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Le vin est un produit paradoxal. Il peut être appréhendé comme constituant un objet traditionnel dont l’histoire a accompagné l’évolution réelle et imaginée de la société occidentale de l’Antiquité à nos jours. Simultanément, le vin est un objet résolument contemporain, tant en ce qui concerne les méthodes de production, la commercialisation, les pratiques de consommation que les significations qui entourent ces dimensions. Comme tout objet, le vin est porteur de culture. À travers le cas du vin, je m’intéresse au double processus de la circulation des objets et de leurs significations dans le contexte de la mondialisation. De nos jours, les significations du vin sont en grande partie influencées par les pratiques de consommation entourant ce produit, qui sont elles-mêmes influencées par l’organisation et la structuration de son commerce ainsi que par les règlementations qui l’encadrent. Comme je chercherai à le démontrer dans cet article, les lois et la commercialisation du vin ont influencé notre manière de penser et de nous représenter le vin. Elles ont contribué à structurer et diffuser l’importance que les consommateurs et les producteurs accordent à différents aspects symboliques (notamment la relation entre le produit et son lieu d’origine, dont le vin tire en partie son identité) ainsi qu’à la hiérarchisation des vins en fonction de leur qualité.

Cet article s’intéresse à certaines transformations qui ont touché l’industrie locale du vin de Cirò[1] Marina en Calabre, dans le sud de l’Italie, durant la seconde moitié du XXe siècle. Je cherche en particulier à comprendre en quoi les représentations[2] que les gens se font du vin ont évolué durant cette période. Deux éléments principaux sont à prendre en compte dans cette évolution : l’internationalisation des marchés du vin de Cirò, et la mise en place de législations italiennes sur le vin, c’est-à-dire les Denominazione di Origine Controllata (DOC). Ces deux phénomènes ont, d’une part, transformé les dynamiques locales de production et, d’autre part, influencé les manières locales de penser et de se représenter le vin. En me référant à l’étude de Bestor (2004) au sujet de la circulation transnationale du thon et en la comparant au cas du vin, j’identifierai certaines caractéristiques de la commercialisation transnationale du vin, notamment l’existence de deux systèmes de connaissances qui influencent la manière de penser et de se représenter le vin et qui participent du caractère fétiche de cette marchandise. On verra alors comment la mise en place de la DOC et l’internationalisation du commerce du vin ont influencé le développement de l’industrie vitivinicole à Cirò Marina, en Calabre, entraînant notamment la marginalisation croissante de la majorité de la population face à cette industrie. Enfin, j’analyserai l’effet de ces transformations sur certaines représentations du vin, notamment la présence d’un décalage entre la population et les producteurs concernant la définition de la qualité du vin local.

Cet article s’appuie sur une recherche ethnographique menée à Cirò Marina pendant près d’un an en 2000-2001, ainsi que sur deux séjours ultérieurs, en 2004 et en 2016. Cette ville d’environ 15 000 habitants produit à elle seule 75 % du vin DOC en Calabre. C’est ce caractère spécifique qui m’a amené à m’intéresser à cette ville, au départ pour comprendre les raisons de cette spécialisation agricole et expliquer son importance actuelle. J’ai effectué cinquante entrevues formelles semi-dirigées et des rencontres informelles avec les différents protagonistes de l’industrie vinicole locale, soit des viticulteurs, des propriétaires de caves vinicoles, ainsi que différentes personnes liées de près ou de loin à cette activité, par exemple des fonctionnaires et des enseignants.

Circulation transnationale des biens et circulation de la culture

Le vin est un produit commercial et l’étude de ses représentations doit tenir compte des systèmes économiques et juridiques qui structurent et organisent sa circulation. À ce titre, l’étude de Theodore Bestor (2004) sur le marché de poisson de Tsukiji, à Tokyo, au Japon, et la circulation transnationale du thon permet de faire des parallèles intéressants avec le marché du vin. Bestor démontre que la mondialisation a fait en sorte que les marchés se sont liés les uns aux autres de façons nouvelles et que ces connexions ont favorisé la circulation de significations culturelles. Ceci a entraîné l’émergence, dans différents lieux, de nouvelles idées et significations concernant les biens échangés et les partenaires de ces échanges. En raison de la demande japonaise en poissons, le marché de Tsukiji est devenu le centre de l’industrie mondiale de la pêche. En plus de déterminer les prix mondiaux des différents poissons, le marché de Tsukiji dicte des standards de qualité. Il en résulte de nouveaux standards de pêche, de traitement et de transport des poissons dans les différents endroits où l’on pêche le thon, notamment sur la côte Est des États-Unis, conduisant à l’émergence de nouvelles façons de penser et de pratiquer la pêche au thon, et produisant un décalage entre les personnes qui maîtrisent ces nouvelles significations et celles qui ne les maîtrisent pas.

Comparativement au cas analysé par Bestor, le marché du vin n’est pas dominé par un centre principal de consommation. Les producteurs doivent répondre simultanément à des demandes distinctes émanant de marchés divers, tant nationaux que transnationaux. Dans le cas du vin, pour une majorité de producteurs, le marché national de leur pays constitue le marché le plus important. Quant aux marchés internationaux, les producteurs se montrent soucieux d’y répondre, mais sans toujours savoir comment s’y prendre, car la demande internationale est multiple, et donc floue, ou encore décrite et interprétée de manière caricaturale comme suivant le goût du prescripteur américain Robert Parker[3]. Cette demande est cependant réelle et porteuse de significations. Jung (2014) souligne qu’il existe bel et bien une économie politique mondialisée du goût du vin, laquelle est négligée dans les recherches et réflexions concernant le terroir, et dont les rapports de pouvoir se retrouvent inscrits et incorporés dans l’expérience sensible et physiologique que les gens ont du vin (Jung et Sternsdorff Cisterna 2014). Ainsi, il existe des standards de qualité, mais contrairement au cas du thon, ils n’émanent pas d’une seule source et ils ne font pas nécessairement consensus. La métaphore de la circulation de la culture semble ici moins appropriée pour décrire ce processus.

De plus, dans l’analyse de Bestor, il appert que les représentations et les marchandises circulent à travers des réseaux circonscrits et dans des directions opposées. Comparativement à cela, un des intérêts du vin, dans sa forme commerciale actuelle et en tant que produit du terroir, est justement de demeurer symboliquement rattaché à son lieu d’origine. On pourrait croire que les significations du vin devraient accompagner le produit lui-même, de son lieu de production à son lieu de consommation. Or, dans la pratique, les significations semblent plutôt circuler dans différentes directions, s’influencer mutuellement et donner lieu à des décalages. L’analyse de Bestor montre d’ailleurs qu’il existe des décalages dans la façon d’interpréter et de comprendre les représentations qui circulent de manière transnationale de la part de différentes personnes d’un même endroit (les pêcheurs américains). Est-ce que les significations culturelles circulent véritablement, ou ne sont-elles pas chaque fois réinterprétées, voire même réinventées, dans différents contextes ?

Enfin, l’analyse de Bestor porte sur les « techniciens de la mondialisation », c’est-à-dire sur les intermédiaires qui articulent les connexions entre les producteurs et les marchés et à travers lesquels circulent les biens et les capitaux, mais aussi différentes images et significations culturelles. Dans le cas du vin, ce rôle serait joué par les représentants et les prescripteurs. C’est, entre autres, par l’entremise des représentants qui se chargent de l’import et de l’export du vin que les producteurs sont en contact avec leurs marchés. En fonction du nombre de représentants avec lequel il travaille, un producteur disposera de plus ou moins d’informations concernant différents marchés. C’est en partie à travers ces représentants que pourraient circuler certaines significations. Mais elles peuvent varier d’un représentant à l’autre et en fonction des marchés d’où ils proviennent. De plus, les représentants eux-mêmes ne dictent pas d’exigences. Le marché du vin se caractérisant par la diversité de ses produits, les représentants choisissent de représenter des domaines simplement selon leurs goûts personnels et lorsqu’ils estiment que les vins peuvent avoir du succès sur les marchés où ils travaillent.

De leur côté, les prescripteurs sont les journalistes, chroniqueurs, blogueurs et autres leaders d’opinion qui dégustent et diffusent diverses prescriptions. Il en existe plusieurs et l’influence de chacun dépend du nombre de personnes qui suivent leurs recommandations. Leurs évaluations faisant rarement consensus, l’influence de chacun est contrebalancée par celle des autres. Néanmoins, les producteurs peuvent être attentifs aux préférences de certains prescripteurs reconnus et chercher à faire correspondre leur vin avec le goût de l’un ou de l’autre. Bref, si le produit circule suivant des canaux aisément identifiables, il est plus difficile d’identifier les circuits de circulation des significations. Ainsi, concernant cette dernière, contrairement à ce que présente Bestor, il semble exister dans le marché du vin une césure plus importante entre le pôle de la production et celui de la consommation. D’un côté comme de l’autre, différentes significations associées au vin existent, et ne sont pas nécessairement les mêmes. Les significations n’accompagnent pas, ni ne suivent les mêmes chemins que le produit. Elles ne sont pas imposées par un lieu ou par un groupe spécifique. Enfin, les représentations ne sont pas rattachées au produit en soi. Les producteurs et les consommateurs n’attribuent pas nécessairement les mêmes significations à un même produit. Ceci nous renvoie aux réflexions de Marx (1965) [1867]) concernant le caractère fétiche des marchandises qui, à travers l’échange, cachent leur véritable nature, soit leur valeur d’usage et leur valeur en travail humain.

Le caractère fétiche du vin

Dans le cas du vin et des produits du terroir en général, le caractère fétiche de la marchandise prend une forme spécifique. Comme le souligne Anne Meneley (2004) à propos de l’huile d’olive, ces produits seraient défétichisés, car le nom du producteur et sa région de production feraient intégralement partie du produit et de ses représentations. Or, malgré la présence de certaines informations concernant le contexte de production, je crois que ces éléments et ceux racontés sur une étiquette sont quand même fétichisés, dans la mesure où ils sont interprétés suivant l’imagination et les connaissances des consommateurs, par exemple en fonction de la langue utilisée sur les étiquettes. Dans le contexte de consommation transnational du vin, il y a des décalages entre les significations que les gens peuvent assigner à un même objet du fait que la production et la consommation se réalisent dans des espaces distincts et peuvent donc conduire à un certain fétichisme de la marchandise ; mais un fétichisme spécifique, dans la mesure où il est influencé par une connaissance, à la fois réelle et à la fois imaginée, du produit et de son lieu de provenance. Dans le cas du vin, les significations vont ainsi provenir de la rencontre réelle et imaginée entre l’univers de la consommation et celui de la production. Cette rencontre s’effectue par l’entremise de deux systèmes de connaissances étroitement liés qui orientent et influencent les manières avec lesquelles les personnes pensent, appréhendent et se représentent le vin, autant du côté des producteurs que de celui des consommateurs.

Le premier de ces systèmes de connaissance du vin est celui des législations entourant sa production et sa commercialisation. Les lois sont un système juridique, mais elles constituent également un système symbolique et un cadre d’intelligibilité pour penser et se représenter le vin. Elles constituent par conséquent un système de connaissances faisant autorité (Rabinow 2008). Les lois sur le vin ont contribué à structurer et à diffuser la façon que nous avons d’associer les vins avec leurs lieux d’origine et auxquels on associe, principalement en Europe, des traditions spécifiques de production : encépagement, rendements de production, méthodes de vinification, etc. Dans leur développement, ces lois se sont cependant accompagnées de rhétoriques concernant la qualité des produits que ces règlements sont justement censés garantir[4] et ont favorisé la comparaison des diverses régions productrices entre elles, sur la base de la qualité de leurs vins, reconnue en fonction du succès commercial de chacune (Ulin 1996). Ainsi, en France :

Les AOC ont établi une classification hiérarchique stricte des vins, entre différentes régions et au sein des régions elles-mêmes, et par conséquent entre les producteurs, en fonction de la renommée commerciale de leurs produits.

Demossier 2010 : 43, traduction libre

Avec l’essor en France des AOC (Appellations d’origine contrôlée), puis le développement de législations similaires dans d’autres pays, suivant notamment la mise en place du marché commun en ce qui concerne l’Europe, c’est l’ensemble des régions viticoles du monde qui se retrouvent désormais ainsi comparées et hiérarchisées au sein d’un grand système symbolique reconnaissant et construisant des distinctions de qualités. Puisque ces systèmes législatifs influencent et orientent la compréhension que les gens ont de l’univers du vin, ces lois constituent un système de connaissance. De par sa nature juridique, ce système est très structuré.

En parallèle, il existe un deuxième système de connaissances également influent, mais moins structuré. Il s’agit des normes oenophiles qu’utilisent les personnes pour appréhender et juger la qualité des vins. Jean-Luc Fernandez a analysé en France le développement des pratiques oenophiles en lien avec l’émergence d’une critique vinicole. Il souligne comment : « [...] à partir des années 1960, on assiste à une forte diffusion de l’idéologie oenophile et des techniques dégustatives, tant parmi les acheteurs particuliers que parmi les professionnels du vin » (Fernandez 2004 : 192). La connaissance des régions, de leurs cépages et du style des vins fait partie intégrante du savoir oenophile, ce à quoi s’ajoutent des connaissances techniques concernant les méthodes de vinification et, enfin, des connaissances sur la dégustation du vin. Certains amateurs développent des approches plus personnelles du vin, mais d’autres suivent davantage certaines normes oenophiles, comme le démontrent Geneviève Tiel (2004) et Rachel Reckinger (2012) dans leurs recherches respectives sur les amateurs de vin en Espagne et au Luxembourg. Reckinger analyse, entre autres, le rôle des formations dans la diffusion de diverses normes oenophiles, alliant connaissances des régions productrices (telles que structurées par les diverses législations nationales) et connaissances des techniques de dégustation. Les normes oenophiles se constituent ainsi en un discours d’autorité et elles ont des effets structurants. Ce discours d’autorité est enseigné dans les écoles et universités destinées aux professionnels du vin (Reckinger 2012). Ce discours est également véhiculé par les journalistes et prescripteurs dans les médias (Fernandez 2004). Ces derniers définissent pour les amateurs ce que sont les qualités souhaitables ou non, bien qu’il n’existe pas de fondement objectif à l’appréciation des vins, puisque chaque critique les évalue différemment (Tiel 2004). Enfin, le néophyte qui désire s’intéresser au vin peut voir dans l’acquisition de certaines de ces connaissances un passage obligé (Reckinger 2012). Conjointement, les prescripteurs, les professionnels du vin et les amateurs entre eux contribuent à diffuser ce système de connaissances oenophiles et à le rendre légitime, du fait qu’il est partagé par une majorité de personnes.

Si ces deux systèmes de connaissances sont liés, ils sont en même temps indépendants. Ils se sont développés de manière simultanée, et on peut suggérer l’hypothèse de leur concomitance. Quoi qu’il en soit, les représentations du vin sont aujourd’hui étroitement influencées par ces deux systèmes de connaissances, autant du côté des consommateurs que des producteurs. Ce sont ces connaissances qui composent le caractère fétiche de la marchandise. On peut cependant se questionner sur leurs « circulations » dans le contexte de la mondialisation. Plutôt que de circuler, soit d’aller d’un point A à un point B, elles semblent plutôt s’agencer et se recomposer de manières spécifiques en fonction des lieux. Avant de nous intéresser à la manière avec laquelle ces connaissances s’actualisent et influencent les représentations des producteurs de Cirò Marina, voyons succinctement comment cette industrie s’est développée ainsi que les dynamiques locales qui la caractérisent.

Développement de l’industrie vitivinicole de Cirò Marina

Le vin de Cirò a une histoire ancienne. Localement, les gens disent que sa production remonte à l’époque de la Grande Grèce. Plus près de nous, des documents historiques attestent de l’étendue du vignoble aux XVIIIe et XIXe siècles (Gentileschi 1970 ; Pugliese 1983 [1849] ; Caridi 2000 [1990]), tandis que dès la fin du XIXe siècle, le vin de Cirò profite d’une certaine renommée à l’échelle de la Calabre (Lenormant 1884 ; Douglas 1994 [1915]). La construction du chemin de fer en 1870 étend le marché régional (Calabre), mais surtout permet le développement du commerce de vin en fûts vers le nord de l’Italie et vers la France comme vin de coupage anonyme. À cette époque, les paysans vinifient eux-mêmes leur vin, qu’ils vendent ensuite à quelques négociants locaux qui se chargent de l’exporter. Le marché du vin en fûts demeure important jusqu’à la mise en place du système législatif italien réglementant les Denominazione di origine controlatta (DOC) en 1963, puis décline graduellement par la suite. À partir des années 1950, le vin commence également à être exporté comme produit typique destiné à la diaspora calabraise, notamment en Allemagne et en Suisse. Ces marchés initiaux demeurent à ce jour les marchés d’exportation les plus importants pour le vin de Cirò, auxquels se sont depuis ajoutés l’Angleterre, le Japon, les États-Unis et le Canada.

On retrouve à Cirò Marina une quinzaine de caves vinicoles. Il y a d’abord une coopérative publique ouverte à tous les viticulteurs qui désirent en faire partie. On retrouve également des coopératives privées. Souvent, elles sont formées de quelques groupes familiaux, issus des anciennes familles de grands propriétaires, et le nombre de leurs membres demeure restreint. Enfin, il y a des caves privées. Il s’agit de maisons de négoce qui possèdent peu ou pas de vignes et s’approvisionnent en raisins chez les viticulteurs. Leurs propriétaires sont issus de familles qui auparavant possédaient de petites et moyennes propriétés ; d’autres proviennent de familles de commerçants ; d’autres enfin sont des descendants d’anciennes familles de grands propriétaires. Toutes ces caves se distinguent par leur taille, leur volume de production et l’étendue de leur marché. Certaines produisent entre deux et quatre millions de bouteilles par année, tandis que d’autres en produisent entre 75 000 et 200 000. Quelques-unes sont présentes sur différents marchés internationaux, par l’entremise d’agents importateurs, tandis que d’autres se limitent au marché de la Calabre et n’ont pas de représentants.

En plus des caves, on compte près de 1 500 viticulteurs, provenant généralement de familles de petits propriétaires et de braccianti (manouvriers agricoles). Ceux-ci ne produisent pas de vin, à part pour leurs besoins domestiques. Ils vendent leur raisin à certaines caves privées, l’apportent à la coopérative publique ou le vendent à des acheteurs de partout en Calabre. Il existe en effet un marché régional pour les raisins de Cirò, lequel s’adresse aux personnes produisant du vin à la maison pour leur consommation domestique. Les viticulteurs, puisqu’ils ne produisent que le raisin, se disent marginalisés par rapport au commerce du vin.

À Cirò Marina, l’obtention de la DOC en 1969 a eu différents effets. Premièrement, à l’époque, l’instauration de la loi italienne a pour conséquence de restreindre une partie importante du marché du vin en fût. En effet, les négociants des régions du nord ne peuvent plus utiliser les vins du sud pour fortifier d’autres vins et les vendre sous des appellations spécifiques. Les producteurs locaux se tournent alors vers le marché des vins à Denominazione di origine. Rappelons qu’à cette époque, le vin de Cirò jouit déjà d’une reconnaissance régionale et possède une certaine « identité » commerciale auprès des émigrants calabrais. Deuxièmement, pour la création de la DOC « Cirò », il a fallu identifier et définir une « tradition vitivinicole » et la faire correspondre à différents paramètres définis par la loi. Ceci a entraîné une nouvelle manière de penser le vin, par exemple à travers la prise en compte d’un encépagement spécifique, ce qui n’existait pas localement, mais était exigé par la loi. On a donc ramené le vin de Cirò à un cépage unique : le gaglioppo[5], alors qu’auparavant des cépages marginaux étaient aussi cultivés. Puisque ces cépages n’étaient présents qu’en petite quantité, ils ne furent pas inclus dans le règlement DOC. Troisièmement, la DOC s’est vue accompagnée d’exigences techniques visant à garantir aux consommateurs un certain niveau de qualité. Les producteurs ont désormais dû suivre des règles de production et se soumettre à diverses formes de contrôle qui n’existaient pas auparavant. La production s’est alors éloignée des savoir-faire traditionnels pour se rapprocher d’une définition technique et scientifique du vin. Cela eut pour effet, quatrièmement, de rendre la production et le commerce de vin plus compliqués et difficiles, contraignant plusieurs petits producteurs à abandonner la vinification. De manière concomitante à la DOC, la bouteille est devenue le médium principal de la vente au détail. Cette nouvelle façon de faire a constitué un véritable obstacle pour la majorité des paysans qui n’étaient pas en mesure de faire les investissements nécessaires à cette transformation[6]. Enfin, cinquièmement, à la suite de l’adoption de la loi, les négociants se sont mis à vinifier eux-mêmes leur vin en achetant du raisin aux viticulteurs, plutôt que d’acheter leur vin comme ils l’avaient fait jusque-là. Bref, les exigences associées à la DOC et à l’évolution du commerce ont amené la majorité des petits viticulteurs à abandonner la vinification et à se consacrer uniquement à la production de raisins. Cela explique le nombre relativement limité de caves commerciales et la situation actuelle des viticulteurs. Or, ces transformations résultent de l’internationalisation progressive de la production locale. L’évolution du marché, en lien avec l’instauration de la DOC, a influencé le contexte de production et explique les dynamiques locales actuelles entre les différents protagonistes de cette industrie. Elle a également transformé les représentations du vin.

Transformation des représentations locales du vin

L’ouvrage Wine and Culture, Vineyard to Glass dirigé par Rachel E. Black et Robert C. Ulin (2013) offre plusieurs exemples de la manière avec laquelle les représentations du vin ont été influencées par des facteurs historiques, politiques et économiques. Par exemple, Walker et Manning (2013) expliquent qu’en Georgie le succès des produits nationaux, dont le vin, est devenu un indice qui permet de mesurer le degré de transition de différents secteurs d’activités du socialisme vers le post-socialisme. Black (2013) explique comment l’émergence de nouvelles manières de penser la production et la consommation du vin, comme dans le cas du vin « nature » – des vins vinifiés avec un minimum d’interventions humaines et sans ajout de produits chimiques (Black 2013) –, donnent lieu à de nouveaux paradigmes permettant de redéfinir ce qu’est la qualité, autant pour les consommateurs que pour les producteurs. Sternsdorff-Cisterna (2013) analyse pour sa part comment certaines représentations du vin ont évolué au Chili en fonction du développement national de cette industrie, avec comme dernier développement l’émergence d’une préoccupation nouvelle des producteurs pour le terroir, dans un contexte national où de petits producteurs se retrouvent en compétition avec de grandes maisons de productions. Ces exemples illustrent les différentes forces qui influencent les représentations locales que des producteurs peuvent se faire du vin en général et de leur vin en particulier. À Cirò Marina, l’internationalisation du marché et la mise en place de la DOC ont eu divers effets sur les représentations locales du vin. Ces effets étaient apparents durant mes recherches, alors que certains producteurs semblaient perplexes quant à la réception de leur vin sur différents marchés extérieurs à la Calabre.

Un premier effet concerne le développement et l’évolution d’une sensibilité spécifique envers la « qualité » pour appréhender le vin et sa production. Dès le XIXe siècle, au niveau local et régional, le vin de Cirò était réputé pour sa qualité. Il n’est cependant pas possible de savoir ce qui caractérisait ou comment se définissait la « qualité » à cette époque, ni ce qu’elle signifiait. L’obtention de la DOC en 1969 va amener les producteurs à penser la qualité à l’intérieur des cadres définis par la loi : encépagement précis, rendement à l’hectare, règles de vinification et caractéristiques chimiques du vin. Malgré cette définition technique et scientifique, à ce moment-là la « qualité » était une chose acquise et allant de soi. À elle seule, l’obtention de la DOC symbolisait que le Cirò était un vin de qualité, du fait qu’il était digne d’une telle reconnaissance. Enfin, avec le temps, la façon d’appréhender la qualité s’est transformée. Lors de mes recherches, la « qualité » se présentait désormais comme une exigence à atteindre pour répondre à la demande des marchés, notamment internationaux. Cela témoignait d’une sensibilité nouvelle envers une redéfinition de la qualité.

Par exemple, les producteurs étaient désormais critiques de l’orientation de la production de vin durant les années 1970 qui, me disait-on, était davantage tournée vers la quantité. Ils opposaient cette période à la période actuelle, mais également à celle d’avant les années 1950, qui devenait par-là idéalisée. Plusieurs me tinrent des propos similaires à ceux de ce producteur :

Avec la reconnaissance DOC, les gens n’ont pas fait attention à ces détails, car celle-ci signifiait que le vin était reconnu. [...] Ainsi, alors qu’auparavant il y avait ici une viticulture de haute qualité, la plupart des caves vinicoles ne se sont pas rendu compte que la qualité diminuait.

Espedito C., juillet 2004[7]

Les propriétaires de caves estimaient qu’ils devaient collectivement améliorer la « qualité » de leur production car leurs ventes avaient diminué sur certains marchés, ou devaient développer de nouveaux marchés. Paradoxalement, tous me disaient qu’en ce qui les concernait personnellement, ils avaient toujours eu une production de qualité. Cela témoigne à la fois d’une certaine résistance vis-à-vis des exigences gustatives transnationales se présentant comme des rapports de pouvoir (Jung 2014) et d’une perplexité concernant la signification à donner à la qualité. D’abord parce que les exigences des marchés étaient diverses et non pas unifiées ; ensuite, parce que les producteurs locaux avaient une connaissance et une interprétation de la qualité de leur vin partiellement liées aux tendances internationales.

Quand je leur demandais en quoi devait consister une production de qualité, plusieurs producteurs m’expliquaient qu’il s’agissait d’une production de petite quantité. La production « industrielle » des années 1970, comme on la qualifiait localement, conduisait les personnes à penser qu’une production de qualité ne pouvait être une production de quantité. Et inversement, de manière rhétorique, dans la mesure où la grosse quantité était synonyme de mauvaise qualité, la petite quantité devenait alors garante de la qualité. L’un d’eux l’exprimait ainsi :

À Cirò, à une époque, la volonté a été de produire la quantité. Il faudrait revenir à la petite production : de petites maisons vinicoles, une production biologique et artisanale.

Espedito C., juin 2004

Et un autre de m’expliquer :

Quelqu’un qui a une trop grande production, qui produit en trop grande quantité, il ne peut pas avoir une très grande qualité, car cela signifie que sa production tourne trop rapidement et qu’il ne peut pas entièrement, totalement bien la superviser.

Gaetano R., juin 2004

Ainsi, pour plusieurs personnes à Cirò Marina – les producteurs, mais aussi la population en général –, une production de qualité passe par une production de petite quantité et ce, autant dans les vignes que dans les chais.

En parallèle, les producteurs soulignaient aussi l’importance des techniques de production, illustrant cette fois-ci l’adhésion à une définition technique et scientifique du vin et de la qualité. Elle passait par un meilleur contrôle de la fermentation, par l’utilisation de technologies sophistiquées et par l’emploi d’oenologues-conseils de renom. Les opinions sur ces aspects techniques différaient cependant d’un producteur à l’autre. Les directeurs de grandes caves exportant davantage sur les marchés étrangers et pourvus de moyens financiers plus importants y semblaient plus ouverts, tandis que ceux des petites caves, commercialisant seulement à l’échelle de la Calabre ou de l’Italie, se montraient plus ambivalents, voire réfractaires. L’un d’eux m’expliqua, concernant l’utilisation des dispendieuses barriques de chêne :

Personnellement, je n’aime pas la barrique. Entre autres, parce que ça change le goût du vin. Selon moi, les vins ne devraient être faits qu’avec des cuves en inox, car ainsi, les vraies caractéristiques propres à un vin, provenant d’un cépage particulier et issu d’un terroir donné, peuvent s’exprimer.

Gaetano R., juin 2004

Et un autre, s’appropriant de manière personnelle ces nouvelles méthodes, de me dire plutôt :

Mon grand-père utilisait le bois, mon père n’a pas utilisé le bois, et moi j’utilise de nouveau le bois. Ainsi, en ce moment, je romps avec la tradition de mon père, mais je récupère la tradition de mon grand-père. Mais je l’utilise de manière différente parce que l’oenologie a changé. Mon grand-père prenait un tonneau et l’utilisait jusqu’à la fin. Moi je prends une barrique, je l’utilise trois ans et après je m’en débarrasse.

Antonio M., juin 2004

Enfin, lors de mon séjour en 2016, quelques producteurs s’inscrivaient dans la vogue du vin nature et rejetaient l’utilisation de la technologie, ce qui illustre à nouveau une appropriation spécifique d’une tendance commerciale distincte. Leur discours sur le vin nature était semblable à celui de l’ensemble de la population locale concernant la qualité du vin, un point sur lequel je reviendrai.

Un deuxième effet se manifestait à travers le jugement que les producteurs portaient, non pas seulement sur leur vin, mais aussi sur leur région, et s’avérait tributaire des deux systèmes de connaissances du vin. Comme je l’ai expliqué précédemment, le processus de qualification des vins par les consommateurs et les prescripteurs s’effectue à travers la comparaison et la hiérarchisation des producteurs, mais aussi des régions productrices. Les producteurs en étaient conscients et étaient sensibles à l’appréciation qui était faite de leur vin. Une productrice à qui je demandais pourquoi elle investissait pour améliorer la qualité du vin me répondit :

Il s’agit d’un secteur compétitif, il n’y a pas uniquement le vin de Cirò, mais aussi les vins provenant d’autres régions. Dans les circonstances où le client peut choisir, il nous fallait améliorer la qualité afin de pouvoir nous positionner parmi ces différents produits. [...] Ce n’est pas uniquement un discours d’argent, mais également de satisfaction personnelle et de fierté : celle de produire un vin que l’on considère de grande qualité, mais aussi de recevoir une reconnaissance de cette qualité de la part des consommateurs lorsque le vin est apprécié.

Berenice R., février 2001

Et un autre producteur de déclarer :

À l’époque, le vin de Cirò était le meilleur du monde, parce que le monde, c’était la Calabre. Aujourd’hui, les gens ici ont compris que le vin de Cirò est le meilleur de la Calabre, mais peut-être plus le meilleur du monde.

Antonio M., juin 2004

Les producteurs se montraient très fiers de leur vin et souhaitaient que celui-ci soit reconnu afin qu’ils puissent se définir individuellement et collectivement en tant que région productrice de vin de qualité. Le vin jouant un rôle important dans la définition même de l’identité collective des producteurs et de la ville (Fournier 2013 : 130), la demande internationale influait désormais sur le jugement qu’ils se faisaient d’eux-mêmes. Les deux systèmes de connaissance identifiés précédemment offraient un cadre général à travers lequel les producteurs interprétaient leur situation collective au sein de l’industrie mondiale du vin.

Enfin, un troisième effet se manifestait dans l’émergence d’un décalage entre les propriétaires de caves et la majorité de la population locale concernant la définition de la qualité du vin. Si le discours tenu par les propriétaires de maisons vinicoles, influencés par les lois et les normes oenophiles, faisait référence au règlement DOC et aux exigences des marchés internationaux, celui tenu par la majorité de la population, dont les viticulteurs eux-mêmes, faisait plutôt référence à la pureté du produit. Les gens qui vinifiaient eux-mêmes une partie de leurs raisins à des fins de consommation domestique finissaient souvent par me dire que leur vin était meilleur que celui des maisons vinicoles. Objectivement, il était vrai qu’en termes gustatifs, le vin produit de façon artisanale était différent de celui des maisons vinicoles. Entre autres, il était souvent plus alcoolisé. Il s’agissait d’une qualité recherchée par la population locale. « Il n’y a qu’un vin de qualité et le vin de qualité est le vin qui est fort ! », déclaraient plusieurs personnes dans différents contextes. Certains de ces vins atteignaient parfois un taux de 17 % d’alcool.

Cependant, ce n’était pas pour ses qualités gustatives que ces personnes soutenaient que leur vin était meilleur. Ainsi, leur discours n’était pas influencé par les deux systèmes de connaissances présentés précédemment, soit la législation et les normes oenophiles. Leur évaluation de la qualité s’effectuait suivant d’autres critères : plusieurs m’expliquèrent que leur vin était plus « genuino », parce qu’il était exempt de « tous les traitements que les caves vinicoles font subir au vin ». Pour cette raison, ils considéraient que leur vin était plus pur[8] et qu’il était donc meilleur que celui des maisons vinicoles, qui subissait à leur avis des traitements ayant pour effet de dénaturer le vin[9]. Les propriétaires de cave en étaient conscients et se justifiaient, parfois de manière diplomatique :

Eux n’utilisent aucune sorte de traitement, aucune sorte d’analyse et aucune sorte de contrôle. [...] Nous, nous faisons un produit qui peut atteindre quatre ou cinq années de vieillissement. Moi, pour maintenir un vin pendant six ans, je ne peux pas uniquement presser le raisin et embouteiller le jus fermenté. La différence, elle est là. Eux disent que les caves font « autre chose », mais ces « autres choses » sont nécessaires à la stabilisation du vin pour qu’il puisse ensuite être envoyé en Amérique sans qu’il rencontre de problèmes.

Stefano C., juillet 2004

D’autres encore critiquaient ouvertement la qualité de ces vins :

Mais le paysan calabrais a la mentalité suivante : « Si je fais mon vin moi-même, je sais ce qu’il y a dedans, je sais qu’il est plus genuino ». Mais le Cirò fait à la façon des petits devient une horreur, mais véritablement une horreur qui, dès le début, a des problèmes, surtout le rouge, car s’il n’y a pas les technologies… Aujourd’hui, merci à la technologie, le vin de Cirò embouteillé se conserve bien, parce qu’il a été bien vinifié [...] Pour eux, pour faire du vin il suffit uniquement qu’ils n’y mettent rien et le vin est bon.

Espedito C., juillet 2004

Il y avait donc un décalage important entre le discours des propriétaires de caves vinicoles et celui des viticulteurs et de la population en général concernant la qualité du vin. Le discours des propriétaires était évidemment influencé par le règlement DOC, par leurs connaissances techniques et scientifiques et par les discours des normes oenophiles, tandis que celui de la majorité de la population rattachait le vin à des idéaux concernant l’alimentation[10]. Des idéaux que les propriétaires de caves partageaient en ce qui concerne l’alimentation, mais pas en ce qui concerne le vin.

Conclusion

On constate à travers cette analyse combien les représentations locales du vin sont effectivement influencées par le commerce transnational. À travers celui-ci, les représentations des propriétaires de caves vinicoles étaient liées à ce que j’ai identifié comme constituant deux systèmes de connaissances, soit les systèmes législatifs réglementant le vin et celui plus diffus des normes oenophiles. Les propriétaires de caves étaient soumis à différentes exigences commerciales qui informaient et transformaient leurs manières de penser et de concevoir la production. On constate cependant que tous ne partageaient pas les mêmes opinions. Ces systèmes se présentaient comme des exigences venues de l’extérieur, mais influençaient de façon variable les représentations locales du vin en fonction de la position de chacun au sein de la production locale. Les producteurs les plus importants et qui exportaient le plus sur les marchés internationaux se conformaient davantage avec ces systèmes. Par contre, les viticulteurs qui se limitaient à produire du raisin et à le vendre aux caves ou sur le marché régional du raisin étaient peu ou pas en contact avec ces systèmes de connaissances et partageaient le même discours que l’ensemble de la population concernant la qualité et la pureté du vin. Enfin, certains producteurs plus petits pouvaient chercher à s’y opposer ou encore, désormais, à invoquer le caractère naturel de leur production comme stratégie commerciale alternative.

Cet exemple nuance le processus de la circulation de la culture dans le contexte de la mondialisation. On observe bien comment la circulation d’un produit, en l’occurrence le vin, entraîne une transformation des significations culturelles à son sujet. Les trajets qu’empruntent les significations culturelles sont cependant moins clairs que ceux du produit lui-même. Il y a ainsi des décalages entre les significations perçues par les consommateurs et les producteurs lorsque ces activités se produisent dans des lieux et des contextes différents. Cet article démontre comment au sein d’un même contexte de production les représentations des uns et des autres sont liées à leur position spécifique au sein de cette industrie ; ce qui influence évidemment leur manière d’entrer en contact ou non avec les marchés éloignés, mais surtout leur façon d’interpréter les exigences de ces marchés. Cela nous oblige alors à nous questionner au sujet de l’autonomie des significations culturelles et à leur soi-disant circulation. Est-ce que les significations culturelles circulent véritablement à l’échelle internationale ? Existent-t-elles et circulent-elles de façon autonome ? Ou ne sont-elles pas plutôt à chaque fois produites et réinterprétées ? Certains cadres d’intelligibilité, en l’occurrence les deux systèmes de connaissance identifiés, semblent bien avoir une portée et une diffusion transnationales. Ils sont effectivement répandus et présents dans la vie des gens dans plusieurs endroits et à travers différents canaux (personnes, cours, médias, lois, etc.) Ces canaux eux-mêmes se chevauchent, s’entrecroisent et s’influencent aux niveaux nationaux et internationaux. Mais simultanément, les significations culturelles qui « circulent » à travers ces canaux semblent bien s’agencer de manière spécifique et originale selon les lieux, les personnes et les situations. Ce sont en fait les personnes elles-mêmes qui, consciemment et inconsciemment, mais aussi sous l’influence de certaines forces et contraintes – en l’occurrence, commerciales – agencent et interprètent ces significations, notamment en fonction de leur situation spécifique, comme mon étude tend à le démontrer. C’était d’ailleurs le cas des pêcheurs américains présentés par Bestor (2004). Il existe ainsi des cadres d’intelligibilité qui sont partagés par de grands ensembles de personnes. Mais simultanément, ces cadres s’actualisent de manières distinctes et spécifiques dans différents lieux, en fonction des réalités sociologiques propres à chaque contexte et même à chaque personne, nous obligeant par conséquent à prendre en compte ces aspects sociologiques dans l’étude de la circulation de la culture.