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Miller Theresa L., 2019, Plant Kin. A Multispecies Ethnography in Indigenous Brazil. Austin, University of Texas Press, 328 p., illustr., cartes, bibliogr., index, ann.[Record]

  • Daniel A. Restrepo Hernández

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  • Daniel A. Restrepo Hernández
    École d’études sociologiques et anthropologiques, Université d’Ottawa, Ottawa (Ontario), Canada

À la croisée du récent « plant turn », le tournant des plantes ou tournant végétal en anthropologie, et d’une pensée qui veut paradoxalement concilier les lignes dures d’un structuralisme taxonomique avec les lignes souples, dynamiques et ouvertes de Tim Ingold (2013) et les écologies affectives de Carla Hustak et Natasha Myers (2012), Theresa L. Miller cristallise dans Plant Kin. A Multispecies Ethnography in Indigenous Brazil les fruits de plusieurs années de recherche auprès d’une communauté canela, dans l’État de Maranhão, au Brésil. La tentative demeure assez complexe, car l’auteure s’intéresse à un « engagement » qui entrelace et brode les devenirs jardiniers d’humains et de plantes (en termes de liens de parenté biodivers et de soin mutuel), tout en retenant ces devenirs dans une charpente lévi-straussienne qui les catégorise et aplatit leurs reliefs phénoménologiques. Un mot d’abord sur la nature du terrain qui donne le ton à l’ouvrage : dans le biome changeant et vulnérable des savanes du Cerrado brésilien, l’histoire du jardinage chez le peuple canela est aussi l’histoire d’une transition qui a eu lieu sous des pressions coloniales et environnementales. Ainsi, le nomadisme, la chasse et la cueillette d’autrefois ont cédé la place à une sédentarisation progressive que l’auteure associe également à l’émergence d’une écologie affective et multisensorielle du soin ayant lieu entre humains et plantes sur la scène des jardins foisonnants. Il s’agit donc d’une cocréation vivante à travers une histoire, un ethnos partagé et un territoire en transfiguration. Maintenant, sur le seuil incertain de l’Anthropocène, que l’auteure définit comme une époque de transitions socioculturelles et climatiques ainsi que de pertes en biodiversités multispécifiques, la question qui émerge est de savoir comment ce soin et ces liens affectifs de parenté humain-plante ont lieu chez les Canela. Devant cette question, l’approche adoptée par l’auteure est une « ethnobotanique sensorielle » et sa taxonomie particulière en tant que « projet écologique et politique », s’inscrivant dans « un cadre théorique dynamique, ouvert au changement et à la modification » (p. 7). Ce ciblage épistémologique prétend refléter les déploiements d’une connaissance affective et biodiverse en expansion, quoique toujours menacée par le lot d’incertitude qu’amène le Brésil-monde de l’Anthropocène et ses puissances de transfiguration et d’érosion de tissus socioécologiques. Les plantes, dans Plant Kin, sont conçues en tant qu’acteurs intentionnels avec lesquels on peut s’engager par le biais de soins et d’affection continus, actes qui sont aussi réalisés, à leur tour, par les plantes envers les humains. Ces engagements mutuels sont au coeur d’une enquête ethnographique qui cherche à les classifier suivant une logique d’inventaire. En effet, l’auteure associe cette tâche de classification à des pratiques analogues déjà existantes chez le peuple canela, incluant une myriade d’expériences d’agencements physiques et multisensoriels avec une variété de non-humains dans le monde, notamment des semences, boutures ou plantes cultivées et sauvages, voire des animaux et types de sol (p. 147). La création d’un registre taxonomique de ces relations ouvert à l’incorporation de nouvelles variantes relationnelles et espèces de plantes est ici proposée comme un exercice participatif avec les gens des jardins. Il s’agit également d’une tâche ayant pour but la conservation d’une agrobiodiversité menacée par la mise en scène accélérée d’une dégradation écologique latente et présente — nommer pour conserver et conserver pour nommer —, terrain où la méthode anthropologique s’apparente à une finalité documentaire de sauvegarde communautaire de la connaissance. Une autre écriture documentaire, celle de l’ouvrage théorique, veut traduire la trame vivante de ces engagements affectifs, exposant un sens de la parenté dans l’interaction de familles humaines et végétales. D’autres thématiques illustrent cette parenté, soit les perceptions esthétiques du biome …

Appendices