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Le livre de Maureen Mahon porte sur un aspect de la musique noire américaine qui a peu retenu l’attention jusqu’ici, le « black rock’n roll ». Une omission qui a tout pour étonner si on suit les propos de Mahon, puisque selon elle les principaux architectes de la musique rock sont des Afro-américains. Dans Right to Rock, elle s’attache plus particulièrement à l’aspect militant et revendicatif de la question en choisissant de se concentrer sur une association d’artistes et d’activistes, the Black Rock Coalition (BRC) ; et, à partir de là, elle aborde les liens qui se nouent entre identité, musique et culture dans la société américaine. Bien que Mahon annonce que son objectif n’est pas de retracer une histoire du BRC, le livre peut néanmoins se lire comme une chronique des enjeux, des combats et des réussites de cette entreprise novatrice.

Un autre objectif du livre, plus implicite, est d’établir l’idée d’une tradition Black Rock, qui serait ponctuée par des figures comme Chuck Berry, Little Richard, Ike and Tina Turner, Bad Brains, Living Colour, Sly and the Family Stone, Funkadelic, Prince et bien sûr Jimi Hendrix. Elle avoue avoir écrit Right to Rock parce que « the aesthetics and politics informing “black rock”, the concept that BRC members champion, underscore the need to expand our views and representations of African American music, people and culture to include a much more complex and compelling set of possibilities » (p. 21). Il s’agit d’en découdre avec l’idée répandue, notamment parmi les Afro-américains, que jouer ou écouter du rock est incompatible avec l’expression d’une identité Afro-américaine. Pour Mahon « an interest in rock music marks an African American as someone who has either misunderstood which music is appropriate for his or her consumption or has abandoned black culture by investing in what is perceived as a white music form » (p. 9-10).

À la création du BRC en 1985, ses fondateurs, Greg Tate, journaliste au Village Voice, Konda Mason, manager d’artistes, et Vernon Reid, guitariste virtuose et leader du groupe Living Color, étaient bien conscients des limites auxquelles les musiciens afro-américains étaient confrontés quand ils voulaient sortir du funk ou du jazz à la création du BRC en 1985. D’après Mahon, le BRC « embodied the diversity of African Americans usually absent from the onslaught of media representations and academic discussions that so often highlight the distressed poor, the drug addled, the violent, the highly sexed, the long-suffering, the religiously devout, the good-time partners, and, occasionally thrown in for variety, the middle-class professional » (p. 8). Les fondateurs du BRC sont présentés comme les héritiers de la « postliberated generation » qui a émergé après l’avènement des droits civiques pour les Afro-américains dans les années 1970. Cependant l’utilisation du terme « postliberated » peut surprendre après que de nombreux chapitres ont décrit les efforts du BRC pour échapper aux restrictions et aux préjugés de l’industrie musicale. Ces obstacles sont aussi ce qui a modelé BRC et ce qui le distingue de ses prédécesseurs par le besoin de s’organiser autour d’un projet à la fois musical et social. « BRC members couldn’t simply play their music. They had to organize a social movement so they could do so » (p. 114) nous dit Mahon. L’organisation du BRC s’est construite autour d’un manifeste qui annonce fermement la reprise en main du rock par les Afro-américains et entend rappeler les racines noires de la musique rock. La teneur de ce manifeste s’inscrit dans une rhétorique culturelle afro-américaine plus large marquée par des textes programmatiques comme The Negro Artist and the Racial Mountain de Langston Hughes de 1926 ou encore The Black Arts Movement de Larry Neal de 1968, dans lesquels sont dénoncées les limites et l’exploitation de la créativité des Afro-américains et exposés les termes pour libérer les artistes Afro-Américains.

Dans l’un des chapitres les plus stimulants du livre, « Living Colored in the Music Industry », Mahon démontre comment les musiciens afro-américains ont été contraints et formatés par les politiques culturelles, sexuelles et raciales du marché de la musique. Elle met ainsi en perspective ce que les études lancées, dans les années 1990, par le Black Atlantic de Paul Gilroy sur la musique noire des Amériques ont trop souvent sous estimé. « Media Interventions » illustre comment le BRC, avec candeur et panache, a subverti, en suivant les préceptes de son manifeste, le marché musical en produisant, promouvant et distribuant sa propre musique. S’il revendiquait par là l’éthique punk du do-it-yourself, on peut ajouter que le BRC s’inscrivait aussi dans une perspective ouverte par d’autres musiciens comme le Jazzman Sun Ra qui a créé sa propre maison de disques El Saturn Records, laquelle lui a donné la possibilité d’enregistrer et de mettre en vente à volonté. Living Color reste l’achèvement de la stratégie du BRC. Le groupe obtient de signer chez Epic, une des maisons de disques alors moteur de l’industrie musicale. Mick Jagger a été particulièrement influent en obtenant que le groupe signe sur ce fameux label, ce qui a entraîné d’âpres discussions au sein du BRC. Mahon retient que les membres ont déploré qu’une star blanche doive valider un groupe noir avant qu’il puisse atteindre à la reconnaissance.

Tout au long du livre, Mahon reste manifestement une inconditionnelle du BRC. Elle se définit comme « fanthropologist » et son travail tient souvent à faire l’éloge du BRC. Pourtant on découvre que le BRC ne fait que durcir une catégorie et une position qu’il souhaite dépasser, en cherchant à s’approprier la musique rock. Comme il est annoncé dans le manifeste, « rock music is black music and we are its heirs ». Elle nous livre cependant une histoire peu connue et qui est restée marginale dans les récits sur la musique noire souvent représentée par le jazz, le rap ou le funk. Elle présente d’obscures groupes comme Faith, Eye & I, Women in Love, Sophia’s Toy à côté d’autres qui ont connu une reconnaissance plus large comme Bad Brains qui reste l’un des précurseurs du rock hardcore américain avec les Dead Kennedys, et bien sûr Living Color auquel une attention particulière est donnée compte tenu de l’engagement de son leader dans le BRC. La teneur du BRC résonne avec d’autant plus d’actualité qu’aujourd’hui encore, après la séparation de Living Color en 1994, le vivace courrant de l’afro-punk (www.afropunk.com) entend prendre la relève et oeuvrer à la reconnaissance du Black Rock.