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Silence, on soufre!Sider Gerald M., 2014, Skin for Skin. Death and Life for Inuit and Innu. Durham, Londres, Duke University Press, 288 p., bibliogr., index, illustr.[Record]

  • Samuel Neural

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  • Samuel Neural
    Faculté d’anthropologie, de sociologie et de science politique, Université Lumière–Lyon 2, 5, avenue Pierre Mendès-France, 69676 Bron Cedex, France
    samuel.neural@hotmail.com

Cet ouvrage conduit le lecteur au Labrador, sur les franges pionnières nord-orientales du Canada où vivent côte à côte deux populations, les Inuit au nord, les Innus plus au sud. L’auteur revient sur le chaos qui résulte d’une collision de plusieurs siècles de contacts avec les Européens. Alors qu’elles sont parvenues à subsister dans un des milieux les plus hostiles de la planète, les populations locales ont été rapidement fragilisées par la surchasse de leurs ressources principales – notamment de la baleine –, et la pression émergente qu’ont très vite exercée les Européens sur le milieu pour mieux régner sur les richesses halieutiques et fonder les bases d’un commerce transatlantique. Ces populations se sont alors laissé absorber et littéralement engloutir devant ce nouvel ordre social, économique, politique qui s’est mis en place au cours des siècles. L’auteur va alors s’attacher à démonter les rouages d’un système de dépendance et de domination qui se fabrique en toute impunité à mesure que se développent une pratique à grande échelle, le commerce, une doctrine, le christianisme, un mal, les maladies, et un nouveau rapport au monde avec l’apport de nouvelles technologies. Voilà un alliage terrible dans un système imbriqué dont les conséquences agissent et s’étendent jusqu’à nous. Les structures sociales autochtones contemporaines se dotent de nouveaux appareils de contrôle communautaire avec la fabrique d’une petite élite locale. Le consentement de certains qui en tirent profit en dépit de la souffrance de tous crée de véritables variations dans l’adhésion au cadre social local, qui se trouve neutralisé. Nous atteignons l’apogée de ce mécanisme, alors que se profile un nouveau naufrage. Les enfants errent dans les communautés, inhalant de l’essence, tandis que les adultes se terrent dans les foyers et boivent pour oublier. L’auteur va alors s’intéresser dans le cadre de ses recherches et de ses expériences aux abus imposés à ces populations, et aux excès qu’elles s’infligent elles-mêmes et qui sont la résultante de plus de cinq siècles de contact. Les retours qu’il effectue sur les souffrances et les épreuves qui ont eu lieu loin dans le passé et qu’il ramène au présent lui permettent de se tenir à la frontière du polémique pour expliquer les germes de certains comportements extrêmes. Dans ce périlleux va-et-vient entre passé et présent, G.M. Sider cherche à expliquer l’énigmatique consentement du monopole du contrôle des uns par les différentes formes de violence qu’ils parviennent à exercer sur les autres. La notion de violence historique va ainsi constituer la pierre angulaire de ce travail. En martelant ceux qui la subissent, la violence est un processus continuel et impitoyable puisqu’elle se métamorphose et revêt plusieurs formes selon le contexte historico-social qui est, lui aussi, en mouvement constant. L’auteur va alors révéler tout un arsenal de stratagèmes que la violence engendre selon les époques, usant petit à petit le pouls social qui continue à palpiter malgré tout. La violence éreinte les petits corps sociaux et les infecte des plus obscures déviances ; elle rompt l’autonomie collective et individuelle, efface toute trace de dignité pour finir par maintenir ses victimes sous perfusion. Elle bénéficie ainsi d’un véritable monopole de contrôle du destin de ces populations qui la subissent, si bien qu’il paraît difficile d’exiger de chacun une quelconque prise de responsabilité. La force de persuasion de l’auteur est là. Il décèle et rend manifeste les contradictions dans lesquelles se démènent ces gens. Nous voilà donc coincés dans les rouages d’une machine infernale dont la logique du mécanisme implique que les victimes qui subissent cette violence la feront subir à leur tour. Dans les premiers chapitres de l’ouvrage, G.M. Sider met en perspective …