En Occident, l’animal n’a cessé d’être domestiqué, élevé, exploité et subordonné aux humains, lesquels se sont longtemps efforcés d’établir et de maintenir avec lui une frontière ontologique. Depuis plusieurs décennies, cependant, de nouvelles relations et représentations émergent. En ce sens, si la modernité se caractérise bien par la domination du schème naturaliste, l’action concomitante d’autres schèmes – animique, analogique et totémique, pour évoquer le quadrant de Philippe Descola (2005) – est à l’oeuvre. Un peu partout, les sensibilités changent et le végétarisme progresse. L’animal acquiert une place qui le rapproche de plus en plus des humains, lesquels prennent conscience qu’ils partagent avec lui une histoire et un monde commun, si bien que l’un n’existe pas sans l’autre. Les notions « d’espèces compagnes » et de « relations humanimales », pour reprendre les termes de Vinciane Despret et de Donna Haraway, disposent ainsi de beaux jours devant elles. Cette évolution des sensibilités laisse apparaître un brouillage de frontières. D’une part, les chiens et les chats ne sont plus les seuls à être entrés dans l’intimité des familles des humains. Des cochons miniatures et des serpents, et également des animaux jusqu’ici classés parmi « les nuisibles ou les sauvages » comme les ratons-laveurs, les ont rejoints. D’autre part, les animaux de rente ne sont pas en reste. Séverine Lagneaux et Olivier Servais (2014), par exemple, montrent comment l’usage de la robotique, du virtuel et de machines accentue également l’effacement des frontières et des catégories, matérialisant ou dématérialisant les rapports entre humains et animaux. Sur le plan épistémologique, les historiens, sociologues, psychologues et les spécialistes en sciences de l’éducation se sont intéressés, plus que les anthropologues, à ces recompositions sociales et familiales (Greenebaum 2004 ; Turner 2005 ; Walsh 2009 ; Charles 2014 ; Michalon 2014). Les juristes ont également beaucoup participé à ce processus, et les animaux ont acquis des statuts sociaux et juridiques inédits, si bien que certains parlent aujourd’hui d’une révolution du droit animalier (Marguénaud, Burgat et Leroy 2016). Avec l’essor de la zoothérapie, l’animal est devenu un agent sérieux et compétent, capable de soigner des maux invisibles comme la dépression et le mal-être, des problèmes que la biomédecine moderne peine à guérir. Isabelle Mauz (2011) et Jérôme Michalon (2014) ont examiné de près cet « animal thérapeute » et mis en relief différentes médiations animales. Il est dorénavant admis que le chien est capable de détecter certaines maladies et de sentir les cellules cancéreuses mieux que les machines les plus sophistiquées. Le « meilleur ami de l’homme » n’est pas seulement reconnu pour sa capacité à voir l’invisible. Il a fait son entrée dans les tribunaux, permettant à ces instances de mieux défendre les enfants, par exemple. Des expériences menées par des chercheurs montrent en effet que la présence d’un chien apporte la sérénité nécessaire à de très jeunes victimes qui se confient plus volontiers à la justice en sa présence, un phénomène qui intéresse la Fondation A. et P. Sommer. Le chat, pour sa part, n’incarne plus l’animal des sorcières ou des marginaux, mais un autre thérapeute efficace, capable d’aider les humains à gérer le stress de la vie moderne ; que l’on pense à tous ces bars à chats qui se sont multipliés un peu partout dans les grandes villes, y compris au Québec ! Tous ces phénomènes donnent à certains animaux un statut particulier qu’on retrouve en fait dans de nombreuses cultures, comme si l’humain reconnaissait enfin ses piètres performances physiques par rapport à l’animal, un handicap qu’il compense peut-être avec la fonction symbolique. Plus fondamentalement, de plus en plus de travaux scientifiques s’accordent à reconnaître …
Appendices
Références
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