PrésentationL’interdit et l’inédit. Les frontières de l’ethnologie participante[Record]

  • Jean-Guy A. Goulet

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  • Jean-Guy A. Goulet
    Faculté des sciences humaines, Université Saint-Paul, 223, rue Main, Ottawa (Ontario), K1S 1C4, Canada
    jggoulet@ustpaul.ca

Pour tout anthropologue, la carrière s’inscrit au sein du projet anthropologique tel que mis de l’avant par Herder (1744-1803) et bien d’autres par la suite, soit celui d’étudier directement la diversité des formes que prennent les vies et les sociétés humaines dans le temps et l’espace (Zammito 2002). C’est ainsi que naît une discipline qui se veut universelle et empirique. Universelle parce que l’ethnologue est en quête de la diversité dont l’analyse permettra d’éclairer la condition humaine pour tous et toutes. Il faudra du temps avant que l’anthropologie laisse derrière elle le présupposé des Européens du dix-neuvième siècle selon lequel « voyager dans l’espace signifiait aussi voyager dans le temps », de telle sorte qu’en rencontrant l’Autre ils pensaient être face-à-face avec « des versions antérieures d’eux-mêmes » (Fox 1995 : 16). Ce présupposé ontologique caractéristique d’une vision évolutionniste des sociétés humaines n’a pas résisté aux critiques de Said (1978), Wolf (1982) et Fabian (1983), ce qui n’a pas diminué pour autant l’ambition pour l’anthropologie de se constituer comme discipline empirique du fait qu’elle est fondée sur des observations fiables dans la mesure où elles sont protégées des postulats et préjugés culturels de l’observateur. L’ethnographie, terme que nous devons à Ludwig von Schlözer (1735-1809), devient ainsi la forme canonique dans laquelle s’inscrit le savoir des Occidentaux au sujet des autres (Zammito 2002 : 236). La fiabilité de ces observations passe nécessairement par la transformation du chercheur, transformation qui se fait par le biais d’une expérience prolongée d’un dépaysement social, affectif et intellectuel grâce auquel il produit en lui-même un espace dans lequel penser autrement qu’il ou elle ne le faisait dans son milieu d’origine. Quelle que soit la distance géographique franchie en vue d’atteindre ses sujets, l’anthropologue contribue à sa discipline dans la mesure où il s’est transformé au cours de son terrain, est devenu « porteur d’une double naissance, c’est-à-dire d’une autre co-(n)naissance, ou de la connaissance d’un Autre, ce avec quoi tout être naît à lui-même » (Caratini 2004 : 38). L’insistance traditionnelle sur le dépaysement géographique de l’anthropologue, condition incontournable à l’accès au statut professionnel tout au long de l’ère coloniale, diminue à partir des années 1960 et 1970 (Abélès 2002). C’est ainsi que : C’est dans le contexte du grand mouvement de la décolonisation des pays, des méthodes et des esprits qu’apparaissent de nouveaux terrains et que l’on met en oeuvre « l’anthropologie du proche qui n’est pas liée à un espace territorial, mais qui se dégage – partiellement – des frontières nationales ou culturelles » (Cohen 2002 : 77), l’ethnologie de proximité (Urbain 2003), l’ethnologie à domicile (Galibert 2004), ou « l’anthropologie […] du familier et du sensible, de l’intime et de l’infime » (Péquignot 2010 : 25). L’anthropologie qui oblige le chercheur à s’éloigner de son soi personnel et culturel progresse dans la mesure où le chercheur revient dans son milieu professionnel et rend compte à ses pairs de ce qu’il ou elle a compris d’autrui et de son monde (Geertz 1996 ; Alexander et Smith 2011). Sur le terrain, tout comme dans la vie quotidienne, le danger qui guette toute interprétation de la conduite d’autrui consiste à ce « qu’on se mette insidieusement à penser à la place de ceux qu’on croit comprendre et qu’on leur prête plus ou moins autre chose que ce qu’ils pensent » (Lévi-Strauss 2000 : 720). C’est afin d’éviter ce danger que Bourdieu parle de « l’objectivation participante » comme pratique qui « permet à l’analyste de saisir et de maîtriser les expériences sociales préréflexives du monde social qu’il tend à projeter inconsciemment sur les agents ordinaires » …

Appendices