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Comaroff John L. et Jean Comaroff, 2009, Ethnicity, Inc. Chicago, The University of Chicago Press, 234 p., bibliogr., index, illustr. (Kim Turcot DiFruscia)[Record]

  • Kim Turcot DiFruscia

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  • Kim Turcot DiFruscia
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal,
    Montréal (Québec), Canada

« Traditions authentiques » performées pour des touristes ; copyright sur les usages rituels d’une plante ; revendication d’un territoire ancestral pour y installer un casino ; marketing de « biens ethniques ». À partir de tels exemples, les époux Comaroff, dans l’inspirant Ethnicity, Inc., s’attachent à décortiquer le phénomène de mise en économie des identités au sein du paradigme néolibéral global. Identifiant la prépondérance accordée dans le monde contemporain à des formes spécifiques – biopolitiques et économiques – des notions d’identité et de diversité culturelle, les auteurs analysent la logique et les effets de la mise en marché de la différence. Ils montrent, avec l’élégance et le dynamisme habituels de leur style, comment la vente mondiale des identités culturelles, encouragée par une rhétorique de la modernisation, transforme les définitions, les frontières et les textures affectives des identités sur la base de critères économiques tout en établissant la culture en propriété (intellectuelle) à exploiter. L’ethnicité constitue aujourd’hui, tant pour les instances politiques mondiales que pour les nations et les marketeurs, le véhicule sociosémiotique préférentiel de la diversité humaine. Les Comaroff observent que, si les ontologies de ces identités ethniques sont naturalisées dans un discours biologisant condensant l’appartenance culturelle à l’inéluctabilité du sang et des gènes, l’identité est aussi simultanément conçue comme un choix des individus et/ou des collectivités libres « d’agir » leur différence ethnique afin de l’entériner sur le marché de la reconnaissance. Les Comaroff choisissent l’angle économique pour aborder ces transformations contemporaines de l’identité culturelle, déplorant au passage la fixation de l’anthropologie sur les aspects politiques des identités. Ils inscrivent leur analyse dans une conception foucaldienne du néolibéralisme en tant que recouvrement historique par la logique économique de tous les domaines de l’existence, notamment l’inféodation du politique aux principes managériaux (Foucault 2004). La liberté du sujet néolibéral est exclusivement entrepreneuriale ; le collectif est conçu comme espace « à gérer ». La constitution des entités culturelles en corporations-propriétaires et la mise en vente des identités – nivelées par un fétichisme juridico-légal – sont ainsi devenues les modes privilégiés d’appréhension des différences humaines. L’analyse offerte dans Ethnicty, Inc. est déployée à partir d’exemples ethnographiques africains, américains et européens parfaitement documentés, exhaustivement présentés et minutieusement articulés à la théorie. On pourrait cependant regretter que les auteurs ne fassent qu’effleurer trois enjeux de la mise en économie des identités ethnoculturelles : tout d’abord ses effets, comme technologie de soi, sur la constitution des subjectivités ; ensuite, l’importance de l’esthétique dans ce marché de la diversité ; enfin, les modalités de la relation entre propriété territoriale et identité ethnoculturelle.

Appendices