Article body

L’auteure de ce volume est historienne, mais sa démarche ethnohistorique présente une multiplicité de points de vue sur les événements passés, comme l’origine du peuplement de l’Amérique du Nord, la place des Autochtones dans la traite des fourrures, la place des femmes dans les sociétés autochtones. En apportant un regard critique sur les sources consultées (notamment les récits de supposées découvertes et explorations), elle veut présenter les Autochtones comme des « participants aux événements historiques ayant un certain con-trôle sur leur propre destinée » (p. 9) et non plus comme des agents passifs ou des victimes. Sa démarche de recherche s’appuie sur les deux approches distinguées par Bruce Trigger : a) le relativisme culturel — ou « l’approche romantique » — qui accorde aux croyances internes des cultures particulières un rôle prééminent en tant que déterminants du comportement humain » (p. 11) ; b) l’approche rationaliste selon laquelle « le comportement humain est modelé par les calculs de l’intérêt individuel qui sont uniformes d’une culture à l’autre » (ibid.). Sur un autre plan, politique celui-là, l’auteure affirme que le « but positif » de son ouvrage vise à rappeler que le territoire de l’Ouest canadien avait été conçu dans le passé comme une terre communautaire (« common ground ») dans l’espoir qu’il pourrait le redevenir dans le futur (p. 13).

Comme l’indique le titre, le sujet principal du volume concerne les relations entre les peuples autochtones de l’ouest du Canada, y compris les Métis, et les colonisateurs des trois provinces des Prairies (Manitoba, Saskatchewan, Alberta). Cependant, comme la véritable colonisation n’a commencé qu’à partir de 1870, plusieurs chapitres du volume traitent du contexte général (géographique, écologique, préhistorique, ethnographique) des Plaines et des événements historiques qui ont précédé cette colonisation. Les trois premiers chapitres con-tiennent donc des informations fort bien résumées sur différents sujets et utiles pour des étudiants ou des personnes non versées dans les questions autochtones.

La précolonisation des Plaines commence avec l’établissement des Métis le long de la rivière Rouge, la venue des missionnaires et de la Police Montée. Déjà une certaine hiérarchie sociale génératrice de tensions internes s’instaure. Par contre, la culture traditionnelle des Indiens des Plaines fondée sur la chasse au bison à cheval et le travail des peaux par les femmes se maintient malgré les épidémies réduisant les effectifs de la plupart des groupes, jusqu’à la quasi-disparition du bison au début des années 1880. Il s’ensuit une période de famine et de misères pour les groupes des Plaines qui facilite la mise en place d’une véritable colonisation dans les trois dernières décennies du 19e siècle.

Selon les analyses de l’auteure, la colonisation fut essentiellement l’œuvre des poli-tiques fédérales (construction du chemin de fer transcanadien, allocation des terres des Prairies à des colons blancs, Loi sur les Indiens et traités) et des agents chargés de leur application, en particulier les agents des Affaires indiennes, la Police Montée et l’armée. Elle se fondait sur l’agriculture et l’élevage comme nouvelles activités économiques et sur la sédentarisation et la mise en réserve des Indiens nomades, anciens chasseurs de bisons ou trappeurs de la forêt boréale. La colonisation rencontre, cependant, plus de résistance chez les Métis déjà sédentarisés (soulèvements de 1869-1870 et de 1885), surtout en raison de la non-reconnaissance de leurs droits fonciers et politiques.

En raison de l’effondrement de leur économie et, en conséquence, de leurs orga-nisations sociopolitiques traditionnelles, les Indiens des Plaines canadiennes se résignèrent, non sans quelques velléités d’opposition, à signer des traités et à être regroupés dans des réserves où l’agriculture et l’élevage devaient remplacer leur ancienne économie de chasse au bison. Certains d’entre eux se seraient même engagés assez résolument dans la voie des changements proposés pour vite se heurter à toutes sortes d’obstacles imposés par les politiques et les agents du gouvernement canadien. Ainsi, l’absence de communautés agricoles viables chez les Indiens des Plaines avant 1900 serait attribuable à ce dernier. Pourtant, les hauts-fonctionnaires des Affaires indiennes à Ottawa et la presse canadienne en général se sont toujours empressés d’attribuer les échecs de leur projets de développement économique au fait que les Indiens étaient irréductiblement fermés à tout changement. Or, l’auteure explique que le gouvernement fédéral s’est laissé fléchir par une campagne de presse accusant les agriculteurs indiens de concurrence déloyale envers les fermiers blancs des Plaines parce qu’ils recevaient de l’aide fédérale. Le gouvernement remplace alors sa politique de développement agricole (amélioration technique, mise en marché commerciale) par une politique d’agriculture de subsistance, ce qui entraîne aussitôt une diminution de l’intérêt des agriculteurs autochtones et une baisse de leur production agricole. De même, l’instauration du système des « passes » pour pouvoir sortir des réserves et le contrôle pointilleux des agents des Affaires indiennes sur toutes les activités des résidents autochtones étouffent progressivement chez eux toute initiative et les réduisent à la dépendance — caractéristique de l’ensemble des Amérindiens du Canada pendant des décennies jusqu’au tournant des années 1970.

Par ailleurs, bien qu’il y ait plusieurs interprétations divergentes de la question, l’au-teure penche plutôt en faveur de la thèse voulant que la dualité de l’armée canadienne (répression des Métis en 1885, pendaison de Louis Riel et de huit Cris) voulait montrer à tous les Autochtones que le gouvernement fédéral était maintenant le maître de la situation dans les Plaines canadiennes ; il ne tolérerait aucune opposition, même fondée sur des droits fonciers et politiques valables aux yeux de certains — Métis et Amérindiens. C’est ainsi que les premières tentatives de construction d’une société des Plaines où Autochtones et non-Autochtones auraient pu vivre en harmonie à partir de la reconnaissance des droits des uns et des autres ont été sabordées et que les « sentiers communs » suivis ensemble pendant long-temps ont divergé dans les dernières décennies du 19e siècle.

En vertu de la politique fédérale, les Autochtones se trouvaient désormais écartés d’une participation à l’évolution de la société canadienne et même mis au ban de celle-ci. Cent ans plus tard, les luttes actuelles des Autochtones pour la reconnaissance de leurs droits aux terres et aux ressources et à l’autonomie politique démontrent que les relations entre Autochtones et non-Autochtones sont à rebâtir sur les bases d’une compréhension et d’une entraide mutuelle qui existaient réellement dans le passé, selon l’auteure, avant que la confédération canadienne ne vienne imposer sa loi, son ordre et sa politique colonisatrice dans l’Ouest canadien. Comme l’exprime l’auteure dans la dernière phrase de son volume, la compréhension de l’évolution positive de ces interrelations jusque dans la seconde moitié du 19e siècle s’avère essentielle pour savoir comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle et quels changements devraient être instaurés.