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David Le Breton, En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie. Paris, Éditions Métailié, 2007, 362 p.[Record]

  • Meryem Sellami

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  • Meryem Sellami
    Laboratoire « Cultures et sociétés en Europe »
    Université Marc Bloch, Strasbourg, France

Dans nos sociétés occidentales, l’entrée dans la vie adulte se déploie de plus en plus comme « épreuve ». Le passage ne se fait pas toujours sous de bons auspices. Quand les limites symboliques ne sont pas au rendez-vous pour l’émergence de l’être, l’identité se construit alors dans la douleur. En souffrance est une méditation sur les difficultés de la construction de soi et dont les conduites à risque des adolescents sont des manifestations percutantes. Dans cet ouvrage quintessencié, David Le Breton nous livre l’essentiel de ses réflexions sur la souffrance de devenir soi à l’adolescence. Un thème qui continue à interroger l’auteur depuis plusieurs années et dont il a esquissé les réflexions en traitant du rapport au risque : Passions du risque, 1991, Conduites à risque. Des jeux de mort aux jeux de vivre, 2002, ainsi que du recours à la peau comme lieu d’identité : Signes d’identité. Tatouages, piercings et autres marques corporelles, 2002, La Peau et la trace, 2003. Au delà de sa rigueur méthodologique et scientifique, EnSouffrance peut être lu comme un recueil contenant les maux des adolescents. Un hommage à cette partie de l’adolescence entravée par le « manque à être » (p. 57), et pour qui la parole fait défaut. Dans une perspective anthropologique, l’auteur conçoit ce que nous appelons communément « la crise de l’adolescence » comme étant, essentiellement, une crise du lien à l’autre propre aux sociétés contemporaines. Si les psychologues et éthologues du lien (Bowlby, Winnicott, Cyrulnik) considèrent le lien à l’autre comme point d’ancrage de l’individu au monde, David Le Breton montre comment la difficulté du lien laisse l’adolescent en suspens, ou plutôt En souffrance. Dans un monde où les Dieux ont été détrônés, les croyances démystifiées, et les pères démunis de toute autorité, l’adolescent doit fonder son rapport au monde sur des édifices qu’il est le seul à bâtir. La transcendance n’est plus en mesure de fournir le « sens », et c’est à l’individu d’inventer un lien mystique au monde susceptible d’octroyer une légitimité à son existence. Narcisse au bord de la noyade, l’adolescent doit trouver en lui les effluves d’un sentiment de soi soutenable dans une culture où l’Autre s’est effondré. La sollicitation du lien symbolique à autrui se lit en filigrane dans nombre de conduites à risque. David Le Breton les classe en neuf chapitres où il montre avec finesse que, même dans les conduites les plus esseulées, les limites symboliques sont percutées dans le seul dessein de renouer avec un autre possible. L’anthropologie a montré que la religion avait comme fonction de consolider le lien entre les différents membres d’une communauté. Dans certaines conduites à risque, le « sacré » est déplacé de la sphère publique à une sphère strictement privée où on solliciterait des « instances anthropologiques redoutables » (p. 131). Telle est la logique du « recours ordalique » (p. 77) ou encore celle du « sacrifice » (p. 99). Ainsi, dans la tentative de suicide, la mort n’est pas évoquée en tant qu’arrachement irréversible à l’existence mais en tant que « puissance de sollicitation symbolique » (p. 81). Dans les scarifications, l’auteur voit moins des tentatives d’ auto-mutilations que des manières de remodeler, par le biais d’un « rite intime » (p. 131), une image de soi estropiée, altérée par autrui. Quand l’armature mentale est assaillie par l’angoisse de s’effondrer du fait de l’instabilité du sentiment d’être, l’adolescent peut chercher à disparaître de soi en se déversant dans un Autre, plus puissant. Telle est la logique de la « blancheur » (p. 133). Ainsi, …

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