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La montée de l’attention portée à l’alimentation continue de se développer dans le domaine universitaire et avec celle-ci apparaissent deux tendances majeures dans les publications académiques : des écrits cernant les « systèmes alimentaires » et leurs tentacules à grande échelle, et ceux traitant d’une denrée particulière mais en profondeur, qui mettent en évidence la complexité de la gastronomie (qui constitue une série d’écologies entremêlées) en retraçant ses mouvements, de ses origines de production à travers les marchés, en passant par les bureaux politiques, les points de vente, ou encore les cuisines. Coffee Culture : Local Experiences, Global Connections de Catherine M. Tucker appartient à cette dernière catégorie et constitue un examen riche et profond de ce produit qui transforme les environnements internationaux. L’ouvrage implique plusieurs secteurs et disciplines touchant à la production agroalimentaire et démontre efficacement comment le phénomène dit global du café se manifeste de manières diverses à l’échelle locale. Cependant, et probablement à cause du design éditorial de la série intitulée « Anthropology of Stuff » de Routledge, l’impact du livre n’atteint pas pleinement son potentiel.

Au cours de la dernière décennie, le discours sur les études alimentaires incorporait davantage les notions de « réseau » et de « systèmes complexes », reconnaissant la nature multidimensionnelle des relations de production, de distribution, et de consommation. Les fausses dichotomies entre global et local, entre conventionnel et alternatif, et même entre matériel et discursif ont été débattues, et les résultats s’observent dans les virages théoriques dits « culturel », « consommateur », et « performatif » émergeants des divers champs académiques comme ceux de la sociologie rurale, de la philosophie et du design.

Dans ce contexte, Coffee Culture… constitue un apport très lisible et détaillé à la discussion. Présenté en quatre parties principales, couvrant le caractère culturel du café, les controverses qu’il a suscitées sur le plan historique, les aspects techno-écologiques de sa production et son impact financier, le livre investigue les histoires et les géographies du café, son monde socioéconomique ainsi que les enjeux de la justice, le goût, et la mythologie. Dans l’ensemble, les chapitres tissent des fils pluridisciplinaires, enjambant aussi bien l’échelle globale que locale en traitant de structures telles que les bars à café, les centres de culture et de transformation, et les organismes équitables. Comme d’autres publications qui décrivent comment les aliments se déplacent aux niveaux abstrait/global et concret/interpersonnel, Coffee Culture… explique la « glocalité » du café et, par extension, celle de plusieurs produits consommés autour du monde. Cet examen des interactions de l’acteur « café » à travers ses mouvements mondiaux met en évidence une notion éternellement fugace : le réseau alimentaire. Le café est alors perçu comme un assemblage complexe de matériel et de processus, plutôt que comme un produit linéairement déterminé par une « chaîne » de plantations et de parcours commerciaux.

Malheureusement le livre ne réussit pas à rendre absolument évidente la nature « assemblée » du café. C’est que le livre est en fait conçu pour une utilisation pédagogique au premier cycle universitaire, ainsi qu’il est stipulé dans la description du projet éditorial de Routledge. Malgré quelques éléments très efficaces (les questions de réflexion et de débat qui closent chaque chapitre, la chronologie de la culture du café, la liste des acronymes, par exemple), les annotations sont peu nombreuses, et certaines grandes déclarations de l’auteure ne sont pas étayées par des références. Le chapitre intitulé « Theories of Food and Social Meanings of Coffee » est par ailleurs succinct, avec des traitements extrêmement synthétiques des écrits de Claude Lévi-Strauss, Pierre Bourdieu, Sidney Mintz et d’autres. De plus, et peut-être encore à cause du lectorat ciblé, la discussion sur la culture du café est fortement implantée dans la réalité commerciale et américaine. Quoique ces critiques puissent être dirigées envers les éditeurs plutôt qu’à Tucker elle-même, cela souligne les limites de l’ouvrage et le problème plus général que l’on observe dans les études alimentaires : il y a une distanciation entre l’objet d’étude, la théorie et l’application des techniques d’observation dans le « vrai » monde.

Coffee Culture… constitue néanmoins une contribution utile et importante à la littérature alimentaire. Dans la lignée des travaux de Becky Mansfield sur la « géographie de la qualité » (2003, par exemple) et de ceux de Doreen Massey (1991, par exemple) sur la déconstruction du global et du local, ce livre de Catherine Tucker montre que le café est bien plus qu’un rituel simple et mondain : il doit plutôt être perçu comme un rassemblement de mouvements, de représentations et de matière. Au fur et à mesure que les éditeurs publieront de tels ouvrages, la nature hétérogène du « système » alimentaire et ses conséquences émergentes sur les individus paraîtront plus évidentes.