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Bourdier Frédéric, 2009, Ethnographie des populations indigènes du Nord-Est cambodgien. La montagne aux pierres précieuses (Ratanakiri). Paris, L’Harmattan, 287 p.[Record]

  • Pierre Le Roux

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  • Pierre Le Roux
    SAGE (CNRS – UMR 7363), Institut d’ethnologie, Faculté des Sciences Sociales, Université de Strasbourg, 22, rue René Descartes, 67084 Strasbourg cedex, France
    p.le.roux@unistra.fr

Les travaux ethnographiques portant sur les Proto-Indochinois, c’est-à-dire les habitants originels des hauts plateaux centraux et méridionaux de l’ancienne Indochine française – l’antique et fameux « Hinterland moï » avant la descente vers le sud des Viêts, puis des peuples de langue tai venus du nord à partir du XIIIe siècle de l’ère chrétienne – sont aujourd’hui rares. Pourtant, ces populations, très diverses dans leur cohésion culturelle globale, restent pour certaines méconnues sur le plan de l’anthropologie sociale et, pour d’autres, très mal documentées, même en tenant compte de la riche littérature ethnographique qui les concerne depuis le XVIIe siècle, surtout à compter de l’arrivée des premiers missionnaires catholiques dans la région de Kontum (Vietnam) après la mort de l’empereur Gia Long en 1820. Les études ethnographiques des précurseurs les concernant sont soit de mauvaise qualité, soit partielles car restreintes à un sujet particulier sans couvrir tous les aspects de la société considérée ou de l’ensemble des Proto-Indochinois, et de toute façon difficilement accessibles aujourd’hui, sinon introuvables. Au début du XXe siècle, seul les travaux du père Émile Kemlin – pionnier d’une discipline en devenir – à propos des Reungao de la région de Kontum peuvent être considérés comme véritablement ethnologiques. C’est surtout après la Seconde Guerre mondiale que l’ethnographie scientifique des Proto-Indochinois prend son essor en Indochine avec de véritables chercheurs formés à l’enquête de terrain tels les Français Georges Condominas, Jacques Dournes, Jean Boulbet ou, plus récemment, le Hongrois Gábor Vargyas. Mais en dépit de leur valeur, leurs travaux ne concernent que peu de groupes, laissant bien d’autres dans l’ombre. Il faut souligner par ailleurs qu’on ne trouve encore aujourd’hui aucune synthèse dédiée à l’ensemble de ces populations. Il est donc heureux de voir publié l’ouvrage de Frédéric Bourdier portant sur certaines demeurées méconnues, notamment les Tampuan, ouvrage qu’on doit d’autant mieux accueillir qu’il concerne une période cruciale de l’histoire de ces sociétés traditionnelles de chasseurs-cueilleurs et surtout, le plus souvent, d’essarteurs. L’essartage est la pratique culturale la plus répandue dans le monde, en tout cas jusque dans la décennie 1960. Elle est typique des milieux tropicaux forestiers, primaires ou dégradés (forêt dense secondaire, forêt claire, recrû forestier et bambouseraie, etc.). On la trouve presque identique sur tous les continents. Il s’agit d’une pratique évolutive, car les essarts – parcelles prises sur la forêt – sont déplacés périodiquement au sein d’un terroir. Cependant, l’essartage est dans l’ouvrage à peine défini en tant que « riziculture itinérante sur brûlis » (p. 47). En réalité, il faudrait ajouter « et à longue friche forestière », car cette pratique induit un nomadisme lent dû à une exploitation cyclique : un essart est généralement exploité pendant une à deux années de suite puis abandonné au recrû forestier. Au terme de cinq à vingt années, l’exploitant revient sur l’essart désormais recouvert de forêt afin de l’exploiter à nouveau. Cette pratique est sans danger sur l’environnement à la stricte condition d’une densité démographique très faible qui permet la longue jachère forestière qui la caractérise, et donc la régénérescence du sol à la mince couche arable. Il s’agit d’une agriculture autarcique plus que d’une riziculture, même si cette dernière domine largement en Asie du Sud-Est. Dans l’essart sont en effet mêlées au riz d’autres essences, dont la liste varie selon les terroirs : maïs, manioc, ignames, sorgho, larmes de job, courges, haricots, piment, herbes aromatiques, citrus, etc. Cette « riziculture » est qualifiée de « sèche » car elle se nourrit des seules pluies de mousson, sans irrigation ou régulation de l’inondation. Elle est aussi appelée « riziculture de montagne » car, …

Appendices