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Maurice Godelier réalise un voyage en parenté. Du passé qui s’étend jusqu’à nous, des Baruya de Nouvelle-Guinée à l’Occident en passant par la société animale des Bonobos, il rend compte d’une diversité d’expériences de la parenté et de ses bouleversements. Pour lui, entre la diabolisation de la société d’aujourd’hui et son angélisation, il y a place pour une autre attitude : procéder à un inventaire détaillé des situations de fait et des pratiques. L’auteur propose dans cet ouvrage de placer certains faits connus et attestés sous un éclairage particulier pour faire apparaître des connexions qui ont un certain pouvoir d’explication globale. Nous soulignons ici deux propositions.

Pour les individus, les rapports de parenté, qui sont en même temps des liens entre des personnes d’âge et de sexe différents, jouent un rôle important, sinon décisif, dans leur vie. Ils constituent une première forme d’intégration dans la société, vont continuer d’exercer leur influence sur l’enfant et, devenu adolescent puis adulte, occuper d’autres positions dans la parenté et dans la société.

Un autre aspect de la parenté, ce sont toutes les fonctions sociales qui n’ont rien à voir avec elle et viennent s’attacher aux individus du fait de leur place (père, fils, soeur, aînée, etc) dans des rapports de parenté.

Tous ces rapports sociaux leur donnent des contenus « sociaux » à chaque fois différents. Il s’agit de rapports politico-religieux qui ont la capacité de créer uneinterdépendancegénérale entre tous les groupes et les individus qui composent la société, et qui font de la société un tout, ce que la parenté est précisément incapable de faire. D’où la proposition théorique d’une double métamorphose. Des rapports sociaux qui n’ont rien à voir avec la parenté pénètrent dans les rapports de parenté et les subordonnent à leur reproduction. Du social devient du parental. Or, tout ce qui devient parenté se transforme en rapports entre les sexes d’abord, entre parents et enfants ensuite, et finalement, tout ce qui est parenté s’imprime dans le corps sexué des individus depuis leur naissance et devient un attribut de leur sexe. Par cette double métamorphose, la différence des sexes se transforme en différence entre les « genres ».

On peut aujourd’hui sereinement démontrer qu’un système évolue et se transforme en un autre. La filiation elle-même risque de ne plus être demain ce qu’elle était hier, et la définir devient plus compliqué avec les progrès de la biologie et le développement des nouvelles technologies de reproduction. Alors que dans nos sociétés la femme qui mettait au monde un enfant était perçue à la fois comme la génitrice et comme la mère de cet enfant, à partir du moment où l’on peut disjoindre artificiellement les trois moments naturellement indivisibles de la fabrication de celui-ci, la fécondation, la gestation et la parturition, la question se pose de savoir ce que sont pour l’enfant né dans ces conditions les diverses femmes qui ont l’une après l’autre contribué à sa naissance.

Par ailleurs, la parenté fut aussi contrainte d’évoluer pour faire face aux problèmes auxquels étaient confrontés les parents et les enfants du fait de la multiplication des divorces et des familles recomposées ou monoparentales. La famille recomposée devient un univers où à des rapports de parenté classiques dans notre société, combinant parenté biologique et parenté sociale, s’ajoutent des rapports de « quasi-parenté » avec le nouveau compagnon de leur mère ou la nouvelle compagne de leur père et leurs enfants s’ils en ont eu auparavant. Le lien qui s’établit entre ces adultes et les enfants de leur conjoint est ainsi un lien de parenté purement sociale.

Encore, ce serait au sein des familles homosexuelles que la parenté se réaliserait pleinement en devenant une réalité purement sociale et affective ou peu s’en faut. Femme et homme, en choisissant d’exercer la parenté en dehors de toute référence à leur sexe biologique, n’apporteraient-ils pas la preuve éclatante que la parenté, au fond, n’est pas biologique mais sociale?

Les parents ne sont alors pas seulement ni nécessairement ceux qui font des enfants en s’unissant sexuellement. Ce sont aussi, et parfois avant tout, les adultes qui les nourrissent, les élèvent, les éduquent, leur assurent un avenir. Le terme « parentalité » désigne cet ensemble culturellement défini des obligations à assumer, des interdictions à respecter, des conduites, des sentiments, des actes de solidarité et des actes d’hostilité qui sont attendus ou exclus de la part d’individus qui se trouvent dans des rapports de parents à enfants. Reste que les nouvelles parentés sociales sont de plus en plus poussées à reproduire le modèle idéal de la famille traditionnelle, à en adopter les obligations et les interdits.

Retenons que l’obsession du fondement génétique de la parenté devra disparaître si nous voulons prendre en compte et réguler les nouvelles formes de parenté. Car celles-ci, il faut y insister, ne sont ni un bonheur ni un cauchemar. Elles sont tout simplement filles de nos sociétés et de notre époque.