Car en effet, si la géographie invite au voyage, cet ouvrage invite à la lecture. La force de ce livre consiste en sa construction, j’aurais envie de dire dans son montage. Chaque chapitre constitue un épisode d’une série jouant sur les cliffhanger, ces fins ouvertes visant à créer un fort suspense. Ainsi, chaque échec ou dénouement dramatique dans la fondation de la Nouvelle-France se termine par une accroche pleine d’espoirs et porteuse d’un futur imminent dans le prochain chapitre-épisode. Jugez-en par vous-mêmes. Voici le final du chapitre consacré aux tentatives françaises en Amérique : « Après cette série d’échecs, il ne semble pas que le Nouveau Monde soit fait pour les Français. Pourtant deux Saintongeais vont relever le défi. Grâce à leur courage, leurs efforts et leur ténacité, une Amérique française verra le jour. Le premier, Pierre du Gua, sera le fondateur de l’Acadie et le second, Samuel de Champlain, le « Père de la Nouvelle-France » (p. 43). Mais le plus frappant à la lecture de Jean-Marie Montbarbut du Plessis est le ton enflammé et passionné qui teinte certaines de ses pages. L’auteur mêle avec habileté trois registres, ou plus précisément des postures narratives, celle de chroniqueur, de témoin et de guide. S’appuyant sur des écrits d’historiens et sur les relations de voyage de l’époque, il nous immisce au coeur de l’action. Il emploie des phrases courtes, recourt au présent de l’indicatif, use de verbes transitifs et quelquefois du pronom indéfini « on » : « Arrivés à la bourgade des Gens-des-Chevaux, ils [quatre Français et leurs deux guides] constatent que les hommes de la tribu sont partis sur le sentier de la guerre. On allume un feu pour attirer l’attention des Indiens, mais aucun d’eux ne se montre. Un des guides mandans décide alors de retourner dans son village » (p. 237). L’effet est immédiat, le lecteur a l’impression d’assister et de prendre part à la scène. L’auteur maîtrise parfaitement ce filon et n’a de cesse de jouer sur un pathos frôlant quelquefois la naïveté. L’ouvrage est émaillé de passages appelant l’empathie du lecteur : « ce sont donc ces réfugiés acadiens, livrés à eux-mêmes et extrêmement pauvres, qui assurent la survivance de leur groupe ethnique. Au début, misérables et sans instruction, ils vécurent ainsi dans l’isolement et l’abandon le plus total, leurs seules forces étant l’incomparable pureté de leurs valeurs morales, l’amour du travail et le profond attachement à leur foi religieuse » (p. 281). Ou encore, d’extraits trahissant une certaine vision des Français : « En fait, de par leur nature, les Français possédaient tous les critères pour s’attirer l’amitié des indigènes. Ils étaient d’abord respectés pour leur courage, leur détermination, leur droiture et leur parole donnée. Hâbleurs et plaisantins, ils répandaient autour d’eux la gaieté et la bonne humeur » (p. 172). L’emploi abusif de certains termes (notamment génocide et race) et certaines phrases équivoques feront bondir historiens, ethnologues et autochtones, mais ne jugeons pas cet ouvrage pour ce qu’il n’est pas. Histoire de l’Amérique française est un bon guide si vous êtes de passage en Louisiane et si vous ne savez pas ce que signifie « Cajun ». Il n’empêche cet ouvrage demeure touchant. À sa lecture, on discerne immanquablement cet amant qui à force de trop embrasser étreint mal. À cet égard, ne retenons qu’une seule date, celle du 10 février 1763, date du « désastreux traité de Paris » (p. 279) : « Le traité de Paris fut incontestablement la plus désastreuse défaite qu’ait subie la France […]. Ainsi se terminèrent 150 ans de régime français au Canada. Dans cette lointaine …
Jean-Marie Montbarbut du Plessis, Histoire de l’Amérique française. Montréal, Typo, 2004, 393 p., bibliogr.[Record]
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Mouloud Boukala
Centre de recherches et d’études en anthropologie – CREA
Université Lumière-Lyon 2, Lyon, France