») est consacrée à la présentation, et l’analyse critique du don envisagé uniquement sous l’angle économique. Le lien social ne se restreint pas à de l’instrumental, du rationnel, de l’investissement. Ce qui circule entre nous n’est pas réductible à un échange marchand, tout comme la société ne se limite pas au marché ou à l’État. Godbout privilégie au bien le lien, à l’utilité la solidarité, à l’intérêt calculable l’incertitude. Il fait éclater ce modèle linéaire unidirectionnel fin-moyen pour faire apparaître le don : « Le don est nécessaire pour affronter la rationalité instrumentale qui déshumanise les relations en phagocytant les fins par les moyens » (p. 106). Ce faisant, il nuance, affine, complexifie – mais nous pourrions tout aussi bien dire enrichit – la vision mécaniste de la théorie du choix rationnel. Sa démarche précise et réflexive progresse de manière circonstanciée. Son point de départ : un état des lieux où priment deux approches extrêmes et réductrices du don. Le don est soit unilatéral, sacrificiel et sans retour (don pur) soit caractérisé par la présence du retour (don réciproque). Ces deux conceptions du don (unilatéralité ou réciprocité) partagent toutefois un point commun : le don y est défini par ce qui circule seulement. Ces interprétations exclusives des faits bruts suscitent interrogations et propositions méthodologiques chez l’auteur. « L’analyse du don doit-elle porter sur l’objet donné, sur la relation qui s’établit entre le donateur et le donataire, ou sur les inextricables liens entre ces objets qui circulent et ces relations? » (Schrift 1997 : 3). Telle serait l’interrogation initiale et centrale. Quant à la méthodologie, Godbout à la suite de Marcel Hénaff invite à une césure épistémologique : extraire le don du cadre marchand ou légal, c’est-à-dire du sens que lui procure le contrat. Donner consiste alors à libérer l’autre de l’obligation contractuelle de rendre, d’échanger. Autrement dit, donner est une forme de circulation des choses, une forme de transfert qui libère les partenaires de l’obligation contractuelle de céder quelque chose contre autre chose. En quoi consiste alors la spécificité de l’apport de Godbout? Il introduit du tiers. Il nuance une approche dichotomique du don tout en respectant sa nature intentionnelle. La distinction entre ce qui circule et le sens de ce qui circule lui permet de résoudre le dilemme du retour et d’ouvrir l’analyse du don à de multiples interprétations. Fort des écrits de Simmel où celui-ci précisait : « L’échange économique arrache les …

Appendices