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S’il existe de nombreux ouvrages consacrés aux femmes, aux études de genre social (gender) et aux systèmes de parenté, un nombre moindre de documents concerne les prestations matrimoniales, et encore plus rares sont ceux qui abordent la relation conjugale, c’est-à-dire qui se penchent non pas sur la femme en tant que telle mais sur les rapports de celle-ci avec son mari et avec la société, au sein du couple même, et de l’inférence de ces rapports conjugaux dans la construction de l’identité propre à l’épouse. Comme il est précisé dans l’introduction, si la construction de cette identité des femmes reste l’objet central du livre, l’angle d’approche retenu – les relations de genre à l’intérieur du couple – permet d’éviter une focalisation sur les seules femmes, ce qui serait hors de la réalité ethnographique. Les contributeurs de l’ouvrage ont ainsi souhaité souligner l’intrication des paramètres socioéconomiques et des codes moraux régissant le statut des femmes dans le mariage, en essayant de rendre compte de l’expérience personnelle de celles-ci à ce sujet mais sans omettre la prise en compte de l’époux. Le propos des directeurs et contributeurs de ce livre collectif est donc d’aborder le mariage en tant que porte primordiale de l’avenir, de la reconnaissance sociale et de l’accomplissement personnel des femmes en Asie, en cherchant surtout à comprendre si les femmes de l’aire étudiée ont un pouvoir limité aux domaines qui leur sont assignés ou bien si elles disposent d’un pouvoir décisionnel comparable à celui des hommes. Ce livre pourrait ainsi avoir pour sous-titre : ou le pouvoir des femmes.

La relation conjugale est traitée dans ce livre en anglais et en français, à travers sources écrites et matériaux ethnographiques, sans pour autant esquiver les éventuels silences des femmes interrogées sur ce sujet intime, et de façon interdisciplinaire (ethnologie, sociologie, histoire), même si sa dominante reste le point de vue ethnologique : la plupart des contributeurs relèvent de cette discipline.

Sur les plans ethnolinguistique et géographique, à part les Puyuma de Taiwan (Josiane Cauquelin) et les Iatmul de Papouasie Nouvelle-Guinée (Christian Coiffier), cette étude concerne essentiellement des groupes majoritaires d’Asie du Sud-Est, d’Asie du Sud et d’Extrême-Orient : Birmans (Bénédicte Brac de la Perrière), Chinois han de la Chine ancienne (Catherine Gipoulon), Chinois contemporains de Hong Kong (Béatrice David), Coréens (Laurel Kendall), Lao des diasporas (Catherine Choron-Baix), Thaïs (Annick Lévy-Ward), Vietnamiens (Nelly Krowolski), Bangladeshis (Monique Selim).

On trouve çà et là quelques coquilles, erreurs typographiques le plus souvent, et quelques erreurs de références bibliographiques, ainsi que quelques erreurs de mise en forme (par exemple, en 4e de couverture et en page 13 de l’introduction, « Bengalis » au lieu de « Bangladeshis »), outre un manque affligeant de localisation cartographique : une unique carte générale de l’Asie du Sud-Est, insuffisante, est présentée en début d’ouvrage sans que soient reportées sur elle les sites et sociétés évoqués en son sein. Enfin, le cahier photographique de 8 planches (couleur ou noir et blanc) montre sur chaque planche une unique photographie de taille trop petite alors que la place ne manquait pas pour les présenter « à l’italienne », de façon plus conviviale pour le lecteur.

Dans l’ensemble donc, peu de critiques, et celles-ci essentiellement de forme, à apporter à cet ouvrage sympathique, bien écrit, original et même pionnier, qui aborde un sujet complexe mais fondamental, en encourageant des recherches futures.

Cet ouvrage collectif présente un ensemble d’études passionnantes relevées d’une brève mais brillante introduction (J. Cauquelin et C. Chroron-Baix). Celle-ci apporte en effet une excellente matière à réfléchir avant d’aborder le corps même du volume, et positionne l’ouvrage dans le contexte des études passées de genre social. Le livre, également souligné d’une postface remarquable de sagacité (Suzanne Lallemand), amène au moins autant de questions nouvelles que de réponses tout en titillant l’esprit.

Par la manière subtile dont il aborde son sujet, par la qualité de ses auteurs, dont chacun et chacune possède une expérience concrète considérable de la société évoquée, en termes d’années, d’amitié, d’intimité, de compréhension mutuelle, ne peut être que vivement recommandé à l’intention, non seulement des chercheurs en ethnologie orientaliste, mais aussi à celle des agents du développement, de l’aide internationale et de l’aide humanitaire appartenant aux institutions internationales, aux agences des nations unies et aux organisations non gouvernementales. Cela, parce que, parlant des femmes d’Asie vues dans leur union conjugale, au long de leur vie, ce livre propose un bouquet d’explications, précisions et vérités méconnues, mais indispensables à quiconque prétendrait, sinon faire le bonheur d’autrui dans cette région, au moins tenter de comprendre la réalité matrimoniale et conjugale des sociétés considérées et la réalité de la vie sexuelle des femmes d’Asie, encore méconnue. L’intérêt principal de l’ouvrage, loin de clore la question soulevée tant le sujet est complexe et reste largement inexploré, apparaît être d’abord l’incitation qu’il constitue à poursuivre l’étude de la relation conjugale et de la répartition du pouvoir entre l’homme et la femme envisagée tant du point de vue de l’anthropologie de la parenté que de celui de l’anthropologie des émotions ; laquelle, comme le rappellent pertinemment Josiane Cauquelin et Catherine Choron-Baix, reste largement à construire pour l’Asie du Sud-Est.