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Cet ouvrage est constitué d’un mélange de théologie, d’anthropologie et d’histoire. Un sous-titre comme « Essais d’anthropologie chrétienne » le représenterait plus adéquatement dans la mesure où il s’agit d’une anthropologie « colorée » par des interprétations personnelles du message du Christ.

Ce mélange s’avère particulièrement intéressant pour l’anthropologue lorsque l’auteur traite de l’Afrique, qui occupe une place importante dans plusieurs des dix-sept essais. L’auteur a séjourné à de multiples reprises dans ce continent dès la fin des années 1950. Il y a notamment exercé le métier d’instituteur, par le biais duquel il a effectué ses premières recherches ethnologiques durant les années 1960.

Le titre du premier essai, « De la rencontre du christianisme et de l’Afrique » introduit bien le thème des trois premiers textes, qui sont parmi les mieux réussis de ce livre un peu hétéroclite. On y retrouve par ailleurs un essai à caractère historique intitulé « La Sainte Ampoule du sacre des rois de France » — où il est notamment question du baptême de Clovis — ainsi qu’un texte consacré aux visions de saint Nicolas de Flue, le patron de la Suisse.

Même si l’histoire est à l’idéologie ce que le mythe est à la mythologie (Lévi-Strauss 1958 : 231), il demeure que l’histoire — comme discipline — a des préoccupations parfois éloignées de celles des anthropologues, et il en va de même pour la théologie. Ainsi lorsque l’auteur se demande « L’Église a-t-elle pour mission d’agir directement sur la réalité ethnique? » (p. 80), il pose une question dont l’intérêt est d’abord de nature théologique (et politique!). Il y répond notamment en affirmant qu’une des missions de l’Église est de « travailler au dépassement de cette réalité, puisqu’en son sein il ne doit plus y avoir “ni Juifs, ni Grecs”, en termes actuels ni Serbes ni Croates ni Albanais, ni Hutu ni Tutsi ni Twa » (ibid.). On retrouve l’idée d’un « dépassement » dans le onzième essai, intitulé « Rêve et religion », où l’auteur parle d’un « scintillement divin » qui constituerait la partie la plus essentielle de l’être humain et qui lui permet « de se dépasser infiniment » (p. 210). Le propos de l’auteur, on le voit, n’est pas strictement scientifique mais il incorpore un discours normatif en matière de spiritualité et d’ecclésiologie.

De façon générale, l’auteur parle de « l’Église » d’une façon qui laisse croire à son adhésion à l’Église catholique, mais il est très critique par rapport aux activités politiques de cette dernière au Rwanda, qu’il commente en affirmant que « la soif bien romaine de pouvoir a éclipsé l’Évangile. Les protestants se sont dans l’ensemble montrés plus avisés » (p. 81).

L’auteur confesse à plusieurs reprises un sentiment de sympathie pour les mouvements qu’il étudie et qui se situent en marge de l’Église catholique (par exemple la Jamaa du Congo, qui fait l’objet du quinzième essai) ou carrément à l’extérieur de celle-ci (c’est le cas de la Christengemeinde d’Allemagne, une institution reliée à la Société Anthroposophique de Rudolf Steiner. Le seizième essai traite de la célébration du baptême au sein de ce mouvement). J’ai retiré de mes lectures l’impression que l’auteur adhère fermement au message du Christ, ainsi qu’à une conception idéaliste et universelle du rôle de « l’Église », tout en déplorant certaines faillites de l’Église catholique quant à la transmission de ce message et à sa façon de remplir ce rôle. Cela explique ses affinités avec la Jamaa et la Christengemeinde.

S’il est probablement sain que s’établisse une relation de sympathie entre l’anthropologue et les individus dont il étudie la culture, cela soulève un questionnement relatif aux valeurs que l’anthropologue transmet, par ses propos ou simplement par sa présence sur le terrain. L’essai sur la Jamaa constitue à cet égard une réflexion très intéressante sur la démarche de Placide Tempels, un prêtre qui a utilisé l’analyse ethnologique pour adapter le message chrétien au contexte congolais. Les déboires de la Jamaa au sein de l’Église de Rome sont révélateurs des écueils qui attendent ceux qui, au sein de l’institution catholique, s’éloignent de « l’universalité » du message par des tentatives pour l’adapter au contexte culturel.

En décrivant des groupes qui réinventent ou adoptent le christianisme en fonction de contextes culturels divers, les essais de Pierre Erny célèbrent la créativité d’individus et de communautés qui se constituent comme façons de vivre ensemble en se réclamant du Christ. C’est comme chrétien que Pierre Erny s’affirme sympathique à ces groupes. Je dois cependant avouer que je préfère le type de sympathie dont témoignait Verrier Elwin (1973) envers les populations tribales de l’Inde. Ce dernier a clairement pris ses distances par rapport à l’Église anglicane dont il avait été ordonné prêtre. Je crois que cela a fait de lui un meilleur « philanthropologue » — pour utiliser son propre terme.

À noter finalement un essai solide sur la question des rites, envisagés sous plusieurs angles fournis par la théorie anthropologique. Constituant une introduction au thème de la ritualité, cet essai étoffé intéressera les anthropologues quelles que soient leurs tendances philosophiques ou religieuses.