Comptes rendus thématiquesThematical Book ReviewsReseñas temáticas

Le Breton David, 2011, Éclats de voix. Une anthropologie des voix. Paris, Éditions Métailié, coll. Traversées, 280 p., bibliogr. (Meryem Sellami)[Record]

  • Meryem Sellami

…more information

  • Meryem Sellami
    Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe (CNRS), Université de Strasbourg, Strasbourg, France

La voix demeure cet objet humain insaisissable qui coule dans la fluidité du lien social. Dans Éclats de voix…, David Le Breton interroge le « paradoxe » (p. 11) de la voix au-delà de la sémiologie des mots et du langage. Il s’agit d’une méditation sur la « tessiture de la voix » (ibid.), sa formulation et ses singularités. Après avoir questionné le statut anthropologique du corps (Le Breton 1990), du visage (Le Breton 2003), des émotions (Le Breton 2004), des sens (Le Breton 2006), et de la douleur (Le Breton 2010), l’auteur livre dans cet ouvrage ses digressions sur la voix comme une émanation corporelle aussi intime et singularisée que le visage mais qui, comme lui, ne cesse de se dérober. En donnant corps au langage, la voix est « toujours en relation » (p. 35). L’auteur aborde dans un premier temps la dimension identitaire et sociale de la voix. Celle-ci constitue une assise fondamentale du lien social. Chaque individu possède sa propre « panoplie » de voix pour faire face aux diverses situations et aux différentes personnes qu’il doit affronter. Le timbre de la voix, son rythme, son intensité et sa hauteur varient selon le registre affectif ou le contexte social. « L’affectivité de la voix » (p. 67) tient en ce qu’elle constitue un « registre sonore » (ibid.) des émotions. Qu’elle les révèle ou qu’elle les dissimule, la voix demeure « un mi-dire » (p. 68). Comme la langue, elle est ancrée dans un registre moral et affectif (p. 70) et porteuse « d’interdits spécifiques » (p. 71). Tout comme le corps, la voix obéit à une codification sexuée selon les cultures. Chez les Dogons, par exemple, des limites symboliques sont posées autour de la bouche des filles afin de prévenir « le mésusage de la parole » (p. 93) chez elles. La voix de l’autre est apaisante, elle constitue une « enveloppe protectrice » (p. 95), notamment la première voix, celle de la mère que l’enfant conserve en lui comme « un bouclier du sens à opposer aux circonstances défavorables » (p. 99). L’émergence de la voix n’est jamais un acquis définitif et nécessite un échange régulier avec les autres. Cependant, ces interactions exposent la voix, dans des contextes défavorables, au risque de s’éclater, de se briser ou pire, de s’anéantir dans le gouffre du mutisme. Dans « Bris de voix » (p. 119), l’auteur aborde les différentes défaillances de la parole comme le cri, le bégaiement ou le silence. Expression de l’horreur, le cri est conçu comme la faillite du langage, « l’effondrement du symbolique » (p. 120), et « la dislocation de la voix » (ibid.). Fermeture à l’autre, le silence peut traduire, tout comme le cri, l’effondrement d’un monde, par exemple après un trauma. Mais il peut aussi marquer le « refus de concéder à l’autre un partage de voix qui légitimerait son entreprise ou son comportement » (p. 131). Dans ce sens, le silence constitue une forme de résistance efficace. Après une expérience douloureuse, le silence renvoie à l’impossibilité de dire sa souffrance et à la difficulté de la partager. La voix y est donc mise à mal et la « parole a été atteinte au coeur même de sa raison d’être : la relation à l’autre » (p. 137). Être privé de voix pour des raisons physiologiques, comme dans les cas de laryngectomie, constitue aussi une épreuve. Les personnes opérées se doivent de reformuler leur relation au monde en épousant une voix « qui n’est plus la leur » (p. 151) au prix …

Appendices