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« Si Haddon n’avait pas appuyé sur le bouton pause »La vision d’Alick Tipoti sur sa démarche artistique, les musées d’ethnographie et le monde de l’art[Record]

  • Géraldine Le Roux and
  • Alick Tipoti

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Ce n’est véritablement que depuis dix ans que j’ai commencé à occuper une place importante dans le domaine du chant et de la danse. Avant cela, je le faisais parce que cela faisait partie de notre culture, on dansait, chantait lors des mariages, des fêtes, etc. Aujourd’hui j’ai ma propre troupe. Nous ne faisons pas de la danse moderne. Je sais que je suis de l’époque moderne mais je ne suis pas intéressé par cette période, j’ai toujours été plus intéressé par le traditionnel. Parfois je me dis que je suis né à la mauvaise époque. En même temps, si j’étais né à cette époque-là et que je ne parlais pas anglais, peut-être que je n’aurais pas trouvé cela si intéressant ! D’ailleurs cette distance m’aide à interpréter ces histoires qui m’ont été transmises. J’aimerais pouvoir voyager dans le temps, et revenir en arrière. Depuis l’arrivée de la London Missionary Society en 1871, les Insulaires des îles du détroit de Torrès se sont tournés vers le christianisme. Quand j’étais jeune, je devais aller à l’église et j’ai même été enfant de choeur. Plus tard, quand j’ai compris ce qu’est la vie, je me suis détourné de la religion chrétienne. Ça peut être un défi, parce que je suis un homme de l’époque moderne, mais j’ai envie d’essayer de montrer l’époque ancienne. Je connais bien l’ancien langage. Beaucoup de gens m’appellent pour me demander conseil à propos des protocoles culturels. Je réponds toujours que je ne sais pas tout, mais je peux me baser sur l’enseignement que j’ai reçu des anciens, qui sont pour la plupart aujourd’hui décédés. Le temps que j’ai passé avec eux aura été mon apprentissage. Récemment, nous avons eu une importante réunion sur l’île de Badu au sujet de questions foncières, sur ce qu’on doit faire avec la terre, à qui elle appartient, etc. Devant l’ensemble de la communauté, j’ai parlé de la question des protocoles culturels. Pour moi, cette opportunité qui m’est faite de pouvoir jouer ce rôle, c’est un don des anciens. En fait, beaucoup de gens savent mais ils n’y pensent pas, ils ne le pratiquent pas. C’est cette dimension de l’époque ancienne que j’essaye de préserver aujourd’hui. Quand je sculpte, par exemple une tortue, il s’agit de savoir public, ce n’est rien de sacré, rien de trop culturel, c’est juste ma propre expérience, comme par exemple quand je trouve des empreintes de tortue et que je ramasse les oeufs. En ne prenant pas tous les oeufs, je respecte le protocole culturel. Cette histoire qui relève du savoir public, je peux la graver, la sculpter, sans problème, je n’ai pas besoin de demander la permission. Mais quand cela relève d’histoires plus spécifiques, c’est différent. Il faut terminer par les yeux, les sculpter au dernier moment, car ce sont eux qui amènent la sculpture à la vie. Et quand je fais les yeux, je parle dans ma langue. Je dis « walmano ». Ce qui signifie que l’objet vient à la vie. C’est le protocole culturel. La sculpture est en ce sens plus profonde que la linogravure. J’ai eu tant de rencontres avec les êtres spirituels dans le cadre de ma pratique artistique. Certains anciens disent que c’est effrayant, risqué, dangereux, parce qu’on joue avec les esprits. J’y ai longuement pensé, et je suis arrivé à la conclusion que s’ils disent cela, c’est parce que c’est ce que leur ont enseigné les religions qui ont été introduites : le christianisme, l’islam, peu importe celle qu’ils choisissent. Moi, je reste attaché à ce qui vient d’ici. Parfois, quand je travaille à une sculpture tard le soir, …

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