PrésentationVues de l’autre, voix de l’objet dans les musées[Record]

  • Laurent Jérôme

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  • Laurent Jérôme
    Département de sciences des religions, Pavillon Thérèse Casgrain, Université du Québec à Montréal, C.P 8888, Succursale centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3P8, Canada
    jerome.laurent@uqam.ca

Au moment où nous élaborions les orientations de ce numéro, le Musée du quai Branly organisait, sous la direction d’Anne-Christine Taylor, un colloque international intitulé « S’exposer au musée. La représentation muséographique de Soi ». Réunissant des anthropologues, des historiens de l’art, des muséologues et des directeurs de musées, cette rencontre avait pour objectif de discuter des « enjeux de la présentation muséographique d’une identité culturelle telle qu’elle est vue par les représentants de cette même culture » à l’occasion de l’exposition itinérante māorie du Te Papa Museum E Tu Ake (Standing Strong), rebaptisée Māori. Leurs trésors ont une âme par le Musée du quai Branly. Nous y retrouvions James Clifford et Benoît de L’Estoile, deux auteurs dont les travaux constituent le fil conducteur de ce numéro : James Clifford pour sa contribution à la notion de musée comme « zone de contact » (Clifford 1997) et Benoît de L’Estoile pour la distinction qu’il propose entre musée de Soi et musée des Autres (De L’Estoile 2007). En plus de Clifford et de De L’Estoile, nous nous inspirons ici de Jacques Hainard et de son plaidoyer pour une muséographie de la rupture (1987) afin de penser la place des objets autochtones dans les musées. Qu’ils soient ethnologiques ou d’art (Dubuc 2002), les objets évoqués dans ce numéro seront pensés aussi pour leur part d’immatériel, un thème abordé récemment par la revue LeJournal de la Société des Océanistes (Leblic 2013). Considérant ces travaux, deux expositions ont marqué le paysage de la relation entre peuples autochtones et musée au Québec en 2013 : Sakahàn, art indigène international et Beat Nation. Art, hip-hop et culture autochtone. Présentées respectivement au Musée des beaux-arts d’Ottawa et au Musée d’art contemporain de Montréal, ces deux expositions ont particulièrement retenu l’attention, pour au moins trois bonnes raisons : des musées d’art ont mis en scène les Autres (autochtones) et ont permis l’appropriation de l’espace muséal en créant pour eux et avec eux un « chez soi » en intégrant clairement leurs voix au coeur du médium exposition ; la mise en scène de l’art contemporain valorisait des patrimoines matériels et immatériels originaux, « travaillés » (Obeysekere 1990) par la créativité des artistes ; l’objet autochtone a été sorti de son statut de simple témoin, la ligne éditoriale proposant aux visiteurs un discours engagé jouant sur les idées reçues et les lieux communs, détournant des objets banals de leurs fonctions premières. Présentées dans des musées d’art, ces deux expositions ont résonné comme une muséographie de la rupture dans laquelle les artistes-conservateurs-autochtones ont pu façonner leur propre paysage de représentations. Car au Québec, comme ailleurs dans le monde, les peuples autochtones (Premières Nations, Inuit et Métis) sont engagés depuis les années 1970 dans des processus complexes d’affirmation identitaire et culturelle, des luttes pour la reconnaissance et des stratégies de mise en valeur de leurs patrimoines. Ces processus de revendication ont progressivement poussé les gouvernements, les universités et les milieux culturels à repenser leurs méthodes de travail et leurs relations avec les Premiers Peuples. Les institutions muséales n’ont pas échappé à cet examen critique. En 1988, les Cris du lac Lubicon (Alberta, Canada) décidaient de censurer l’exposition The Spirit Signs : Artistic Traditions of Canada’s First Peoples réalisée par le Glenbow Museum, au moment des Jeux olympiques d’hiver de Calgary. Cet événement, bien connu des muséologues et des anthropologues (Harrison 2009), rappelle d’autres mouvements forts de contestation au Canada, comme ceux de la crise d’Oka de 1990 ou du mouvement Idle no More – Fini la passivité de 2013. Engagés dans un processus …

Appendices